Lettres (Baruch Spinoza)

 



Bien que jugée sans doute d’importance relativement moindre dans l’œuvre de Spinoza, la correspondance du philosophe avec ses amis regroupée en 1677 sous le titre de « Lettres » présente néanmoins un intérêt pour mieux appréhender les rouages du système philosophique complexe crée par le hollandais.

Ainsi en quatre vingt  quatre lettres de taille et d’intérêt variables, « Lettres » retrace les échanges entre le philosophe et ses principaux correspondants comme Henri Oldenburg, Simon de Vries, Louis Meyer, Guillaume de Blyenberg, Jacob Osten, Ehrenfried Walter de Tschirnhaus, Hugo Boxel, Albert Burgh et à quelques physiciens comme Jean Van der Meer ou Hudde.

Parmi tous ces correspondants, le diplomate Oldenburg se détache nettement du lot par la fréquence de ses échanges avec Spinoza.

Oldenburg se fait tout d’abord le relais des théories du physicien et chimiste Robert Boyle qui fonde ses connaissances sur l’empirisme et qui discute âprement les objections que lui oppose Spinoza sur la composition du salpêtre en un débat réservé à mon sens aux chimistes de bon niveau.

Mais malgré son respect pour le Maître,  Oldenburg lui demande également avec opiniâtreté des éclaircissements sur les théories développées dans « l’Ethique » ce qui donne lieu à de longs développements sur les définitions de la substance, de la pensée et de l’étendue.

Les échanges avec le médecin Louis Meyer reprennent les explications apportées à Oldenburg mais sur un mode plus approfondi en ajoutant les notions d’essence, de temps et de mesure que Spinoza définit comme des choses éternelles nécessaires à l’entendement pour appréhender des notions finies de durée et de grandeur.

Avec le courtier de Blyenberg, Spinoza défend ses positions déterministes à partir de lois divines auxquelles n’est accolé aucune notion de bien ou de mal et qui restreignent par un enchevêtrement de causes le libre arbitre humain.

Comme beaucoup d’hommes de son époque imprégnés de religion, De Blyenberg a beaucoup de mal à accepter l’idée d’un dieu indifférent et d’une vertu humaine reposant sur l’acquisition de connaissances vraies en usant de son entendement.

Ce refus n’est pas étonnant et les persécutions dont fut victime Spinoza proviennent en grande partie de sa critique des écritures saintes sources pour lui d’erreurs et juste bonnes à enseigner aux hommes l’obéissance.

Mais les développements les plus intéressants à ce sujets sont pour moi issus de la réponse de Spinoza adressée à Jacob Osten au Théologien Lambert de Velthuysen qui en voulant attaquer en profondeur l’athéisme de son système l’avait par effet ricochet fort bien résumé.

La réponse formidable de Spinoza montre que son système déterministe ne supprime pas les lois divines et morales régissant les hommes et les poussant à agir par désir de vertu et de connaissance et non par espoir ou crainte d’un jugement divin.

De manière plus inattendue Spinoza traite également des phénomènes irrationnels comme le troublant présage que Pierre Balling a ressenti avant la mort de son fils et des spectres avec le docteur en droit Hugo Boxel qui s’oppose avec force et talent au rationalisme un brin étriqué du philosophe dont le système rejette en bloc l’existence de ces corps intangibles et intermédiaires entre hommes et Dieu.

De Tschirnhaus oblige Spinoza à se démarquer de Descartes sur la notion de libre arbitre on l’a vu beaucoup plus restrictive et sur la manière d’acquérir des connaissances vraies en remontant à l’essence des choses.

Mais les attaques les plus virulentes contre Spinoza proviennent assurément de Albert Burgh ancien disciple converti à la religion catholique qui fustige les positions qu’il juge profondément hérétiques de son ancien maître.

Spinoza répond en philosophe mettant en doute la supériorité de la religion catholique sur les autres religions et reléguant au rang de superstitions les miracles proclamés dans les écritures saintes par les apôtres.

Sa position sera la même avec son ami Oldenburg avec les résurrections de Lazare et Jésus Christ à considérer selon lui sous un angle essentiellement allégorique.

En conclusion, malgré quelques passages moins captivants car ayant plus trait à la physique ou à la chimie, « Lettres » révèlent de formidables passages ou Spinoza soumis à un flot de questions et de critiques parfois agressives, se voit en position de préciser ses positions philosophiques à des esprits certes moins brillants que lui mais faisant office d’excellents faire valoir.

Bien entendu ce sont surtout les violents affrontements autour des questions religieuses qui ont attiré mon attention.

Spinoza prend en effet de grands risques en défendant des positions très dérangeantes pour les religions monothéistes avec la condamnation des erreurs d’interprétations des prophètes (juifs, chrétiens, musulmans) et la dénonciation de l’établissement d’une domination sur des âmes rendues aveugles, l’Islam étant  à ses yeux la plus dominante par le fait qu’elle place ses lois au dessus des lois civiles.

A ce titre on saluera le courage d’un penseur libre, qui accepta de vivre tout sa vie dans une semi clandestinité et d’exercer une modeste activité d’artisan alors qu’il aurait pu prétendre à des plus hautes distinctions.

Ce coté philosophe maudit r ayant eu la force de s’affranchir de sa religion originelle rend pour moi le personnage de Spinoza éminemment sympathique.

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