La guerre dans la BD (Mike Conroy)
Sorti en 2011, « La guerre dans la BD » est un imposant ouvrage proposant comme son nom l’indique de retracer le traitement de cette tragédie de l’histoire de l’Humanité, par les artistes de bandes dessinées majoritairement anglo-saxons … mais pas seulement.
Soigneusement découpé en sept chapitres, « La guerre dans la BD », est articulé chronologiquement et commence par les guerres de l’Antiquité et du Moyen-âge, en réalité largement sous représentées mis à part quelques exceptions notables comme le succès de « 300 » de Frank Miller mettant en exergue la bravoure des soldats grecs face aux armées perses.
Les histoires de Vikings, de Chevaliers et Pirates attirent cependant toujours un certain lectorat passionné d’Histoire.
Grands amateurs de comics, les Américains puisent dans leur courte histoire personnelle et s’inspirent des Guerres indiennes, de Sécession ou de leur Indépendance avec des histoires et héros caricaturaux comme « Tomahawk » ersatz de Davy Crockett popularisé par DC comics dans le magazine Star spangled comics.
Les cow-boys ne sont pas en reste, les plus connus d’entre eux étant « Two-guns kid » de chez Marvel et « Lone ranger » de chez Dynamite, ce dernier décrochant sans nul doute la palme de la longévité avec une naissance dans les années 30 et de courtes apparitions jusque dans les années 2000.
Il faudra attendre de nombreuses années avant de corriger la vision caricaturale et insultante des Indiens, représentés comme des sauvages sanguinaires jusque dans les années 70.
Sans surprise les guerres mondiales trustent le monopole de la production de comics avec dès 1915, l’apparition de bandes dessinées de propagande caricaturant les Allemands comme des primates.
La plus emblématique des maisons d’édition est EC Comics qui via le dessinateur Harvey Kurtzman va instaurer via des revues comme « Two fisted tales » ou « Frontlines combat » dans les années 50 les premiers numéros de comics de qualité montrant une vision non monolithique des conflits.
Tout y passe, la bravoure des pilotes de chasse avec « Aces high » ou « Phantom eagle » de Marvel ou celle des Marins dans « The Victor ».
Plus tard les mentalités évoluent, la bravoure et la souffrance des soldats sont mises en exergue par exemple dans « Charley’s war » dans les années 70 de Pat Mills et Joe Colquhoun ou dans le personnage plus controversé mais également fascinant de l’aviateur allemand le Baron rouge dans « Ennemy ace ».
Des œuvres plus contemporaines comme « La mort blanche » de Charlie Adlard en 1998, continuent d’exploiter ce filon inépuisable avec une lutte à mort entre Italiens et Autrichiens dans une zone montagneuse du Nord de l’Italie.
Plus près de nous, le français Jacques Tardi cité par son célèbre « C’était la guerre des tranchées » en 1993 appartient à cette veine moderne présentant via son style particulier l’horreur de la Première guerre mondiale.
Dans les années 40, la Seconde Guerre Mondiale se taille la part du lion dans cette surreprésentation avec les traditionnels comics de propagande montrant des super héros comme « Wonder-woman » « Superman » ou « Captain america » mettre au tapis les Nazis et les Japonais caricaturés en brutes simiesques ou rats.
Derrière ces personnages emblématiques encore connus aujourd’hui se trouvent des héros plus éphémères aux noms évocateurs « Fighting yank », « US Jones » ou « Young allies » puis les soldats plus traditionnels de l’aviation, la marine ou l’armée de terre dont la bravoure est elle aussi mise à l’honneur dans des revues comme « Medal of honor » « Fighting marines » , « Howling commandos » de Marvel, ou le très populaire « Sergent Rock » de Bob Kanigher et Joe Kubert qui perdurera jusque à la fin des années 80.
La face la plus sombre du conflit sera dévoilée par la suite, notamment les camps de concentration de « Maus » de Art Spiegelman distingué par un prix Pulitzer en 1992 ou la catastrophe d’Hiroshima de « Gen d’Hiroshima » de Keiji Nakazawa en 2007.
Un chapitre est dédié aux Anglais qui eux aussi exaltent la bravoure de leurs troupes comme dans la revue « Warlord », « Braddock », « Battle » ou « Commando » toujours active dans les années 2000.
On notera plus tard la traditionnelle touche d’humour british avec « Captain hurricane » cousin militaire de Hulk crée par Charles Royance en 1962 ou le stupide trouffion « Trooper Bo-Peep » crée en 1970, mais aussi la controverse de « Hellman of Hammer force » ou « Panzer G Man » montrant des militaires allemands combattants des Russes.
Après le choc de la Seconde guerre mondiale, les autres guerres de l’Amérique sont-elles aussi passées en revue, avec la Corée (« Battle Brady« de Hank Chapman en 1952, « Combat Kelly » de Martin Goodman en 1953, « Sergent Fury and Howling Commandos » en 1965) et le Viêt-Nam (« Blazing combat« de Jim Warren en 1965, « The Nam » de Doug Murray en 1986, « Viêt-Nam journal« de Don Lomax en 1987, guerres plus controversées mitigeant la traditionnelle haine du communiste avec une vision plus contestataire tout particulièrement pour le Viêt-Nam guerre très couteuse en hommes et défaite politique.
Difficile également d’oublier le 11 Septembre, traité avec sobriété par Alex Ross dans « 9-11 », puis les conflits les plus récents Irak ou Afghanistan, traités de manière encore marginale mais donnant lieu à des œuvres singulières comme « The long road home « de Gary Trudeau s’intéressant à la situation d’un vétéran revenant amputé au pays qui vaudra à son auteur un prix Pulitzer en 2005, « Pride of Baghdad » de Brian K Vaughan en 2006 vision du conflit irakien via des lions échappés d‘un zoo après un bombardement, « 303 » de Garth Ennis en 2005 montrant un vétéran russe enquêtant en Afghanistan ou le travail de Joe Sacco s’aventurant sur les terrains délicats de la guerre de Bosnie « Gorazde : la guerre en Bosnie orientale » en 2004.
En conclusion, « La guerre dans la BD » est un magnifique ouvrage brillant, riche, dense traitant de manière exhaustive son sujet.
On sera estomaqué devant la stupidité naïve des dessins patriotiques montrant des soldats blancs à la mâchoire carrée démolir à eux seuls des dizaines d’ennemis grossièrement caricaturés, même si il est délicat voir impossible de juger après coup d’une époque ou toutes les forces d’une nation étaient bandées dans un même effort pour combattre un ennemi mettant en danger le monde entier.
Passé le temps de l’affrontement, la réflexion, la subtilité et la créativité sont venues apporter une lecture plus intéressante des conflits, en montrant la souffrance des hommes engagés et en alternant les points de vues allant jusqu’à adopter ceux de soldats des camps ennemis ou des populations civiles.
Le résultat de tant d’intelligence est impressionnant, enthousiasmant et offre une passionnante grille de lecture pour découvrir plusieurs œuvres qu’on peut considérer comme majeures.
Seul bémol à ce travail, le quasi monopole des auteurs anglo-saxons, américains en tête, ils est vrai leaders incontestés du monde du comics, qui n’offre qu’un vision trop réduite du monde global de la bande dessinée.
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