Rue des Martyrs (Patrick Eudeline)
Les lecteurs de Rock&Folk connaissent bien Patrick Eudeline, ex punk français des années 70 devenu aujourd’hui écrivain et une sorte de dandy du rock enfermé dans une vision bien passéiste de notre époque.
Malgré le coté par instant irritant de cet ancien musicien raté donneur des leçons à une jeunesse qu’il ne comprend souvent plus, j’ai lu par curiosité son « Rue des martyrs ».
Ce livre raconte à travers le personnage de Jérôme, un teen ager de la fin des années 60, prêt de cinquante ans de vie au travers du prisme de la musique rock.
Issu d’un milieu modeste (mais non prolétaire) Jérôme est un jeune homme un peu perdu qui grandit à Paris en pleine effervescence musicale.
Fréquentant des jeunes aisés du XVI ieme arrondissement, Jérôme adopte le look des minets de l’époque, cheveux longs, vêtements américains achetés dans des magasins spécialisés et bien entendu écoute beaucoup de rythm’and’blues (Otis Redding, Chuck Berry) de rock (The Who, The Kinks, Animals ) et de pop anglaise (The Beatles).
Ses meilleurs amis sont Chouraqui, fils d’une riche famille de commerçants juifs et Gudule, actrice underground fréquentant les lieux branché de la capitale.
Chanteur dans un groupe amateur, Jérôme aimerait beaucoup percer dans la musique et sa rencontre avec le producteur Fechner va lui faire comprendre les difficultés que peut rencontrer un jeune artiste pour s’imposer dans un milieu sans pitié.
Manipulé en effet par Fechner, Jérôme va devoir s’orienter vers un répertoire de chanteur à ballades mielleuses qu’il exècre.
Mais après un premier 45T à succès, difficile de faire machine arrière pour l’apprenti chanteur.
La première partie du livre nous entraîne donc dans ce monde aujourd’hui disparu, celui des sixties avec une certaine insouciance et une fascination pour tout ce qui vient de la culture anglo-saxonne.
On découvre la vie nocturne de l’époque avec ses lieux branchés (le Drugstore, le Palace, le Bus Palladium) et ses codes bien souvent incompréhensibles pour qui n’a pas connu cette époque.
Difficile donc de rentrer pleinement dans l’histoire jusqu’au développement de la relation amoureuse entre Jérôme et Gudule.
Leur relation, rongée par la toxicomanie avancée de Gudule et par un certain refus de s’engager, ne pourra jamais être vécue pleinement et la mort tragique de la jeune femme marquera à vie Jérôme et son ami Chouraqui.
Passablement éprouvé par les coups du sort, Jérôme vieillit mal, côtoie des junkies et voit sa carrière de chanteur décliner au fur et à mesure que les modes évoluent au fil des années.
Le disco, Davie Bowie et le punk arrivent dans les années 70 puis la new wave déferle dans les années 80 avant que la techno ne prenne le relais dans les années 90 pour aboutir au hip-hop, à la culture Internet, au téléchargement en ligne et baladeurs Ipod capable de stocker des quantités industrielles de musique.
Ne se sentant plus à sa place, Jérôme disparaît sans laisser d’adresse au milieu des années 90 laissant son ami Chouraqui quadragénaire divorcé et vieillissant en plein désarroi.
Seul, fragilisé, obsédé par la perte de son ami et par la mort de Gudule, Chouraqui va alors se réfugier dans le passé pour finalement un beau jour de 2008 recevoir un coup de fil de son ami Jérôme revenu d’Argentine.
Les deux hommes vont reprendre contact avant que Jérôme n’apprenne à Chouraqui qu’il est malade…
En conclusion, malgré mes a priori « Rue des martyrs » a été je dois l’avouer une agréable surprise.
Je n’ai pas apprécié la première partie du roman, la description de cette jeunesse des années 60 aux codes hermétiques et ringards dans laquelle je ne me suis absolument pas reconnu.
Je n’ai également pas compris pourquoi aucune référence musicale au heavy metal des années 70/80 puis au grunge des années 90 n’était évoquée.
Puis Eudeline est parvenu à m’émouvoir par cette nostalgie d’un passé à jamais envolé, par la perte d’une jeunesse par essence fragile et volatile puis enfin par la fin tragique d’un homme rongé par la maladie.
On comprend alors mieux la terrible solitude du vieux rocker survivant des années de défonce qui a vu la plupart de ses amis et amours disparaître dans le néant.
A ce titre, le passage ou les deux anciens amis se disputent une jeune et belle stagiaire de vingt ans se révèle un monument de pathétisme.
J’ai trouvé très pertinentes les réflexions sur l’évolution de la société vampirisée par Internet et les réseaux sociaux miroirs factices donnant l’illusion de ne pas être seul avec tous ces amis virtuels qu’on ne voit finalement jamais.
Malgré ces critiques on pourra remarquer que c’est assez ironiquement la montée en puissance de sites comme Youtube, Bide et Musique, Wikipedia, grands explorateurs du passé de chanteur has been de Jérôme qui ont provoqué son retour à la vie active.
La preuve en est donc qu’une fois qu’on a compris qu’Internet ne rend pas plus intelligent les gens, l’outil peut s’avérer formidable.
Au final même si on peut souvent être agacé par le coté ancien combattant et par le parisianisme d’Eudeline, sa « Rue des Martyrs » s’est révélé un roman élégant, intelligent et surtout touchant car écrit par une âme meurtrie.
« Tout ces gens n’existaient pas. Internet était un mensonge. Mais ça occupait. (…) C’était la misère. Sociale, intellectuelle, artistique, amoureuse. Ce monde était la misère même. Les gens parlaient d’Internet ou du Mac comme si il s’agissait d’une philosophie, d’un art ou d’une façon de vivre.
RépondreSupprimerCe n’était rien de tout cela. Simplement une immense bibliothèque gérée la plupart du temps par des amateurs incompétents et quelques désœuvrés, ravis de ce mettre en avant.
Et puis un « SOS amitié » mondialisé. Mais tous ces gens faussement accessibles vous rendaient, bien sur, encore plus seul.
(…) Sur Internet la règle était simple : toute les choses finalement sans importance aux yeux du monde (art, musique, l’information, le cinéma, tout cela) étaient gratuites mais dès le début pas fous les gens du sexe avaient mis la barre ou elle devait être. Fallait raquer, et point barre. »