Le dossier noir des mafias russes (Hélène Blanc)

 



Spécialiste du monde slave et russe en particulier, la chercheuse du CNRS Hélène Blanc se distingue par une abondante production consacrée au sujet, notamment « Le dossier noir des mafias russes ».

Publié en 1998, cet ouvrage propose une analyse du phénomène spécifique de la Mafia russe.

Si les organisations criminelles opérant dans divers trafics ont semble-t-il toujours existé dans l'Histoire, l'effondrement du bloc de l'URSS au début des années 90 et surtout la libéralisation rapide de l'économie russe avec une ouverture vers l'étranger a fait explosé le phénomène.

Blanc explique que depuis le Stalinisme et d'adhésion de la Russie à un pouvoir centralisé totalitaire, les fonctionnaires membre de la Nomenklatura du PCUS avaient déjà pris l'habitude de la corruption : « pots de vins » et « marché noir » constituant deux piliers essentiels de la vie en URSS.

Au début des années 80, sous l'impulsion d'Andropov ex directeur du KGB, plusieurs procureurs juges anti mafias (Naidenov, Gdylan, Ivanov) mènent de courageuse enquêtes contre des affaires de corruption de grande envergure impliquant le chef des communistes de Stochi ainsi que des membres du Politburo en Ouzkebistan.

Mais l'arrivée de Gorbatchev, donne un coup d’arrêt à cette vigoureuse politique anti corruption et offre à la mafia traditionnelle de nouvelles opportunités inédites en ouvrant l'ex URSS à l'économie de marché.

Les nouvelles entreprises crées sans réel contrôle étatique prolifèrent, ouvrant la porte à toutes les possibilités d'escroquerie mais également de racket.

L'arrivée au pouvoir d'Elstine et la dissolution du PCUS met en évidence le pillage des réserves d'or de la Russie mais l’enquête confiée au cabinet américain Kroll met en évidence des implications à des niveaux tellement élevés de l'Etat, que ses conclusions étouffées et qu'en parallèle, de nombreux anciens fonctionnaires se « suicident ».

Face à la crise économique provoquée par une inflation mal maitrisée, 80% de la population se trouve à vivre sous le seuil de pauvreté tandis que comme souvent l'élite s'accapare les plus grandes richesses.

L’État privatise ses ressources (pétrole, bois, pierres précieuses, qui tombent aux mains de la mafia proches des cercles du pouvoir. Le pays est divisé entre principaux « clans » : ukrainiens, géorgiens, tchétchènes, ouzbeks, arméniens, azéris...

Disposant d'armées privées, recrutées souvent parmi les anciens d'Afghanistan, ces bandes utilisent la terreur pour assoir leur autorité face à leur rivaux.

Toutes puissantes, elles n'hésitent pas à provoquer des conflits inter-ethnies pour développer leurs trafics : armes, drogue, denrées alimentaires ou êtres humains (femmes, enfants).

Leurs liens avec la politique, l'armée et la justice permettent souvent à leurs cadres de rester hors d'atteinte des rares enquêtes les visant, et les courageux fonctionnaires ou journalistes s’intéressant à ces sujets courrent souvent des gros risques allant de l'intimidation jusqu'à l’assassinat.

Au plus niveau de l'Etat, malgré quelques déclarations pleines de bonnes intentions, ni le général Lebed, ni Elstine n'ont été en mesure d'endiguer cette inexorable poussée.

Mais la grande force de la mafia russe, est sa capacité à s'exporter internationalement par le biais de ces diaspora jusqu'à être considérées comme une menace pour la sécurité nationale des États-Unis.

Ayant conclu des accords avec leurs « collègues » italiens et colombiens, les mafias russes disposent d'un rayonnement mondial et de structures leurs permettant de blanchir leurs profits en investissant en Europe de l'Ouest ou en Amérique du Nord.

En conclusion, « Le dossier noir des mafias russes » est un ouvrage rigoureux bien qu'aujourd'hui daté et forcément dépassé.

Même si il lui manque l'analyse de l'ère Poutine, son principal mérite est d'apporter un éclairage sur la période charnière ayant succédé à l'effondrement de l'URSS, présentée comme un accélérateur exceptionnel de l'ascension de la criminalité organisée en Russie.

A ce titre, si Elstine est présenté comme bien conscient du problème mais impuissant à agir concrètement et efficacement, le constat pour Gorbatchev qui jouit à l'Ouest d'une aura de grand démocrate est beaucoup moins favorable, l'ex dirigeant étant accusé de complaisance à l'égard des puissantes mafias se développant à vitesses grand V lors de la privatisation de l'économie post soviétique.

Mais en réalité, la tache des dirigeants était quasi insurmontable : un pays-continent immense, très divers ethniquement, regorgeant de ressources naturelles et un système de corruption déjà généralisé à l'ère soviétique, qui profitait principalement aux fonctionnaires communistes, membres de la Nomenklatura.

Compte tenu des ramifications de la corruption aux plus hautes strates de la politique russe, on comprend mieux l'embarras des présidents à l'idée de réaliser de violentes purges visant à se séparer de leurs fidèles collaborateurs.

En pareilles conditions, certains ont donc préféré négocié et laisser la mafia russe devenir la plus plus puissante internationalement en tirant profit de tous les plus lucratifs secteurs de l'économie (energie, transport, luxe, armement, drogue, êtres humains).

Restent les efforts de quelques courageux fonctionnaires et journalistes mettant souvent leur vie en jeux et surtout un immense préjudice pour le peuple russe, maintenu dans un état de pauvreté et de violence par ce système paralysant le développement économique, la grande question étant, la situation ne s'est-elle pas dégradée plus de 25 ans après l'écriture de ce livre ?

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