Le Pavillon d'Or (Yukio Mishima)

 



Paru en 1956, « Le Pavillon d’Or » est sans nul doute l’un des plus grands romans de Yukio Mishima.

L’auteur part ici d’un fait divers tristement réel l’incendie en 1950 par un jeune moine du nom Hayashi Shoken d’un des plus célèbres temples bouddhiques de Kyoto, un pavillon séculaire recouvert d’or considéré comme l’un des plus beaux symboles du Japon ancestral.

Mishima se coule alors dans l’esprit de Mizoguchi, jeune moine complexé par un physique ingrat et par un bégaiement humiliant pour décrire le cheminement fascinant menant à son geste en apparence fou.

Dans le japon d’après guerre, le lecteur suit donc le parcours de Mizoguchi, qui commence par le décès brutal et douloureux de son père lui même prêtre zen amenant sa mère sans ressource à le confier au Prieur du Pavillon d’Or pour être éduqué à la manière des moines bouddhistes.

On est rapidement frappé par le terrible mal être de Mizoguchi, par ses expériences traumatisantes comme son obsession maladive pour une jeune et belle fille nommée Uiko assassinée en aidant un déserteur de l’armée ou comme son mépris doublé de haine pour sa mère qui se débarrasse plus ou moins de lui en l’envoyant chez les prêtres.

En raison de ses handicaps physiques, Mizoguchi va vite se retrouver isolé socialement des autres étudiants et développer une étrange fascination pour le Pavillon d’Or dont la beauté absolue, la perfection l’obsèdent, l’écrasent lui rappelant sans cesse ses propres infirmités.

Il va pourtant fréquenter d’autres étudiants, Tsurukawa représentant une parcelle plus lumineuse et positive de l’existence mais qui mourra assez mystérieusement et surtout Kashiwagi rencontré à l’université, lui même infirme des jambes qui sera son mentor spirituel.

Contrairement à Mizoguchi, Kashiwagi a surmonté son handicap et a développé une philosophie de l’existence extrêmement amorale ou il n’hésite pas à pratiquer de mauvaises actions pour arriver à ses fins.

Kashiwagi va donc mettre Mizoguchi sur la voie du Mal, modeler son esprit et semer en lui les germes des pensées qui le mèneront plus tard à l’action.

Un autre événement d’un impact considérable sera la découverte de la corruption du Prieur du temple et de sa fréquentation des geishas.

Mizoguchi va donc se rebeller contre l’éducation zen, haïr le Prieur, entrer en conflit avec lui, faire preuve d’indiscipline et pratiquer le vol.

Dés lors l’engrenage du drame dans lequel nous entraîne Mishima paraît inexorable …

En conclusion, « Le Pavillon d’Or » peut être considéré comme un chef d’œuvre de la littérature.

Mishima y dévoile son approche du Beau qui doit être par essence éphémère comme par exemple dans la musique.

La beauté absolue, inaltérable, parfaite, doublée de la dimension religieuse du Pavillon d’Or recèle un coté inhumain, insupportable pour le jeune prêtre lui même si imparfait dans son enveloppe charnelle.

En s’engageant sur la voie de la perversion, de la profanation et de la transgression, Mizoguchi découvre une nouvelle forme de plaisir liée à l’irrésistible pouvoir attractif  du Mal.

En décidant d’accomplir cet acte profanateur d’une si grande puissance, comparable à un déicide, il accède alors à une inaccessible sensation nirvana qui vient donner un sens à sa vie.

Sur la forme, Mishima est ici également au sommet de son art.

La description de ce Japon d’après guerre, meurtri, humilié par la puissance conquérante de l’Amérique victorieuse est formidablement illustrée par l’incident du robuste soldat américain qui oblige Mizoguchi à piétiner pour son plaisir sa compagne japonaise.

Comme toujours Mishima excelle dans les descriptions poétiques de paysages ou les scènes à haute teneur érotique comme celle ou lors d’un curieux rituel une jeune femme à la poitrine opulente fait jaillir son lait dans la tasse de café noir d’un jeune lieutenant en tenue militaire.

En signant cette œuvre mettant en exergue la part la plus trouble et ténébreuse de l’âme humaine, Mishima accède donc pour moi au statut d’écrivain culte.

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