Je suis favela (Joa Anzanello Carrascoza, Rodrigo Ciriaco, Sacolinha, Alessandro Buzo, Marçal Aquino, Marcelino Freire, Ferrez, Victoria Saramango)

Nous restons encore une fois auprès d’une certaine partie de la société brésilienne avec “Je suis favela” recueil de vingt deux nouvelles sorti chez Anacaona en 2011.
Ici comme son titre l’indique, il est question de parler de la population des favelas, ces bidonvilles urbains dans lesquels se parquent des millions de personnes aux alentours des principales métropoles brésiliennes.
Neufs auteurs donc proposent des courtes nouvelles pour illustrer le quotidien mais aussi les aspirations de ces laissés-pour-compte de la société.
L’émotion est présente lorsque Jao Anzanello Carrascoza raconte sobrement et tristement dans “La haut” la mort d’un petit garçon pauvre tué stupidement par une balle perdue lors d’un raid de la police militaire, puis la violence éclate sous la plume de Rodrigo Ciriaco avec la vengeance planifiée et cruelle d’un garçon contre son beau père violeur.
Professeur à São Paulo, Ciriaco produira d’autres textes en montrant un rat défendant le souffre douleur de l’école dans un conseil de classe aux allures de procès, la découverte fortuite d’un camion à eau pris pour un pistolet, ou le point de vue d’un jeune de treize ans déscolarisé pour suivre la voie du crime...
Drame avec Sacolinha qui relate la mort tragique d’un élève tombé d’un toit pour sécher les cours, ou de manière plus cynique le blues d’un policier licencié regrettant ses belles années à racketter et brutaliser les populations des favelas.
Alessandro Buzo officie souvent dans un registre sombre et froid, lorsqu’il explique la vie d’une petite bande de gamins des rues délogés par la police de leur refuge un trou sous un viaduc, certains commandés par Lia ayant réussi ensuite à survivre, d’autres étant devenus des épaves humaines dévorés par le crack.
Dans “Tentation” Buzo résume avec talent le basculement de Junior qui après avec avoir perdu son emploi et connu le chômage, se laisse entraîner dans le quotidien d’oisiveté et de délits de sa favela pour devenir braqueur puis trafiquant avant de mourir assassiné par la police qui le rackettait.
Difficile également de ne pas être ému par “Paula” qui explique et justifie le destin d’une femme se prostituant par nécessité économique après avoir été abandonnée par le père de son fils.
Pourtant Marçal Aquino n’a rien à envier à son collègue, narrant dans “Tonton” un face à face entre bandits digne d’un western pour retrouver un homme visiblement condamné à mort.
Avec Marcelino Freire, on suit les pérégrinations d’une bande de jeunes favelados finissant au poste de police pour avoir voulu faire un reportage sur les habitants de la classe moyenne de leur ville puis un dialogue comique entre une vielle sourde, sénile et ses braqueurs décontenancés et enfin le monologue d’un Nordestin déconfit après avoir vendu pour rien un rein pour échapper à la misère.
Seule femme carioca au milieu de ses collègues paulistas, Victoria Saramago raconte une nouvelle angoissante dans laquelle un jeune homme éperdu d’amour pour une nommée Luana comprend que celle-ci est désespérée après un incident dans une fête.
Ferrez lui fait entrer son personnage dans un bus dans lequel figure tous ses amis morts précocement, échapper une femme à la misère et un amant brutal, ou raconte le premier jour d’un ex taulard revenant dans sa favela et se retrouvant livré à lui-même avec le fort désir de replonger.
Dans sa dernière partie, les auteurs laissent la place à des interviews de policiers, juges ou professeurs qui tenter d’expliquer le pourquoi de l’explosion de la violence dans les favelas.
Cette partie bien que très orientée à gauche pour expliquer que l’Etat est à peu près à l’origine de tous les maux en négligeant les favelas, a néanmoins comme intérêt principal d’énoncer des faits historiques et statistiques : peuplement urbain anarchique depuis les années 60 pour fuir la misère du Nord, explosion du trafic de drogue dans les années 80, le Brésil devenant une immense plate-forme d’importation de cocaine vers l’Europe ou les États-Unis et conséquence logique, structuration de puissantes factions comme le Comando Vermelho ou le Primeiro Commando da Capital, pour prendre le contrôle du marché et imposer une sorte de contrat social dans les favelas en lieu et place de l’Etat.
Avec une certaine amertume on suit l’énoncé du nombre de morts issus d’une guerre frontale entre trafiquants surarmés et policiers présentés comme des tueurs car prompts à la bavure.
La question des funks carioca, cette musique des favelas glorifiant le sexe dégradant et parfois les trafiquants, est complaisamment minimisée par le professeur Carlos Palombinini.
En conclusion, comme tout recueil “Je suis favela” est un ouvrage d’un niveau assez hétérogène, Buzo sortant pour moi du lot tout comme Ferrez, dont j’apprécie pourtant globalement moins le style lourd et socialement très engagé.
Moins littéraire, la dernière partie de l’ouvrage prête pour moi à controverse car complètement à charge contre l’Etat brésilien, comme si la situation dans les favelas était voulue et si un génocide était programmé par la police contre ses habitants.
On pourrait demander plus de distance et de retenue, notamment vis à de l’extrême violence des factions criminelles, contre lesquelles une police sous payé et souvent mal formée lutte comme elle le peut et parfois sans doute mal.
Ces discours ancrés à gauche sont les mêmes que ce qu’on peut habituellement entendre sur les banlieues françaises qui pourtant ne sont pas dans le même niveau de délabrement...
Néanmoins, sans être adepte de sarau ou de funks nauséabonds, on reconnaîtra avec plaisir l’émergence de belles plumes décrivant le monde des favelas...même si depuis Paulo Lins, le sujet a été sans doute traité de fond en comble.

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