Paroles de poilus, lettres et carnets du front 1914-1918 (Jean-Pierre Guéno, Yves Laplume)

 5.gif

 paroles_poilus.jpg

Merveilleuse initiative de publier les lettres des soldats français de la Première guerre mondiale dans un ouvrage de Jean-Pierre Guéno et Yves Laplume, puis de le rendre en 2007 plus accessible en adaptant une sélection d’entre elles en format bandes dessinées pour donner « Paroles de poilus : lettres et carnets du front 1914-1918 ».

On trouve donc dans cet ouvrage découpé selon les quatre saisons une quinzaine de textes de soldats français pour la plupart jeunes et fantassins, accompagnés d’une courte biographie et de l’illustration de quelques planches de bande dessinée correspondante.

Disons le tout de go, la plupart de ces témoignages sont bouleversants de vérité et révèlent la violence absolue du quotidien de ces hommes du front confrontés à des conditions de survie inhumaines dans la boue, le froid, la vermine (poux, rats) , la malnutrition et les maladies, dans l’attente de combats effroyables au cours desquels la hiérarchie militaire mal informée lancera des charges suicidaires contre les tranchées ennemies.

A ce titre, les passages consacrés aux descriptions des blessures contractées lors de combats ou aux épouvantables visions de charniers humains à ciel ouvert sont les images les plus fortes comme les récits de Désiré Edmond Renault, sauvé miraculeusement de la mort par le dévouement de ses camardes et de quelques infirmières militaires ou du médecin auxiliaire Maurice Antoine Martin Laval témoin privilégiés des dégâts occasionnés sur les corps des hommes.

Bien entendu sur des thèmes pareils, les illustrations sont macabres et prennent souvent l’allure de scènes d’apocalypse comme les quelques planches de Juan Gimenez.

Outre le quotidien de la vie au front, les lettres trahissent l’humanité de leurs auteurs, soucieux de l’avenir de ce qu’ils ont laissé derrière eux : parents, femmes, enfants, amis, entreprise.

Certains tiennent à se montrer forts comme le tarnais Michel Taupiac, qui endure bravement les épreuves, la peur et ne dit pas redouter la mort, d’autres font part de leurs fêlures comme le sarthois Maurice Drans, nostalgique de son enfance à l’occasion de son anniversaire ou le parisien Gaston Biron, surpris de l’indifférence voir de la gêne des civils à son égard à son retour du front pour une courte permission.

De manière assez surprenante les lettres les plus patriotiques émanent de français d’origine étrangère comme de le roumain Lazare Silbermann ou l’israélite Henry Lange, qui estiment avoir un devoir à remplir envers leur pays d’accueil.

Le destin de Lange, jeune homme courageux abattu en 1918 à l’âge de vingt ans alors qu’il écrivait une dernière lettre à sa sœur lui expliquant son espoir de retour proche est déchirant et son illustration de Marc N’Guessan d’une sobriété dévastatrice.

Outre l’aspect dramatique, le lecteur est également frappé par quelques anecdotes plus légères mais aussi émouvantes comme la vision d’une petite fille croisée par Henri Aimé Gauthé leur de la traversée d’un village, anecdote magnifiée par le ton futuriste des dessins de Denis Bajram, les beuveries des soldats illustrées façon comic book par Cromwell, les étonnantes scènes de fraternisations franco-allemandes racontées par le soldat Gervais Morillon, la tenue d’un bal improvisé sur une gare brillamment mise en forme par Emmanuel Lepage ou l’histoire  d’un soldat ayant tenté de sceller une vache par erreur dans l’obscurité.

Dans le registre de l’absurde ma préférence est allée à Louis Bloch, qui écrit une superbe lettre à la compagnie du gaz pour expliquer que du fait de sa mobilisation et de l’engagement de son épouse comme infirmière militaire, il ne comprend pas pourquoi on lui réclame une facture pour un logement inoccupé.

En conclusion, « Paroles de poilus : lettres et carnets du front 1914-1918 » n’est pas une bande dessinée comme les autres et revêt le ton d’un drame intime qui a marqué la conscience collective française.

La Première guerre mondiale (tout comme la Seconde) fut une véritable hécatombe humaine dont le froid décompte mathématique en déshumanise quelque fois l’horreur.

La lecture de ces lettres bouleversantes, permet de se sentir proche et solidaire de ces soldats, tout en s’imaginant cent ans plus tôt à leur place subissant le même sort dans les tranchées.

Si les illustrations trop classiques se montrent souvent superflues, certaines d’entre elles apportent une dimension supérieure en ajoutant un facteur multiplicateur à la charge émotionnelle contenue dans les lettres.

On peut donc considérer que l’exercice de transcription en vaut largement la peine.

Commentaires