Victoire (Joseph Conrad)

 



Nouveau roman de Joseph Conrad avec « Victoire ».

« Victoire » se déroule au début du XX ième siècle sur l'ile de Samburan, située non loin de Java.

Axel Heyst, le personnage principal est un suédois, ancien directeur local d’une compagnie européenne de charbon, qui a brièvement tenté d’exploiter les ressources de la région avant de faire faillite.

Malgré l’échec de sa mission, Heyst est resté sur place.

Il est décrit comme un original, un solitaire désenchanté ayant été envoûté par la vie sous les tropiques.

Son histoire personnelle semble assez tourmentée, avec l’influence d’un père adepte d’une philosophie sceptique, plus enclin à observer passivement l’existence et à se laisser dériver comme une feuille morte en s’abstenant d’agir sur son environnement.

Pourtant alors qu’il séjourne dans un hôtel, Heyst va un jour réaliser un coup de folie, acceptant d’enlever Lena, une jeune musicienne maltraitée par la direction du cirque itinérant qui l’emploie.

Heyst et Lena s’enfuient sur une île tandis que Schomberg, le patron de l’hôtel qui avait des vues sur la jeune fille et haïssait l’homme, décide de lancer un redoutable trio de tueurs à leurs trousses, en leur faisant croire que Heyst est un escroc, possesseur d’un butin dérobé.

D’origine allemande, Schomberg apparaît comme un individu détestable, médiocre, lâche, jaloux, avec un fort pouvoir de nuisance envers son prochain.

Le trio de tueurs est dirigé par Monsieur Jones, grand homme d’une maigreur maladive, dont les allures de gentleman ne sauraient masquer une terrible perversité et une mystérieuse haine des femmes.

Son second d’origine portugaise, Ricardo, est un homme malin, dénué de tout sens moral, et animé de féroces instincts violents.

Le dernier élément de ce trio est Pedro, colombien, que Conrad décrit comme un homme bête, velu et sauvage, à l’intelligence d’un animal domestique et totalement dévoué à ses maîtres.

Le trio se rend sur l’île de Heyst en simulant un naufrage et en faisant appel à sa charité pour les accueillir, le but réel étant de découvrir ou est caché le butin avant d’éliminer la cible que a été désignée par Schomberg.

Heyst vivant seul avec Lena et Wang son domestique chinois, se méfie et un terriblement intense huis clos psychologique s’instaure alors entre le vieux solitaire mélancolique désarmé mais désireux de protéger la femme qu’il aime et le trio prêt à tout.

Dans ce jeu mortel, Ricardo se montrera le plus avide et entreprenant jouera un rôle charnière dans le récit, provoquant par son instabilité, l’échec de l’entreprise de son chef.

Malgré cela, « Victoire » comporte une fin dramatique et violente pour la quasi totalité des protagonistes de l’aventure.

Ce roman peut être raisonnablement considéré comme un chef d’œuvre mélangeant aventures, exotisme, mélodrame amoureux et réflexions philosophiques profondes.

Heyst le passif mélancolique, l’observateur désenchanté et impassible de l’existence, se trouve par la force des choses contraint à l’action en vertu de principes moraux supérieurs pour tout d’abord enlever Lena, découvrir le pouvoir de l’amour puis ensuite devoir la défendre contre une menace immédiate.

Conrad réfute donc la doctrine philosophique du scepticisme incarnée par le père de Heyst en l’obligeant à forcer sa nature.

Passé cette puissante considération centrale, « Victoire » est également fascinant par la finesse de l’analyse psychologique de ses personnages, et tout particulièrement celle de Jones et Ricardo, aussi terrifiants que complexes.

Le roman brosse également une saisissante vision du colonialisme.

Conrad fut quelques fois accusé de racisme et il est vrai que sa manière de considérer le chinois Wang ou le colombien Pedro semblent choquantes et pétries de la supériorité du gentleman européen sur des races qualifiées d’inférieures.

Malgré cette ambiguïté dérangeante, Conrad montre tout l’échec économique de l’entreprise de colonisation, et met en avant la médiocrité morale de certains colons blancs comme Schomberg mais le malaise demeurera toutefois sur ce point.

Mis à part ce bémol à relativiser dans le contexte historique de l’époque (1914) , « Victoire » peut être considéré comme un roman exceptionnel, montrant tout le talent de l’écrivain britannique d’origine polonaise.

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