Apprendre à vivre : Lettres à Lucilius (Sénèque)

 



La philosophie stoïcienne de nouveau à l'honneur avec les « Lettres à Lucilius » de Sénèque compilées sous l’appellation « Apprendre à vivre ».

Lorsqu’il écrit cette pseudo correspondance à un ami dont on a jamais prouvé l’existence, Sénèque est âgé, retiré de la vie politique pour cause de disgrâce auprès de l’empereur Néron.

Esseulé et retiré dans sa propriété, le philosophe a donc tout loisir pour méditer sur ses propres erreurs et définir une philosophie de vie qu’il fait mine d’enseigner à distance à Lucilius.

Avec un style volontairement limpide et souvent magnifique, Sénèque décrit le mode de vie idéal du sage fondée sur la recherche de la vertu passant par un refus des richesses, des honneurs et de tous les plaisirs qui asservissent l’homme dans une vaine poursuite.

Dans un monde par nature incertain et instable puisque soumis aux lois imprévisibles de la Fortune, il propose à son ami d’apprendre à cuirasser son âme pour faire face en toute circonstance aux pires aléas de l’existence.

Pour Sénèque le Sage doit être capable de  se contenter du strict nécessaire à la survie de son corps et davantage soigner son âme dans une lutte de tous les jours passant par des fréquentations et des lectures précautionneusement choisies loin des dangers de la vie politique.

Le courage du Sage doit être tel qu’il doit pouvoir accepter de perdre tous ses biens sur un coup du sort, mais également de ne pas s’affliger de la perte d’un proche (ami, enfant) ou même de sa propre déchéance menant à la mort.

On touche ici pour moi toute la profondeur de la pensée de Sénèque qui est un mépris de la douleur physique ou psychologique pour tendre vers un mépris de la mort, source de la plupart des angoisses humaines.

Sénèque propose donc une philosophie de vie menant à supprimer les infernales angoisses du lendemain qui nous sont plus destructrices pour nous que le mal lui même qu’il est sensé receler.

Il s’agit non pas de vivre plus longtemps mais plus pleinement comme si chaque jour pouvait être le dernier et d’être prêt le cas échéant à accepter la mort si le moment est venu.

Sénèque s’étend longuement sur le suicide qui peut être une solution applicable lorsque les circonstances l’exigent dans des situations sans issue comme lors d’une longue maladie ou d’un supplice.

L’exemple de Caton se suicidant après qu’il eut également condamné Pompée et César est ici tenu en haute estime comme un modèle de courage.

Bien qu’issus d’écoles différentes à la sienne, Épicure et Platon sont souvent cités en exemples tout comme quelques vers du poète Virgile.

En revanche, Sénèque prend ses distances avec les Sophistes et les Dialecticiens dont le discours d’aspect rhétorique complexe est pour lui sans intérêt.

Les Cyniques trop excessifs et les Sceptiques trop peu constructifs sont également rejetés.

En conclusion, « Apprendre à vivre : lettres à Lucilius » est un formidable ouvrage d’une puissance inouïe définissant à lui seul le cœur de la pensée Stoïcienne.

Sénèque se répète il est vrai souvent usant de différentes métaphores d'une élégance rare pour réaffirmer plus fortement sa théorie.

J’ai eu quelques fois un peu de mal à tomber d’accord sur les passages ou il recommande l’insensibilité par rapport à un deuil ou à une grande douleur physique qui pour moi de toute manière marquent de manière indélébile quelle que soit la volonté consciente qu’on peut mettre à les combattre.

Pour autant dans un monde ou la recherche infinie du profit, l’individualisme forcené et la société de consommation la plus compulsive possible, rendent au final les gens riches matériellement mais pauvres spirituellement et souvent malheureux, la philosophie de Sénèque me paraît receler toutes les armes permettant de combattre toutes ses dérives en menant une vie simple, à son propre rythme en retrait et centrée sur son développement intérieur.

Vivre sa vie le plus pleinement possible en se concentrant sur le présent me paraît être une formidable façon de voir les choses.

Ce livre formidable recèle donc peut être toutes les clés d’une vie équilibrée et heureuse, mais combien de personnes le savent ?

A part les étudiants, les enseignants et les chercheurs, qui lit Sénèque aujourd’hui ?

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