Bad blood (John Carreyrou)

 




En 2018, le journaliste du Wall Street Journal John Carreyrou sort « Bad blood » adapté de la passionnante enquête d’investigation ayant mené à la découverte d’une des plus grandes escroqueries de la Silicon Valley, l’affaire Theranos.

Fondée en 2003, Theranos est la création d’Elisabeth Holmes, une étudiante de très bonne famille américaine, qui fascinée par Steve Jobs, n’a pas eu la patience de terminer ses études à Stanford pour se lancer dans la création d’une start-up à 22 ans.

Obsédée par la santé, Holmes a dans l’idée de révolutionner le monde des tests en laboratoire en commercialisant une machine quasi universelle capable de réaliser 50 tests en parallèle à distance à partir d’un petit prélèvement de sang capillaire et non intraveineuse.

Très déterminée, Holmes parvient à convaincre son maitre de stage, le doyen de l’Université, Channing Robertson de l’accompagner dans cette aventure.

Leurs relations dans les milieux scientifiques et surtout d’affaires, leur permettent rapidement de recruter du personnel de bon niveau mais surtout de lever des fonds auprès de sociétés spécialisées dans le capital-risque, suite au développement d’un prototype appelé l’Edison.

Mais rapidement la fiabilité de la machine devient la question centrale des équipes de développement : la miniaturisation voulue par Holmes ainsi que le fonctionnement à partir de toutes petites quantités de sang prélevées ne permet pas à l’Edison de donner des résultats répétables.

Ces bugs à répétition n’entravent en rien la volonté farouche de réussir de Holmes qui licencie sans ménagement les employés trop critiques et continue sa démarche de séduction des investisseurs.

Lorsque Ramesh Balwani, son compagnon, un homme d’affaire d’origine pakistanaise ayant fait fortune de manière trouble dans la Silicon Valley la rejoint en 2009 en qualité de directeur adjoint, les méthodes de management de la start-up se durcissent encore.

Notoirement incompétent dans le domaine médical, Balwani compense par un caractère volcanique et une fâcheuse tendance à l’intimidation des salariés contraints à faire des horaires à rallonge et à signer de stricts contrats de confidentialité.

Balwani augmente la paranoïa de Holmes mais également ses prévisions concernant des profits toujours plus faramineux.

Dans le monde résolument optimiste de la Silicon Valley, cette jeune femme séduisante à la voix grave séduit et parvient à lever des millions de dollars d’investissements au motif que des géants comme Pfizer ou Novartis sont intéressés par le produit.

Lorsque les campagnes d’expérimentation échouent, Holmes et Balwani retournent la situation avec panache et parviennent à séduire deux industriels majeurs : Walgreen et Safeway.

Si Holmes rate un contrat avec l’armée américaine en raison de la compétence d’un lieutenant-colonel expert en réglementation médical, elle n’en réussit pas moins à ranger à ses côtés le prestigieux général James Mattis du corps des Marines, qui deviendra secrétaire de la Défense sous Trump.

A chaque fois, ces hommes influents, généralement d’âge mur, se laissent séduire par Holmes, son charisme, son optimisme et sa volonté de réussir.

Experte en communication, Holmes vend à merveille le concept de sa société et fait la une des plus grands médias de son pays comme le New York Times, le Wall Street Journal ainsi que les grandes chaines de télévision.

Mais derrière le côté pile séduisant et lumineux, se cache la face sombre de Theranos, qui devant les bugs à répétition de son second prototype appelé le Minilab, acquiert d’autres machines industrielles de Siemens pour truquer à partir d’échantillons de sang dilués les résultats et duper ainsi ses clients.

Lorsque des employés, mal à l’aise avec le fait de mettre la santé des gens en jeu, finissent par démissionner sous la pression de l’équipe dirigeante, le coté agressif et menaçant des avocats de Theranos entre en action pour les réduire au silence et les laisser repartir avec leur peur et leur traumatisme.

L’histoire de Theranos va pourtant finir par arriver aux oreilles de Carreyrou, journaliste d’investigation au WSJ par le biais du blog d’un médecin, qui a osé émettre une critique publique de cette société relayée par Richard Fuisz.

L’orgueilleux Richard Fuisz, est un ex médecin chef d’entreprise et proche de la famille Holmes qui a lui-même subi les conséquences d’un dépôt de brevet visant à torpiller ce qui s’annonçait comme un rival potentiel, en étant contrait par les pressions juridiques à retirer son dépôt sous peine de connaitre la ruine.

Intrigué, Carreyrou entre alors en contact avec d’anciens employés dont le directeur du laboratoire Alan Beam, la qualiticienne Erika Cheung  et Tyler Schulz, le petit fils de George Schultz, un homme d’état séduit lui aussi par Holmes et entré au conseil d’administration de Theranos.

Lentement, patiemment, Carreyrou remonte les pistes, vérifie ses sources, accumule les preuves et les témoignages non seulement d’anciens employés mais également de médecins et de patients ayant frôlé la catastrophe après avoir subi les énormes défaillances des appareils de Theranos.

Mais la société qui pèse aujourd’hui 6 milliards de dollars dont 4,5 milliards pour Holmes est devenue une infernale machine juridique avec à ses coté le meilleur avocat du pays, David Boies et son associée la terrible Heather King.

Face à Boies qui n’hésite pas à employer des détectives privés pour intimider la partie adverse, beaucoup de témoins se rétractent mais Carreyrou peut compter sur le courage de Alan, Tyler, Erika et Rochelle Gibbons, la veuve du brillant biochimiste Ian Gibbons, suicidé peu après avoir été menacé par Theranos malgré le fait qu’il ait été l’auteur de la plupart des brevets de la société.

Carreyrou est appuyé par sa hiérarchie et même le puissant patron de presse Rupert Murdoch, pourtant investisseur auprès de Theranos après avoir comme beaucoup succombé à Holmes, ne répond pas aux demandes de censure afin de conserver la neutralité journalistique du WSJ.

Holmes et ses avocats font pourtant tout pour faire interdire la parution d’un article assassin sur Theranos mais Carreyrou résiste et lorsque son article parait, il pousse la FDA à réagir en lançant des inspections surprise révélant de nombreuses non conformités de la société vis-à-vis de la réglementation.

Dès lors, malgré ses appuis politiques notamment auprès du clan Obama et Clinton, Holmes va éprouver de plus en plus de difficultés à masquer la réalité des faits : ses machines ne sont pas fiables et mettent en péril la santé des patients.

Aux enquêtes des structures gouvernementales de la santé qui avaient été jusqu’ici dupées par le fonctionnement de Theranos, succèdent une suspension de licence d’exploitation puis une instruction de la Security and Exchange Commission.

Face au tumulte, les partenaires et les investisseurs se retirent et Theranos se voit peu à peu ruinée par les colossaux frais de justice engagées pour se défendre et indemniser les victimes regroupées dans un collectif.

Holmes rompt avec Balwani qui disparait dans la nature pour tenter d’échapper aux poursuites puis également avec Boies qui était lui aussi entré au conseil d’administration de Theranos.

L’entreprise est finalement dissoute en 2018 alors qu’une enquête pour fraude criminelle est ouverte par le FBI avec des risques de prison ferme pour Holmes et Balwani (jusqu’à 20 années).

En conclusion, « Bad blood » est une plongée fascinante dans le mondes des « licornes » ses sociétés high tech californiennes comme Uber ou Spotifiy, qui à partir d’une idée a priori géniale sont censées révolutionner un secteur et générer des milliards de dollars de bénéfice.

Mais comme le souligne à juste titre Carreyrou, le secteur médical est beaucoup plus complexe et risqué que celui du divertissement ou de la communication car il touche à la compréhension profonde des mécanismes biologiques humains.

En négligeant cette complexité et en pensant que les relations politico-financières l’emporteraient sur les sévères réglementations, l’ambitieuse Holmes a commis une lourde erreur d’appréciation.

Plus que l’histoire d’un retentissant ratage qui aurait pu conduire à un scandale sanitaire majeur, « Bad blood » est l’histoire d’une manipulation à grande échelle, d’une prédatrice que le journaliste qualifie de « sociopathe » incapable d’écouter des gens plus qualifiés qu’elle et persuadée que tout personne se mettant en travers de sa route devait être neutralisée au sens juridique du terme, même si la mort de Gibbons peut fortement être liée à sa situation marginalisée au sein de sa dernière entreprise.

Cette enquête se lit donc avec passion comme un polar US, avec ses gentils, ses méchants, ses coups tordus, ses rebondissements et sa conclusion pour une fois quasi morale !


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