Les grands penseurs de l'Inde (Albert Schweitzer)

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 La philosophie toujours mais abordée sous un jour sans doute moins connu en Europe avec « Les grands penseurs de l’Inde » d’Albert Schweitzer prix nobel de la paix en 1953.

Dans cet ouvrage, le philosophe et médecin alsacien s’attache à décrire les principaux courants de pensée nés en Inde et encore particulièrement vivaces de nos jours avec notamment le bouddhisme et l’hindouisme.

Schweitzer s’intéresse tout d’abord aux racines de la pensée indienne avec le brahmanisme construit sur les bases des textes et rites védiques importées vers 1500 avant Jésus Christ d’Iran en Inde.

Se basant sur des textes sacrés comme le Rig-Veda,  le brahmanisme développe ensuite ses propres textes (Brâhmanas et Upanishads) pour affirmer une religion polythéiste moniste persuadée que le monde matériel et le monde spirituel gouvernées par des puissances divines cachées (Brahma, Shiva, Vishnou) ne font qu’un.

Ceci constitue la différence essentielle avec la plupart des philosophies occidentales et religions polythéistes qui séparent le monde matériel et le monde spirituel.

Structurés en castes ou les prêtres puis les guerriers sont dominants, les brahmanes nient la réalité du monde matériel et prônent dans l’absolu un retrait de celui-ci marqué par une vie ascétique et l’adoption de rituels mystiques à base de sacrifices, de médiation et de chant visant à entrer en extase et se rapprocher de la conscience universelle surnaturelle.

Cette approche se place donc en opposition avec la pensée occidentale qui puissamment ancrée dans la réalité à développé une conception basée sur l’éthique (morale) du monde.

Le brahmanisme incorpore ensuite la description de cycles de réincarnations (samsara) auquel doit se soumettre tout être humain avant de pouvoir par une pratique assidue des rites religieux prétendre à accéder à la délivrance.

Mais selon Schweitzer ce cycle de réincarnation sied assez mal avec les fondements de la doctrine brahmane, qui n’attribue pas de liens de causalité entre l’accession à l’état de félicité universel et les principes d’actions morales.

D’autres doctrines apparaissent cependant tel le samkhya qui établit l’union entre l’âme immatérielle par nature transcendante et la matière par le biais de l‘esprit, ou le jainisme de Mahâvîra qui établit clairement une influence entre l’accession à la délivrance et une conduite morale irréprochable sur terre en adoptant notamment le principe d’honnêteté, de sincérité, de chasteté et de non violence (ahimsa) à l’égard des êtres vivants.

Le jainisme prépare sans le savoir l’arrivée de la plus grande révolution spirituelle asiatique avec l’apparition du bouddhisme au V ième siècle après Jésus Christ.

Tout en conservant le principe de négation du monde fondateur de la pensée indienne et certains acquis du jainisme, Bouddha rejette les textes sacrés du brahmanisme, nie l’âme universelle, atténue le pouvoir des divinités considérées comme éphémères, rejette l’ascétisme comme condition d’accès au Nirvana et préfère y associer des notions de perfectionnement individuel basés sur la non violence, la bienveillance, la contemplation et la compassion.

Pour Bouddha, en effet l’adoption de ce code moral agissant sur le karma d’un individu permettra seul de sortir du cycle de réincarnations de la vie terrestre et de son lot de souffrance..

Même si la doctrine bouddhique reste passive et ne s’accompagne toujours pas d’une volonté de gouvernance éthique du monde, elle introduit néanmoins des notions considérablement moins mystiques, plus éthiques et plus ancrées dans la réalité matérielle.

Bouddha élargit  également l’accès à la caste des moines à celles des serviteurs et des femmes jusqu’alors reléguées dans les couches basses de la société indienne.

Par la suite le bouddhisme évoluera pour développer son ancrage dans la réalité avec la doctrine du Mahayana qui ne fait pas de l’accession au Nirvana le but ultime de l’existence mais plutôt de poursuivre le cycle de réincarnation pour contribuer par la diffusion de la pitié au salut du monde.

Sous cette forme plus en accord avec les aspirations naturelles des hommes, le bouddhisme mahâyâniste se répandra en Chine ou il trouvera sa place à coté des doctrines de Confucius et de Lao Tse, et au Japon ou il cohabite sans peine avec le Shintoïsme primitif.

Pourtant, le bouddhisme entravée par une conception trop révolutionnaire et passive de l’existence sera rapidement dépassé en Inde par l’hindouisme religion ancestrale également basée sur les textes védiques, qui fera le lien entre l’éthique morale et la spiritualité autour d’un dieu unique Vishnu ou son incarnation Krishna.

Tout en reconnaissant la négation du monde, l’hindouisme tolère aussi bien l’ascension vers Vishnu par le retrait du monde que celle conduite par une activité éthique alliant devoir, prospérité, désir dans un abandon total au dieu.

Mais l’hindouisme évoluera également sous l’influence de penseurs modernes  du XVIII et XX ième siècle comme Tagore, Vivekananda qui prônent l’amour de leurs prochains et Gandhi qui fit du principe de non violence une arme politique pour arracher via la résistance passive des avancées sociales pour son peuple.

En conclusion, « Les grands penseur de l’Inde » est un livre qui réussit le tour de force de traiter relativement clairement d’un sujet prodigieusement complexe.

Schweitzer se mue en passeur entre des religions/philosophie orientales souvent méconnues en Europe et pourtant capitales en terme d’influences mondiales.

L’auteur pose d’entrée l’antagonisme Occident/Orient avec d’un coté une conception éthique et rationaliste du monde et de l’autre une vision plus mystique et spirituelle avant d’observer dans cette dernière au fil du temps l’incorporation progressive d’éléments éthiques permettant de concilier vision religieuse transcendantale et adoption de  règles pratiques de vie ancrées dans la société humaine.

Vous ne sortirez donc pas expert en Brahmanisme, Jaïnisme, Bouddhisme ou Hindouisme en sortant de la lecture de ce livre mais ouvrirez de manière exceptionnelle votre esprit.

Une œuvre assurément immense pour tous les bienfaits qu’elle procure.

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