La modernité de l'esclavage, essai sur la servitude au cœur du capitalisme (Yves Bigot)

 



Paru en 2003, deux petites années avant la disparition de son auteur, le journaliste Yves Benot, « La modernité de l'esclavage, essai sur la servitude au cœur du capitalisme » traite avec rigueur de l'Histoire de l'esclavage.

Benot remonte tout d'abord aux sources les plus anciennes connues, celles de l'Antiquité avec la présence attestée d'esclaves dans les sociétés gréco-latines qui avaient besoin de main d’œuvre servile pour exécuter les travaux les plus pénibles, comme l'agriculture ou l’artisanat.

Les rares philosophes ayant évoqué le sujet prennent des positions étonnantes comme Aristote, le brillant penseur allant jusqu'à considérer « naturel » d'asservir des hommes esclaves par nature qu'il faudrait prendre chez les peuples des « Barbares ».

Aucune condamnation n'existe donc dans le monde antique, les Turcs et Arabes non musulmans puis musulmans pratiquant également l'esclavage en prélevant leur lot d'esclaves chez les peuples européens ou africains.

De manière moins connue, les peuples Africains et Amérindiens pratiquaient également l'esclavage, en prélevant des victimes chez leurs ennemis vaincus.

Les choses changent d'échelle avec les grandes expéditions maritimes du XVIieme siècle. Dans le prolongement de leurs grandes découvertes, les Portugais sont les premiers à instaurer l'esclavage, en utilisant d'abord les peuples indiens soumis dans les territoires conquis.

Les Espagnols, les Anglais, Hollandais et Français ne tardent pas à les imiter dans une concurrence malsaine.

Mais les Indiens s'avèrent une main d’œuvre peu rentable. Paresseux et indociles, ils préfèrent se laisser mourir que de faire ce que leurs nouveaux maitres attendent d'eux.

Pour pallier aux défections des populations locales, souvent copieusement massacrées, les Européens ont recours à la main d’œuvre d'Afrique noire.

Avec la complicité des rois africains qui y voient un moyen d'enrichissement et de progrès rapides, la traite des Noirs se met alors progressivement en place.

Victimes de razzias, les Noirs sont entassés dans des navires et après un voyage dans lequel 10% de pertes représentent la moyenne, ils débarquent aux Amériques pour travailler dans les plantations de tabac, coton, canne à sucre ou café.

Sans détour, Benot dénote l'absence totale de scrupules de grandes figures comme Christophe Colomb, Richelieu ou Colbert qui encouragent sur fond de racisme le mouvement.

L'attitude de l’Église se borne à une condamnation du bout des lèvres, jamais suivie d'effets au niveau local, les colons et gouverneurs forçant à partir les rares prêtres souvent dominicains à oser critiquer l'inhumanité des traitements reçus.

Sous alimentés, parqués, les esclaves travaillent jusqu'à la fin de leurs jours, subissant de durs châtiments en cas de mécontentement.

Les révoltes bien sur existent, les « marrons » prenant le maquis jusqu'à dans certains cas, il est vrai assez rares, créer des royaumes indépendants comme Zumbi au Brésil, mais presque tout le temps durement écrasés par des renforts militaires venus de métropole.

Alors que la religion et même les philosophes des lumières ne font pas grand chose pour les esclaves, l'analyse économique de Benot montre que le système était rentable pour les négociants, les pertes humaines importantes étant sans cesse compensées par un apport continu de nouveaux esclaves.

Les colonies participaient donc au dynamisme de l'économie européenne jusqu'à favoriser la révolution industrielle.

Et triste constat, lorsque l'abolition, sous l'impulsion de mouvement anglo-saxons particulièrement actifs finit par l'emporter, les gouvernements ferment ensuite hypocritement sur les agissements du mouvement colonisateur et de divers structures privées permettant par des « contrats de travail » à durée de plus 10 ans à conserver ce système bien pratique de travailleurs corvéables à merci.

Benot prolonge ensuite brillamment son analyse en expliquant que la mondialisation, tant vantée par les libéraux, participe encore maintenant à la perpétuation de l'esclavage dans le monde en délocalisant des usines utilisant des enfants ou des ethnies particulièrement brimées.

De manière cynique donc, les multinationales ont tout intérêt à ce que les guerres continuent de créer des poches de misère extrême afin de générer une main d’œuvre sans droits.

En conclusion, « La modernité de l'esclavage, essai sur la servitude au cœur du capitalisme » est l'ouvrage que je cherchais depuis longtemps pour disposer d'une vision globale de l'Histoire de l'esclavage.

Bien que non historien, Bigot réussit ce tour de force en couvrant une vaste période allant de l'esclavage sous l'Antiquité jusqu'à la perpétuation de l'esclavage dans le monde actuel, avec comme principales victimes les enfants utilisés cyniquement par des multinationales générant d'énorme profits.

Mais si tous les peuples ou presque ont pratiqué à des degrés divers l'esclavage, le point central de l'ouvrage reste la traite des Noirs, qualifié à juste titre de crime contre l'Humanité en raison de son ampleur (10 à 20 millions) et de sa durée (plus de cent ans).

Blessure encore vivace aujourd'hui en raison de ses liens évidents avec le racisme et le colonialisme, cette déportation de masse peut expliquer même encore partiellement pourquoi les populations noires descendants d'esclaves mal affranchis peinent à s'extraire de la spirale infernale de la pauvreté et de la violence, notamment aux États-Unis, au Brésil ou en Afrique du Sud.

Malgré donc une présentation un peu datée et aride, cet ouvrage doit donc être salué pour sa rigueur et la pertinence de ses analyses !

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