Tchétchénie : une affaire intérieure ? (Anne le Huérou, Aude Merlin, Amandine Regamey, Silvia Serrano)

 



Sorti en 2005, « Tchétchénie : une affaire intérieure ? » est un ouvrage universitaire rédigé à huit mains (féminines), spécialisées en sociologie (Anne Le Huérou) ou sciences politiques (Aude Merlin, Amandine Regamey, Silvia Serrano).

Les auteures tentent ici de décrypter les mécanismes complexes ayant abouti à une guerre entre la Russie et la Tchétchénie.

A l'origine, la farouche volonté indépendance des peuples caucasiens (Géorgiens, Ingouches, Daghestanais), majoritairement des rudes montagnards (le mont Kazbek culime à 5407 m) gouvernés par des systèmes claniques et considérés comme des citoyens de seconde zone, arriérés et dangereux par les slaves russophones.

L'URSS de Staline acceptant mal qu'on lui résiste de nombreux Tchétchènes furent déportés après la Secone guerre mondiale, et ce en dépit de leur engagement dans l'Armée rouge pour combattre le Nazisme.

En parallèle de ces déportations massives, les Russes ont colonisé le pays avec une population vivant plutot au Nord, la région du Sud, montagneuse, pauvre et reculée étant jugée moins intéressante économiquement.

Les Russes occupaient souvent les meilleurs postes dans l’Administration ou l'Industrie et les rares Tchétchènes parvenant à tirer leur épingle du jeu étaient les plus « russophones » ayant accompli des brillantes carrières dans l'administration soviétiques et souvent mariés à des femmes russes.

En 1991, tout bascule avec l'écroulement de l'URSS. Encouragé par le discours d'ouverture de Elstine, la Tchétchénie saisit sa chance et proclame son indépendance.

Sous l'impulsion d'hommes politiques locaux comme Djokhar Douadaev, elle développe un discours nationaliste, se voyant comme une nation colonisée, opprimée par l'impérialisme russe. C'est le temps du reniement de l'influence russe, du retour à la culture tchétchène : langue, règles claniques (notamment vendetta) et volonté de réappropriation des ressources pétrolières.

Soucieuse de préserver le contrôle d'un oléoduc traversant le pays, la Russie réagit et en 1994, une intervention militaire a lieu, déclenchant une guerre de deux ans, se soldant par 100 000 morts et une défaite surprise de l'Armée rouge, alors en plein écroulement.

Mais la Tchétchénie « indépendante », ravagée par la guerre, noyautée par l'islamisme radical d'inspiration wahhabite alors que son islam est plutot soufi à la base, ne parvient pas à se développer et continue d'entretenir des rapports d’extrême tension avec la Russie.

Après les attentats de 1999 puis de meurtrières prises d'otages utilisant des femmes dont le « martyr » est valorisé, une seconde guerre éclate, mais cette fois Vladimir Poutine accède au pouvoir et décide de gagner par tous les moyens entrainant les belligérants dans une escalade meurtrière devant un Occident à l'heure de la coopération internationale économique et militaire avec la Russie, devenu subitement sourd et aveugle devant les accusations de crimes de guerre et de génocide.

En conclusion, « Tchétchénie : une affaire intérieure ? » m'a déçu car j'aurais sans doute préféré un ouvrage d'historien travaillant sur les batailles ayant fait basculer le conflit dans un camp puis l'autre, ainsi que les répercussions géopolitiques des dénouements.

Autre défaut, le livre, qui se conclut en 2005 soit quatre ans avant la fin de la guerre délivre un constat forcément incomplet en faisant état de l'incapacité russe à régler un conflit, alors qu'aujourd'hui par l’intermédiaire de son président Ramzan Kadyrov et de ses milices pro-russes, c'est bien la Russie qui a remporté le conflit et instauré un régime de fer.

A la place, les auteures effectuent un travail sociologique et politiques, que j'ai trouvé moins intéressant, avec une légère tendance à prendre parti pour le « faible » état rebelle et indépendant face à l'ogre impérialiste russe.

L'importance des ressources pétrolières tchétchène ainsi que de l'islam radical est ainsi minorée, tout comme l'appartenance à la grande internationale djihadiste, analyse qui après l'affaire Samuel Paty peut être remise en question aujourd'hui.

Dommage donc que ce conflit « oublié » l'un des plus meurtriers en Europe post Seconde guerre mondiale, ne bénéficie pas d'une meilleurs couverture universitaire aujourd'hui !

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