Souvenirs d'un pas grand-chose (Charles Bukowski)

 



« Souvenirs d’un pas grand-chose » est le roman sans doute le plus autobiographique de Charles Bukoswki.

L’écrivain américain y raconte son enfance avec beaucoup de talent, de lucidité, sans user de ses habituelles outrances,  de son désir de choquer.

L’histoire de ce pas grand chose c’est l’histoire de Henry Chinaski un jeune garçon fils unique  d’immigrés allemands aux Etats-Unis après la première guerre mondiale.

Le jeune Henry grandit dans un milieu extrêmement modeste dans la banlieue de Los Angeles, pendant le Grande Dépression des années 30.

Henry a pour père un laitier au chômage, dur, frustré, brutal, qui terrorise la famille par ses crises de violence.

Bien qu’aimante, sa mère est complètement effacée et soumise à son mari qu’elle craint également physiquement.

Henry est souvent battu par son père à coup de lanière de cuir, pour des motifs généralement futiles voir délirants comme une pelouse mal tondue.

Enfant solitaire grandi dans un milieu misérable, il apprend la violence à l’école ou les bagarres entre clans sont continuelles.

Henry découvre très tôt son mal être, taraudé par la sexualité, il n’aime ni l’école, ni l’autorité et  les rares amis qu’il  se fait sont généralement des exclus, des marginaux comme lui.

Il rêve d’être un grand joueur de base-ball ou de football américain et malgré ses difficultés à s’intégrer dans un groupe, montre de bonnes qualités dans ces sports lors des tournois inter collèges.

Son père qui nourrit toujours de grande espérances pour son fils, l’envoie dans un lycée de jeunes gens aisés à Chelsey High.

La bas, Henry côtoie la jeunesse dorée de Californie et apprend a haïr tous ces jeunes gens beaux, riches et insouciants à qui tout réussit dans la vie.

Il met à point d’honneur à se bâtir une réputation de dur à cuir, prompt à se battre et à boire, de type étrange et peu fréquentable et continue d’attirer malgré lui les paumés.

Le bal de fin d’année qu’il regarde à travers une vitre avant de se faire chasser comme un paria est un immense moment d’humiliation.

A l’adolescence survient un événement dramatique, Henry à des poussées d’acné incroyables qui le défigurent avec d’énormes furoncles purulents sur le visage, le dos et la poitrine.

Cette malédiction lui interdit toute vie affective ou sociale, le complexant énormément.

Il est même renvoyé du lycée pour suivre un traitement douloureux et relativement peu efficace compte tenu de l’avancée de la dermatologie à l’époque.

Exclus du monde et très malheureux, le jeune homme va développer son imagination pour tromper la solitude.

La découverte des livres de la bibliothèque municipale va être une révélation et Henry va pouvoir ainsi se former en lisant des auteurs comme Lawrence, Huxley, Dostoïevski, et son maître Hemingway.

Henry commence à écrire des nouvelles sur une machine à écrire qu’on lui a offerte.

A la sortie de l’école, il décroche pour faire plaisir à ses parents un travail de magasinier dans une boutique de vêtements.

La description de sa seule et unique semaine de travail est fantastique à la fois lucide, émouvante et drôle.

Henry s’est fait un seul vrai ami au lycée, Robert Becker qui veut comme lui devenir écrivain.

Les deux jeunes sympathisent même si Bukowski qui se dit moins talentueux a une vision plus sombre et radicale de l’écriture que son ami.

Un jour, le père de Henry trouve ses écrits et ivre de rage le jette dehors.

Mis à la rue, il apprend donc à se débrouiller, allant d’hôtels minables en hôtels minables, fréquentant les bars, les ivrognes, les clochards avec toujours en tête l’envie d’être écrivain.

Le roman se termine quand Henry apprend que Becker qui s’est engagé dans les Marines va partir à la guerre après l’attaque de Pearl Harbor alors que lui même est anti militaire.

Les deux hommes boivent une dernière fois ensemble tendrement et leurs vies se séparent à tout jamais …

« Souvenirs d’un pas grand chose » est jusqu’alors le meilleur livre que j’ai lu de Bukowski.

L’écrivain raconte avec style pur et un immense talent les tourments d’une enfance  et d’une adolescence difficiles d’un petit garçon que tout destinait à échouer : son milieu social, familial et sa laideur physique.

Bukowski parvient avec beaucoup de pudeur à nous faire ressentir sa douleur mais en même temps on sent en lui une sorte de rage, de rébellion très forte s’exprimant par la violence puis de manière plus constructive par l’écriture.

Malgré ses handicaps, Bukowski disposait selon moi d’une intelligence et d’un esprit supérieur mais trop complexé et mal dans sa peau, il ne s’en rendait pas forcément compte à l’époque.

L’écriture d’une rédaction ou il imagine avoir assisté à la venue du président est à ce titre très révélatrice sur le formidable potentiel dont il disposait étant gamin.

En conclusion, épuré de provocations, « Souvenirs d’un pas grand chose » est un roman sublime, douloureux et émouvant d’un homme vidant son cœur.

Et si finalement, ce « pas grand chose »  l’avait obtenu par la puissance de sa plume sa revanche sur la pauvreté, la misère sexuelle et le mal de vivre ?

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