Les irresponsables, dix ans après Charlie Hebdo (Eric Delbecque)

 



En 2025, dix ans après les attentats contre le journal Charlie Hebdo, Eric Delbecque sort « Les irresponsables ».

Le principal intérêt de cet ouvrage est la qualité de témoin privilégié de Delbecque en tant que responsable de la sécurité (privée) du journal après 2015.

Il explique les mesures de sécurité inédites et extrêmes mises en place, visant à cacher la nouvelle adresse du journal, à transformer les locaux en « bunker » doté de sas, système techniques avancée et agents de sécurité armés accompagnant en permanence les déplacements des membres du journal.

Mais la sécurité de « Charlie » ne se limite pas à l'activité professionnelle, elle déteint également sur la vie privée, tous les déplacements, jusqu'aux lieux de vacances et relations personnelles...

Delbecque décrit donc une vie en Enfer, la vie à laquelle les terroristes ont condamné les journalistes qui ont conservé leur précieuse liberté d'expression à un lourd prix.

Puis il élargit le débat vers une analyse plus profonde de la montée de l'islamisme en France.

Le propos se fait donc plus théorique, à grands renforts de citations de « spécialistes » de la question.

La conclusion assez prévisible, dénote un mauvais traitement de la question de l'islamisme, par exemple en dissociant le radicalisme « non violent » mais infiltrant la société à grand renfort de « soft power » instaurés par les pays du Golfe dont les pétrodollars rendent plus conciliants les dirigeants politiques et le terrorisme incarné par un passage à l'acte souvent meurtrier.

Pour Delbecque, l'Islam majoritaire a perdu sa dimension d'élévation spirituelle individuelle pour s'orienter vers une version politique, conquérante et revancharde vis-à-vis des sociétés occidentales.

Il tente dans une démonstration bancale de catégoriser les différents niveaux d'implication des protagonistes de ce projet de domination et considère que la conquête « par les esprits » est au moins aussi importante que la conquête « par les armes » rendue impossible face à des pays occidentaux militairement supérieurs.

Complices pour lui de ce mouvement, l'extreme gauche par son support actif, LFI notamment pour la nommer mais également des parties plus « mesurés » par leur inaction et leur refus de prendre des mesures adéquates.

Il décrit également sa grande solitude lorsqu'il organise des conférences pour des dirigeants politiques ou des hauts fonctionnaires, dont l'égo boursouflé et carriériste leur interdit de prêter une oreille attentive à une question jugée complexe et source de problèmes.

Aussi il est plus commode explique-t-il de fermer les yeux ou de détourner la tête, de minimiser également...

A ce titre, l'entretien relaté avec Carlos Ghon alors PDG de Renault en dit long sur le niveau d'irresponsabilité des hauts cadres...

En conclusion,  « Les irresponsables » est le livre d'un homme en colère, poussant un « coup de gueule » contre ceux qu'il juge coupables de ne pas avoir retenu les leçons de « Charlie Hebdo » et renoncé progressivement à soutenir le journal avec l'apparition du fameux « Oui mais... »

Entre deux «coups de gueules », le livre propose quelques tentatives d'analyses du phénomène de la progression de l'Islam politique dans la société française en le reliant par son atmosphère globale à l'action violente du terrorisme, qui lui est pour lui indubitablement rattachée.

Rejetant les mythes commodes des « loups solitaires » ou des « détraqués », Delbecque estime donc que « tout ce tient » dans une stratégie globale de conquête mêlant « soft power » (propagande, culture, wokisme, cyber harcèlement, corruption) et « hard power » (tabassage, attentats, massacres) avec des profils à chaque fois différents : de l'intellectuel « inspirant » soufflant l'idéologie au fantassin « jetable » recruté dans le milieu de la petite délinquance de cité en lui promettant une éclatante revanche sociale et virile.

Mais la puissance du projet qu'il compare au nazisme ou au soviétisme, n'explique pas tout, Delbecque est surtout le plus virulent contre l'inaction des politiques, le soutien passif ou actif de certains et le culture du « pas de vagues » qui gouverne administrations et grandes entreprises...

Reproche majeur du livre, comme beaucoup Delbecque enrage, dénonce mais ne propose pas de solutions pratiques, laissant le lecteur penser que le chemin choisi par une partie de la société sera l'auto-défense menant à la guerre civile.

Malgré la compassion qu'on peut donc éprouver pour « Charlie », « Les irresponsables » laisse donc un goût d'inachevé et donne l'impression, une fois la colère de Delbecque évacuée, de tourner en rond comme si il s'avouait implicitement lui-meme dépassé par la question.

Il est il est vrai difficile, l'Histoire l'a montré de lutter contre un projet totalitaire.

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