Géopolitique du nucléaire, pouvoir et puissance d'une industrie duale (Teva Meyer)
Paru en 2023, « Géopolitique du nucléaire, pouvoir et puissance d'une industrie duale » est un ouvrage écrit par le chercheur et maitre de conférence en géographie/géopolitique Teva Meyer.
Dans sa première partie, « Géopolitique du nucléaire, pouvoir et puissance d'une industrie duale » s'applique à démontrer que contrairement aux idées reçues, la maitrise de la production de l'énergie nucléaire ne place pas leurs détenteurs en situation d'indépendance énergétique.
En effet, lorsqu'on s’intéresse à tout le cycle de vie du nucléaire, on réalise que la chaine d'approvisionnement du combustible principalement de l'uranium 238, puis de son enrichissement ainsi que les circuits de traitements des déchets radioactifs, pèsent tout autant dans la balance.
Au petit nombre de pays maitrisant toute la chaine, s'ajoutent les difficultés de fournir toute son industrie lorsqu'on possède un parc nucléaire important.
Cette situation aboutit donc à une extrême interdépendances entre tous les pays qui ont développé des grands groupes industriels dans un secteur largement privatisé.
Et dans ce jeu, la Russie demeure un partenaire incontournable maitrisant par son entreprise clé Rosatom, toute la chaine du nucléaire.
Si les fournisseurs de combustibles sont nombreux et divers géographiquement, les intégrateurs et les constructeurs de centrales eux appartiennent à un club très fermé des « puissances nucléaires » maitrisant l'arme atomique.
Cette technologie acquise la plupart du temps par l'espionnage industriel et/ou les transferts de technologie, place les pays détenteurs en position de force sur le marché du nucléaire civil.
Longtemps leaders incontestés du marché de l'Ouest alors que les Russes prenaient l'Est de l'Europe, les États-Unis ne jouent plus les premiers rôles, l'Etat s'étant désinvesti progressivement en raison d'échecs retentissant dont le paroxysme est l'accident de Three Miles Island et également le développement de nouvelles sources d'énergie (pétrole d'Alaska, gaz de schiste).
La place de leader a donc partagée entre Russes, Chinois, Français et Coréens.
D'un point de vue géopolitique, la vente d'une centrale à un pays tiers n'est pas anodine et se traduit souvent par des relations de dépendances sur le long terme, une centaine d'années (entre les études et le démantèlement) estime le chercheur.
Si la crise énergétique mondiale provoquée par la guerre en Ukraine a réveillé l’appétit de pays comme l'Arabie Saoudite ou l'Inde, l'acquisition d'armes nucléaires est toujours soumis à un régime de prohibition mettant des pays comme l'Iran ou la Corée du Nord en situation de paria sur le plan international et alimente le trafic organisé par les organisations criminelles, même si la transformation de matières issues de l'industrie civiles en plutonium utilisable pour des missiles, n'est guère aisée.
Si le processus de réduction des stocks de têtes nucléaires est à l’arrêt et si les États-Unis décident au contraire de renforcer leur protection contre les missiles balistiques à longue portée, la recherche concernant de nouvelles technologie (réacteurs à fusion, petits réacteurs modulaires, réutilisation des déchets), ouvrent de nouvelles perspectives pour des pays africains, des sites éloignés (Arctique) ou même le déploiement de bases de l'US army.
En conclusion, clair et bien structuré, « Géopolitique du nucléaire, pouvoir et puissance d'une industrie duale » est un ouvrage clé dans la compréhension d'un des plus grands enjeux économique et sociétale du XXIieme siècle.
Mais loin des résumés pour le « grand public », le travail de Meyer démontre qu'aucun pays ne peut actuellement prétendre à maitriser toute la chaine du nucléaire (combustible/centrale/déchets) et que pour des raisons historiques liés à la Guerre froide (mais pas que), dans ce domaine l'interdépendance est de mise.
Cette interdépendance est plutot une bonne nouvelle d'un point de vue géopolitique dans la mesure ou elle oblige à une certaine coopération entre des pays aujourd'hui revenus à une ambiance de Guerre froide.
Enjeu de puissance plus symbolique, qu'économique au regard du poids toujours écrasant du charbon et du gaz, la maitrise du nucléaire aux nations une plus grande place sur l'échiquier mondial, l'aspect dual de la technologie ouvrant également une possibilité de protection par la dissuasion.
Si du fait des tensions internationales entre les super-puissances, l'aspect non-prolifération reste d'actualité avec le développement de programmes clandestins au nez et à la barbe de l'AEIA, l'aspecte technologie civile est actuellement en plein essor, les petits réacteurs modulaires (SMR) ouvrant de nouveaux débouchés pour des nations moins industrialisées.
Précis, intéressant et agréable, le travail de vulgarisation de Teva Meyer se montre d'utilité publique !
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