Les guerres d'Afrique (Bernard Lugan)

 



Il y a bien longtemps que je souhaitais m’intéresser à l’histoire de l’Afrique aussi « Les guerres d’Afrique » de l’historien Bernard Lugan est elle venue à point nommé m’éclairer sur le sujet.

Sorti en 2013, ce volumineux ouvrage en quatre grandes parties se propose de balayer toute les guerres de l’immense continent africain de la préhistoire à nos jours.

On commence donc logiquement par les temps les plus reculés jusqu’à -8000 av JC pour se baser sur les peintures rupestres montrant une variété de populations entre blancs à cheveux lisses, hommes à peau foncée non noirs et Noirs.

Déjà les premières guerres arrivent entre races différentes, les Berbères considérés comme Blancs prenant progressivement à partir de -4500 av JC le dessus dans la région du Sahara.

Dans l’Afrique australe, les agro-pasteurs noirs éliminent l’ethnie des San, peuple de nomades cueilleurs-chasseurs au mode de vie diamétralement opposé.

Avec la montée en puissance des pharaons l’Égypte, les écrits apparaissent et permettent de découvrir les différentes guerres qui furent menées contre les autres peuples pour défendre l’Empire ou acquérir de nouveaux territoires vers la Nubie riche en or, conquise en près d’un siècle entre -2000 et -1000 avant JC.

Civilisation pionnière dont la sophistication ne lasse pas de nous étonner encore aujourd’hui, l’Égypte disposa également d’une importante force militaire avec archers, cavaliers, chars et navires.

Impossible également de ne pas parler des récits de l’Antiquité sans évoquer Carthage qui menaça Rome durant trois guerres puniques étalées sur 300 ans, avant d’être définitivement réduite à néant par sa rivale.

Moins connue, une autre lutte opposa les Berbères aux Arabes entre 644 et 750 et se solda par le conquête des premiers par les seconds en profitant notamment de lourdes erreurs de commandements des chefs Byzantins, incapables d’exploiter leurs positions pourtant stratégiquement supérieures.

Conséquence immédiate de cette défaite et du délitement de l’Empire romain d’Orient, la conversion d’un peuple christianisé à l’Islam, religion de leurs vainqueurs, les généraux Hassan Ibn Numan et Musa ben Nusayr.

Lugan passe ensuite en revue les principaux états guerriers d’Afrique, avec en premier lieu le Maroc, dont l’armée très organisée permit au XVI ième siècle aux sultans de repousser une tentative d’invasion portugaise qui avait sous estimé la résistance adverse puis de dominer l’Empire Songhay.

Dotée d’une marine capable de se projeter jusque dans les mers du Nord de l’Europe, l’armée marocaine incorpora plusieurs ethnies comme des esclaves noirs du sud du Sahara, les abids qui ayant atteint le nombre impressionnant de 150 000 hommes, furent massacrés pour la menace qu’ils finirent par représenter.

Difficile également de ne pas parler des puissants empires noirs, comme le Rwanda, peuplé majoritairement de Hutu (90%) et de Tutsi qui combattant à l’arc et à la lance, massacraient sauvagement leurs adversaires, mais surtout les Zulus, appartenant à l’ethnie des Nguni, qui grâce au chef de guerre Shaka bâtirent au XIX ième siècle un véritable empire s’étalant en Afrique du Sud.

Doté d’une armée féroce, disciplinée, mobile utilisant une tactique de déploiement en cornes pour enserrer ses adversaires, Shaka lança un mouvement de broyage appelé Mfecane qui sema la terreur sur son passage, obligeant la populations Sotho d’Afrique du Sud à fuir dans un mouvement jusqu’au Botswana et à la chaine montagneuse du Drakensberg avec des répercussions jusqu’au Mozambique, Zimbabwe, Zambie et Tanzanie.

Au XIX ième siècle, la conquête musulmane fut également une grande force de bouleversement en Afrique Sahélienne, par le biais de chefs religieux des ethnies des Peuls et Toucouleurs qui lancèrent plusieurs jihad aboutissant à la fondation de régimes islamiques imposés au nord du Nigeria, au Mali aux ethnies Bambara et Touaregs et au Soudan par Al Mahdi, victorieux d’une force coalisée égypto-anglaise.

Viennent ensuite deux cas particuliers notables, les Mamelouks recrutés par les Arabes comme mercenaires parmi les plus robustes des populations esclaves d’Europe de l’Est qui finirent par prendre le pouvoir en Egypte avant d‘être définitivement battus par l’armée de Napoléon, et les Boers, ethnie néerlandaise anglophone rebelle d’Afrique du Sud, qui compensa son infériorité numérique par une technique de combat imparable consistant à former une forteresse de chariots appelée le laager, pour vaincre militairement les Zulus et fonder leur propre royaume le Transvaal et l'Orange au nord ouest de l’Afrique du Sud.

Une fois rappelée donc l’aspect belliqueux des royaumes africains vient logiquement la grande vague de conquête coloniale, dont les motifs aujourd’hui discutables, poussèrent les grandes puissances européennes du XIX ième siècle à se partager l’Afrique.

Lugan explique l’incroyable supériorité militaire européenne plus par la division de leurs adversaires africains, certains devenant même leurs alliés pour se soustraire à de sévères dominations ethniques que par la supériorité technique de l’armement.

En premier vient la colonisation de l’Algérie par l’armée française en 1847 après une guerre de plus de quinze ans au cours de laquelle le général Thomas Robert Bugeaud vient à bout du de l'émir rebelle d’origine berbère Abd El Kader en adaptant ses troupes intelligemment au climat algérien.

La France, profitant de sa présence au Sénégal s’établit après une féroce concurrence au Bénin laissant l’immense Nigéria aux Anglais et prend aussi possession du Tchad après avoir défait le redoutable royaume esclavagiste de Rabah.

Les Anglais ont plus de difficultés avec les Zulus, perdant 1300 hommes lors de la cuisant défaite d’Isandhlwana, avant d’adopter les prudentes techniques de combat des Boers et d’infliger d’immenses pertes à leurs adversaires qui chargeaient à découvert.

Peu peu saignés à blanc dans leurs effectifs, les Zulus furent ainsi vaincu en 1879 et leur territoire annexé.

Le Ghana tomba finalement malgré une résistance acharné du royaume Ashanti puis vint le Nigéria qui fut conquis pacifiquement à l’exception du Nord musulman, qui résista jusqu’en 1903.

Les Anglais trouvèrent sans doute leur adversaire le plus redoutable avec les Boers, qui furent soutenus par des contingents des sympathisants de toute l’Europe et même des Etats-Unis.

Les Boers compensèrent pendant longtemps leur infériorité numérique par leur rapidité, leur connaissance du terrain et surtout leur immense courage, avant de capituler face à la puissance de l’Empire britannique dans une guerre particulièrement meurtrière ou on extermina et déporta des populations civiles dans ce qui annonce la violence des guerres mondiales du XX ième siècle.

L’Allemagne se jeta également dans le processus et connut sa part de difficultés en Namibie avec les révoltes des Herero, ethnie esclavagiste qui paya par son extermination les massacres de civils allemands.

Mal préparés, les Italiens virent leurs ambitions se briser face aux Ethiopiens de Ménélik en 1896 et se rattrapèrent par la conquête d’une partie de la Libye face à l’armée Turque.

La troisième partie du livre traite principalement des grands conflits mondiaux du XX ième siècle qui firent de l’Afrique le siège de violents combats entre les forces européennes dominantes de l’époque.

En 1914, les Allemands furent aisément vaincus par les Anglais ans l’Ouest de l’Afrique (Togo, Cameroun) puis cédèrent malgré la valeur du général Lettow-Vorbeck, pris en tenailles par en Afrique Orientale par un mouvement de blocus maritime et d’invasion anglo-portugo-belge déclenchée depuis le Congo et le Mozambique.

En parallèle de guerre de « Pacification » de l’armée française contre les Algériens et les Marocains dans quelques régions insoumises, se déroula entre 1921 et 1925 la guerre du Rif entre Marocains et Espagnols qui se termina par une intervention massive des forces françaises de Pétain qui fit plier Abd el Krim chef rebelle ayant unifié les tribus du Rif contres les troupes colonialistes.

En 1935, l’Italie commandée par Mussolini prend sa revanche sur l’Ethopie en prenant le contrôle du pays.

La Seconde guerre mondiale concentra en Afrique l’essentiel des combat de haute intensité sur la Libye et l’Egypte durant 1940-1942 avec la défaite du général Rommel face aux Anglais, tandis que les Américains et les Anglais commandés par Patton prirent l’Afrique du Nord défendue par des Français.

Pour l’Afrique, la conséquence de la Seconde guerre mondiale fut un immense mouvement de décolonisation qui se solda par de sanglantes guerres.

Dans la années 50, la révolte des Mau-Mau au Kenya, contraignit les Anglais a accorder l’indépendance au pays, puis vint la terrible guerre d’Algérie, qui fit entre 1954 et 1962 des centaines de milliers de morts sur les deux rives de la Méditerranée.

Face à la disproportion des forces entre l’armée française et les rebelles du FLN, ce dernier misa sur une politique d’attentats et massacres sur le sol algérien et français.

Si la France, appuyée par un important contingent de soldats algériens harkis ou spahis (200 000 personnes), fut victorieuse sur le terrain militaire, le Général de Gaulle préféra prudemment accorder l’indépendance à l’Algérie ce qui donna lieu à un douloureux mouvement de reflux des colons vers la France, la formation de l’OAS et d’horribles massacres des Algériens pro-français.

Le Portugal dut comme la France et l’Angleterre accorder l’indépendance à ses colonies : Angola, Mozambique et Guinée-Bissau mais le processus fut beaucoup plus lent en raison de l’habileté des Portugais à jouer sur les clivages entre ethnies locales pour maintenir leur domination sur place jusqu’en 1975.

La dernière partie de l’ouvrage s’intéresse aux conflits contemporains soit jusqu’en 2013.

Lugan explique que la plupart des conflits localisés ont d’importantes bases ethniques résultant de la découpe artificielle de l’Afrique par les colons européens qui obligèrent des ennemis héréditaires à cohabiter sur un même territoire et place au second plan les luttes pour les ressources naturelles (pétrole, minerais).

On trouve donc une poussée de fièvre pour le Sahara entre Algérie et Maroc en 1963, puis entre l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie via le mouvement indépendantiste Polisario avec en toile de fond la difficile question de la création d’un état « Sahraoui » censé représenté la mosaïque d’ethnies présente dans cette immensité désertique.

Encore aujourd’hui la région du Sahel reste une importante zone de conflit, avec les guerres au Tchad, au Niger et au Mali et au Niger entre ethnies sudistes (Bambara, Malinke, Soninke) et Touaregs du nord, avant la percée islamiste d’Al Qaida de 2012 qui contraignit l’armée française à intervenir pour stabiliser le pays.

Douloureuse fut également la guerre civile algérienne qui ensanglanta le pays durant une décennie (1992-2002) avec la montée du terrorisme islamique du GIA suite à l’éclatement du FIS.

150 000 morts à la clé dont de nombreux civils, des massacres abominables et des attentats jusqu’en France, la destruction du GIA transformé en GSPC, avant l’allégeance à Al Qaida en 2007.

Encore plus près de chez nous, la guerre de Libye en 2011, dans laquelle fut renversée le régime du colonel Kadhafi, qui régnait en maitre depuis 1969, avec l’appui des tribus du Cyrénaïque et de la Tripolitaine.

En 2011, la Cyrénaïque fortement noyautée par les courants islamiques radicaux se soulève et l’intervention internationales orchestrée par la France et les Etats-Unis bouscule l’équilibre des forces, donnant aux insurgés les moyens de vaincre les troupes Libyennes pourtant largement supérieures militairement.

Soumis aux frappes de l’OTAN, Kafadi s’inclina et fut cruellement traqué puis lynché par les rebelles mais cet effondrement entraina le chaos en Libye avec la guerre entre factions berbères, mafieuses, touaregs et islamistes.

Malheureusement la corne de l’Afrique n’est pas non plus épargnée avec la volonté expansionniste des Éthiopiens à majorité chrétienne face aux faibles voisins Érythréens et Somaliens, ces derniers déchirés entre interminables guerres ethniques provoquant l’intervention internationale de 1992 et un cuisant échec militaire pour les USA à la clé.

Depuis 2004, la poussée islamique se fait également sentir en Somalie par l’émergence des Shababs affiliés à Al Qaida, finalement chassé du pouvoir à deux reprises 2007 et 2011 par une force coalisée de l’Union Africaine, meme si la situation reste fragile.

La violence gagne également le Soudan déchiré entre ethnies du Nord (blancs et musulmans) et du Sud (noirs, catholiques et près des puits de pétroles) avec le cas particulier des populations du Darfour, fuyant jusqu’au Tchad les exactions des milices arabes à la solde du pouvoir central de Khartoum contre l’ethnie rebelle Zaghawa.

La Cote d’Ivoire a également droit à un chapitre avec en 2010 l’affrontement entre le président Gbago et Ouattara, ce dernier vainqueur des élections finalement soutenu par l’armée française finissant par renverser son rival, dont les milices s’en prirent aux français présents sur place.

Mais le comble de l’atrocité semble être atteinte avec les guerres civiles, en 1991 au Sierra Leone avec d’abominables massacres commis par le rebelle Foday Sankoh et en 1990-1994 au Rwanda avec le génocide de 800 000 Tutsi par les Hutus, suite à l'attaque des Tutsi qui s’étaient lourdement armés en Ouganda et finirent par prendre le dessus sur les Forces Armées Rwandaises du pouvoir central malgré le soutien de la France.

Lugan pointe clairement la responsabilité du général canadien Dallaire, incapable de bloquer avec ses troupes de l'ONU l’avancée du Front Pour le Rwanda et de stopper la vague de massacres qui en découla.

Poussé par la France, l’ONU réagit enfin en 1994 par la création d’un Zone Humanitaire Sure chargée d’accueillir et protéger les réfugiés.

En conclusion, « Les guerres d’Afrique » est un passionnant ouvrage difficile d’accès pour le novice peu au fait des différents (et complexes) clivages ethniques et religieux d’Afrique.

Très ambitieux il couvre toute l’histoire de l’Afrique, de la préhistoire à nos jours, permettant de comprendre les forces en présence aux différentes époques, depuis l’émergence de puissances militaires dominantes locales en Égypte et Carthage antiques puis zulu, rwandaise, boers et marocaine au XIX ième siècle jusqu’à la situation actuelle soumise à des zones de chaos favorisées par les groupes terroristes islamiques financés par l’étranger en Libye, Mali, Somalie, Nigeria ou Soudan en passant par l’incontournable face de colonisation européenne anglaise, française, portugaise, allemande ou belge détruite par les deux guerres mondiales du XX ième siècle.

On comprend donc que l’Afrique a toujours été un continent régi par des systèmes d’ethnies, tribus ou clans dont l’influence étaient délimitées par des frontières naturelles : déserts, montagnes ou fleuves et que ces ethnies se livraient déjà de cruelles guerres avant l’arrivée des colons blancs qu’on accuse parfois d’avoir provoqué le chaos menant à la situation actuelle.

Difficile donc à la lecture de cet ouvrage orienté conflits, de trouver un pays épargné par de longues années de guerres inextricables rendant impossible toute idée de progression économique et sociale.

On se dit pourtant que l’Afrique recèle un important potentiel et que si l’unité pouvait davantage se faire, elle pourrait jouer son rôle sur l’échiquier mondial…

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