Les services secrets russes, des tsars à Poutine (Andrei Kozovoi)
Sorti en 2010, « Les services secrets russes, des tsars à Poutine » est un ouvrage du jeune historien français d'origine russe Andrei Kozovoi.
Comme tout travail d'historien, Kozovoi commence par rappeler la difficulté d'avoir accès aux « sources » relatives à son sujet du fait du peu d'empressement des services secrets modernes à ouvrir leurs archives.
Pourtant malgré des sources lacunaires, Kozovoi commence par rappeler que le culture de l'espionnage a toujours été vivace dans la Russie des tsars, dans la féroce compétition qui l'opposait aux grandes empires, comme celui des Ottomans ou de l'Angleterre.
Pourtant, la tant redoutée Okhrana, n'a pas pu empêcher la révolution bolchévique de 1917 emmenée par Lénine. Comme tout régime autoritaire ayant pris le pouvoir par la force, l'URSS utilise l'espionnage pour lutter contre les mouvements des « russes blancs » qui depuis l'étranger, sont susceptibles de fomenter des opérations pour reprendre les rênes du pays et entreprend de massives « purges » auxquels personne n'échappent, y compris militaires et fonctionnaires fidèles au régime.
Les deux guerres mondiales accélèrent encore cette paranoïa, Staline alors au pouvoir s'appuyant sur la Tchéka puis le NKVD et enfin le KGB pour traquer et éliminer son ennemi Trotski puis déployer un complexe jeu géopolitique envers ses « alliés » et « ennemis », qu'ils soient Allemands, Anglais, Japonais ou Américains.
Malgré la qualité de ses agents, notamment le journaliste Richard Sorge, Staline ne met rien en œuvre pour contrer l'opération « Barbarossa » et les troupes russes sont prises de cours par l'invasion massive des troupes d'Hitler.
Le rôle des agents secrets dans les batailles emblématiques comme Stalingrad est fortement atténué, mais les espions se montrent en revanche beaucoup plus actifs dans la collecte d'informations concernant la mise au point d'une arme atomique.
Face à l'excellence des scientifiques travaillant aux États-Unis, les Russes n'ont d'autre choix que le pillage et la copie. Ils s'appuient sur des réseaux de « sympathisants » américains qui croient au communisme comme source de progrès, souhaitent partager le pouvoir atomique dans un soucis d'équilibre mondial global ou se laissent tout simplement corrompre pour résoudre des soucis financiers.
Malgré un retard évident, les Russes se dotent également de l'arme atomique en, ce qui fait d'eux l'adversaire direct des États-Unis après la défaite de l'Allemagne et la mise à genoux des autres puissances européennes, suite à l'impact des deux guerres mondiales.
Commencent alors des années de Guerre froide, sorte d'age d'or de l'espionnage. Paranoïaque et pervers, Staline voit des ennemis partout, à l'extérieur et à l'intérieur et exerce un régime de terreur.
Dans ces conditions, la mort de l'ogre en 1953 constitue un soulagement pour beaucoup, mais sur le plan international, les USA et l'URSS s'affrontent dans des « guerres périphériques » en Asie ou en Amérique latine, le point culminant de la montée de tension étant la crise des missiles de Cuba en 1962.
Après Khrouchtchev, se déroule avec Brejnev une période de « détente » entre les deux camps. Mais derrière la politique, le KGB profite de relâchement pour accroitre ses infiltrations aux États-Unis, en Angleterre et dans les deux Allemagnes.
Usant de diverses techniques, ils mènent des campagnes de déstabilisation en diffusant des fausses rumeurs par le biais de canaux acquis à leur cause, corrompent des locaux soit par l'argent soit par la séduction avec les fameuses « hirondelles » fantasme de l'espionne slave. Ils ont également recours à des assassinats soit par des méthodes classiques, mais également en développant une expertise dans les techniques d'empoisonnement.
Certains espions comme les « 5 de Cambridge » tous occupant de hauts postes aux MI-6 resteront en place plusieurs années avant d’être finalement découverts, mais les politiciens ou les militaires américains de haut rang, n'échapperont pas au processus.
Pourtant loin de glorifier une armée de l'ombre invincible, le livre met également en lumière les carences des services russes, avec la concurrence entre le FSB, le GRU et le SVR, leur incapacité à endiguer le flot de « transfuges » vers l'Ouest et également à rejoindre le privé pour de meilleures rémunération.
Ruiné économiquement par la « Course aux étoiles » de l'ère Reagan, l'URSS implose à la fin des années 80 et Gorbatchev sera l'habile artisan de cette transition délicate.
Affaiblis et disgraciés pour avoir tenter un coup d'état en 1991, les services secrets russes reviennent peu à peu influents une fois la montée en puissance Vladimir Poutine. Ancien analyste du KGB, Poutine a la nostalgie de la « Grande Russie » et une forte antipathie pour les États-Unis.
Il fait des services secrets le socle de son pouvoir et leur redonne un budget de fonctionnement à la hauteur de ses ambitions. De nouveau, la Russie fait peur et ne recule pas devant l'assassinat d'opposants (ex espions, oligarques, journalistes) réfugiés à l'Ouest.
Ils démontrent leur maitrise des empoisonnements par les assassinats de Litvinenko en 2006 et les tentatives contre les Srkipal en 2018, qui provoquent des crises diplomatiques avec la Grande-Bretagne.
Pourtant face au terrorisme international et aux ambitions chinoises, les Occidentaux sont obligés de continuer à coopérer avec la Russie qui joue une place centrale en Iran ou en Syrie.
Alors on s’accommode de cette « allié » parfois encombrant, qui a également intégré les cyberattaques dans son arsenal, afin d'influencer des élections ou de frapper des nations dans leurs infrastructures vitales.
Le livre se montre également parfaitement explicite sur la face « mafieuse » de Poutine, qui taxerait les grandes entreprises russes ainsi que le crime organisé en contrepartie d'une certaine impunité, les secteurs de l’Énergie et des Banques étant particulièrement visés.
La connexion entre mafieux et espions russes serait donc un acquis de fait permettant de renforcer le pouvoir autoritaire du maitre du Kremlin.
Pour terminer, Kozovoi s'écarte pour moi quelque peu du sujet en s'attelant à un roboratif travail de recensement de toutes les œuvres culturelles (livres, films, séries) traitant des services secrets russes.
Sont cités pele-mele, les livres de Doyle, Conrad, Fleming, Green, le Carré, les James Bond (source de fascination même à l'Est), OSS 117, « The Americans » , « Homeland » ou même le franco-français « Bureau des légendes »...
En conclusion, « Les services secrets russes, des tsars à Poutine » constitue un travail qu'on pourrait juger roboratif.
Passionné par son sujet, Kozovoi démontre les racines historiques et culturelles des services secrets russes, que ce soit par défiance contre les super puissances de l'extérieur ou pour simplement assoir le pouvoir des régimes totalitaires, tsaristes, communistes ou libéraux.
L'heure de gloire du KGB est certes celle de la Guerre froide popularisée par tous les livres et films de cette période, avec cette course frénétique à l'armement et au spatial, finalement grossièrement perdue par l'URSS en raison d'une stratégie essentiellement portée sur l'espionnage et l'imitation.
Cette heure de gloire a également été possible par la séduction qu'exerçait le communisme dans le monde entier, comme source de progrès et seule alternative possible au capitalisme sauvage nord américain.
Avec ses puissants relais de sympathisants constitués à l'étranger, les services secrets russes faisaient peur avant de marquer le pas à partir des années Gorbatchev, puis de revenir au premier plan sous l'impulsion de Poutine, qui les utilise comme outil de puissance pour tenir par la force son pays et faire pressions sur les puissances étrangères avec les dérives criminelles que l'on sait.
Loin de glorifier les services secrets, tout aussi faillibles que la CIA, le MI-6, le BND ou la DGSE, Kozovoi ramène à une dimension plus humaine le mythe de « l'espion russe » et à ce titre cet ouvrage se montre particulièrement édifiant, même si certaines parties, comme l'interminable litanie des agents doubles ou des œuvres culturelles traitant de près ou de loin le sujet, auraient pu être réduites sinon épargnées au lecteur.
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