V13, chronique judiciaire (Emmanuel Carrère)

 



Écrivain à succès auteur de best-sellers adaptés au cinéma, Emmanuel Carrère sort en 2022 « V13, chronique judiciaire » le récit compilé d'articles relatant le procès des terroristes du Bataclan qui avaient frappé en novembre 2015.

Pendant près d'un an, Carrère, payé par le Nouvel Observateur, va s'astreindre à aller chaque jour au tribunal crée ad hoc sur l'Ile de la Cité et publier des chroniques hebdomadaires.

D'entrée, le décor est planté pour ce procès hors dimension à la portée historique : la foule des premiers jours, les conditions de sécurité, le nombre ahurissant des victimes et de leurs représentants regroupés sous le terme les « parties civiles » avec en face les avocats de la défense.

Pour les terroristes les plus impliqués comme Salah Abdeslam, membres du commando ou Mohamed Abrini, l'issue ne fait guère de doute, en théorie, mais la question est moins évidente pour ce qu'on appelle les « petites mains » de l'opération, une poignée d'individu ayant à des degrés divers facilité la préparation des attentats ainsi que la fuite des participants.

Comme l'explique Carrère on assiste alors à la litanie des témoignages des victimes avec son lot malheureux de redites : la sidération lors de l'attaque puis la panique enfin la résignation lorsque les terroristes abattent les spectateurs un par un, avant la délivrance lors de l'intervention de police qui met fin à l'attaque.

Ce passage révèle la diversité des comportements humains, certains faisant preuve d'un courage inouï pour surmonter d'horribles blessures ou aider leur prochain, d'autres de la plus grande lâcheté ordinaire en piétinant leur semblable pour simplement s'échapper.

L'écrivain constate une hiérarchie entre ce qu'il appelle le « Bataclan » puis les « terrasses » terme générique regroupant les clients des bars/restaurants du XI ième arrondissement, puis ceux du Stade de France attentat raté par manque de préparation qui ne fit qu'une seule victime au lieu d'un carnage complet, puis les « oubliés » de l'assaut du GIGN à Saint Denis, victime collatérale et socialement défavorisées des attentats.

Il décrit aussi une hiérarchie par rapport aux victimes entre les handicaps physiques lourds, les blessures invalidante (perte d'un membre) et les traumatismes psychologiques plus difficiles à évaluer mais tout aussi destructeurs.

Certains survivants sortis indemnes sont aussi rongés par la culpabilité et sont socialement perdus, finissant même dans certains cas par se suicider.

Carrère choisit quelques portraits, Nadia qui a perdu sa fille Lamia dans les « terrasses », un couple d'amoureux lui aussi fauché en pleine « love story », un frère et sa sœur, sportif et gymnastes handicapés à vie, puis le cas plus singulier de « Florence » qui bien qu' étrangère au drame s'est insinuée dans les associations de survivants "Life for Paris"  jusqu' devenir un webmaster.

Le président Hollande témoigne, le procureur Moulins aussi...pour les terroristes on reste sur sa faim avec des comportements de divas, entre refus de s'exprimer, remords peu crédibles et justification oiseuses...

La « star » Abdeslam ne livre pas ses secrets mais on comprend qu'il n'a simplement pas « pu » se résoudre à tuer et à se faire sauter, tout comme Abrini qui s'est éclipsé au dernier moment pour ne pas participer au carnage.

Le parcours des « potes » de Molenbeek est aussi évoqué avec les failles béantes de la police belge, qu'on pourra qualifier au mieux d'amatrice face à la dangerosité de la menace.

Abdeslam et ses potes pas des déshérités, juste des paumés, des petits délinquants dealant dans leur quartier tombés sous la coupe d'Abaooud, gourou pervers revenu auréolé de prestige après avoir subi un enseignement islamique rigoriste en Egypte.

Les avocats de la défense font ce qu'ils peuvent, abusant du coté « limité » de leurs clients pour expliquer qu'ils n'ont rien compris à ce qu'ils faisaient et se voyaient juste comme des « bons copains » rendant service à des potes du quartier.

Plus choquante est la défense de rupture dite « à la Vergès » en mettant sur un même pied d'égalité les bombardements français contre l'EI en Syrie et les attentas...

Puis au final après la longue attente, le verdict final perpétuité incompressible pour Abdelsam, pour les autres membres du commando intercepté en Europe avant de passer à l'acte, 20 ans pour Abrini qui n'ont pas tiré un coup de feu...des condamnation avec sursis ou la relaxe pour les « petites mains » jugées décalés par rapport aux « terro » purs de durs.

En conclusion, en pleine période de commémoration des attentats de 2015, « V13 chronique judiciaire » aurait pu être une tentative de compréhension de la partie « Bataclan » mais comme le relate Carrère, sorti épuisé de mois et mois d'audience, finit déboucher sur une impasse.

Des terroristes survivants rien ou presque à en tirer  résultat d'une conscience ou d'une intelligence « limitée », d'un puissant conditionnement : la solidarité du « quartier » avec inversion des valeurs morales habituelles, la puissance de l'islamisme radical de l'EI motivant les pires horreurs, le tout brouillé par les mots soufflés par les avocats de la défense visant à atténuer leur responsabilité.

Les condamnations attendues mais contestées sur le plan du droit : les terroristes encore en vie n'ayant tué personne n'auraient pas du prendre la peine maximale, puis la stratégie de défense assez immonde visant à placer l'Etat français en position d'agresseur de l'EI, qui finalement n'aurait fait que se défendre...

Ceci fait penser à ce qu'on entend sur « Charlie » avec le « oui mais » tout en faisant abstraction de le stratégie de conquête mondiale du terrorisme islamique qui n'hésite pas à frappe n'importe quel pays, qu'il soit impliqué ou non dans des opérations militaires extérieures.

Restent les témoignages des survivants, que je considère comme enjolivés vers un idéal d'héroïsme et d'altruisme dont serait dépourvu pour moi 90% de la population dans une situation analogue de survie.

Aujourd'hui alors qu'une note de la DGSI replace l'EI du Nord Syrie comme la menace n°1 contre la France et que les prisons constituent un vivier pour que terrorisme islamique puisse se réorganiser, le problème reste d'une actualité aiguë !

Commentaires