Les nouveaux riches, un ethnologue dans la Silicon valley (Marc Abélès)

 



En 2002, l’ethnologue Marc Abélès sort de son milieu d’étude politique traditionnel pour s’intéresser à la Californie dans « Les nouveaux riches, un ethnologue dans la Silicon valley ».

Cet ouvrage porte en réalité sur un axe précis, celui de l’étude des mouvements philanthropiques américains et ceux plus particulièrement issus du célèbre berceau de la high-tech.

Cette zone géographique assimilée à la baie de San Francisco jusqu’à San José se caractérise en effet par le très haut niveau de vie de ses habitants, dopé par le dynamisme des entreprises du secteur.

Ce fut Hewlett-Packard qui en 1938 prit en premier le risque de délaisser la Cote Est pour s’implanter en Californie, suivi ensuite par Intel, Sun et Apple.

Comme son nom l’indique, au départ, les entreprises firent fortune en construisant des composants électroniques, décrochant de mirifiques contrats pour l’État notamment l'armée et l’aérospatiale.

Aujourd’hui, les géants du logiciel ont pris le dessus sur les fabricants d’électronique et mis à part Microsoft établi à Seattle, tous ou presque résident en Californie.

Ce dynamisme attire des cerveaux du monde entier, les Asiatiques et les Indiens étant les plus prisés mais derrière cette richesse apparente se cache une réussite à deux vitesses qui ne bénéficie pas aux populations hispaniques et noires, laissées en dehors du miracle économique.

Comme l’explique Abélès on peut faire fortune très vite dans la Sillicon valley et certains jeunes entrepreneurs décident de redistribuer une partie de leur richesse en créant ou finançant des fondations.

Cette notion toute américaine du don n’est pas nouvelle, des magnats de l’industrie comme Rockefeller, Roosevelt, Kellog ou Ford le pratiquaient déjà mais ici les startupers ne cherchent pas à soulager leur conscience en distribuant « à l’aveugle » dans des œuvres sociales, mais pratiquent une politique sociale reproduisant les méthodes de gestion de l’entreprise.

Dopés à la culture du risque et de l’optimisme, les « startupers » ont la certitude de changer la face du monde avec leurs logiciels et décident sans complexe d’étendre leur influence pour améliorer le sort de leur concitoyen en participant à des programmes sponsorisant la culture, la santé ou l’environnement.

Abélès tente de décrypter les mécanismes profonds de cette culture relativement nouvelle du don en Californie et explique qu’en réalité cette philanthropie se nourrit de recherche d’optimisation fiscale, de culte de la personnalité et d’une grande dose de naïveté.

Payer moins d’impôts est certes important mais donner une image « positive » et « éthique » de son entreprise l’est tout autant.

La notion de réseau est primordiale pour réussir en Californie, aussi organiser ou participer à des galas de charité est en réalité un moyen particulièrement efficace de tisser ou d’entretenir ce réseau.

Obsédés par la rentabilité, les entrepreneurs tentent d’évaluer les « performances » ou tout du moins les impacts de leurs actions, en négligeant des paramètres plus complexes et plus difficilement mesurables.

Lorsqu’Abelès a la judicieuse idée de sortir de ce creuset de nouveaux riches férus de technologie et traverse simplement la Bay pour aller à Richmond, il découvre des associations plus proches du terrain travaillant sur des axes plus simples et essentiels comme l’accès à un travail, à un logement et à la nourriture pour aider à la réinsertions de délinquants ou d’handicapés.

Réduire la fracture numérique ou financer la lutte contre le cancer sont certes des activités nobles, mais ont un impact plus diffus et indirect sur la vie des voisins pauvres des startupers.

On constate donc que cette philanthropie est basée sur une stratégie de communication de groupe aidée par des « conseilles en éthique » gravitant autour des entrepreneurs eux-mêmes de plus en plus formés au business des fondations dans leurs grandes écoles.

En conclusion, « Les nouveaux riches, un ethnologue dans la Silicon valley » ne donne pas au final une image si séduisante de la Silicon valley en montrant surtout une microsociété sans idéaux spirituels autres que la réussite et l’argent, mais persuadée que cette réussite capitalistique doit s’accompagner d’une politique sociale.

Compte tenu de son poids économique, la Silicon valley surpasse l’action sociale des institutions américaine et revendique l’idée que les initiatives privées d’un petit nombre d’élus sont plus efficaces que les lourds programmes étatiques.

Si cette complémentarité voir opposition privé/public est beaucoup plus prégnante aux USA qu’en France ou l’Etat reste le grand ordonnanceur du secteur social, l’ouvrage d’Abélès souligne que cette politique philanthropique n’est qu’un prolongement de la stratégie d’entreprise pour accroitre son influence et s'assurer une image valorisante au sein de la société.

On reste également dubitatif sur le peu de recul de ces entrepreneurs réellement persuadés de pouvoir s’attaquer à des problèmes aussi complexes que la réduction du chomage ou des inégalités parce qu’ils ont réussi à mettre au point une nouvelle application plus rentable que les autres.

Il est probable que ce monde irréel pourrait s’effondrer sur un simple retournement économique et ramener à la dure réalité ces jeunes loups obsédés par leur propre image et leur nombrilisme.

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