De la nature (Lucrèce)

 



J’ai découvert récemment le philosophe latin Lucrèce par l’unique ouvrage qui soit parvenu jusqu’à nous « De la nature » .

Relativement peu connu par rapport aux autres monstres de la philosophie, Lucrèce est le principal vecteur de la doctrine d’Epicure, son maître incontesté.

Divisé en six livres, « De la nature » a la particularité de mélanger le fond et la forme, puisqu’il s’agit d’un long poème philosophique écrit dans une langue superbe.

Lucrèce consacre le livre premier à développer une approche matérialiste du monde centrée sur les théories atomistes déjà introduites par Epicure et avant lui Démocrite.

Le monde se voit en effet régi par les mouvements des atomes, corps indivisibles, indestructibles le composant et se déplaçant dans le vide.

Lucrèce insiste sur le coté cyclique de l’existence avec des transferts permanents de matière entre les phases de naissance, de croissance puis de dégénérescence et de mort des êtres et des choses dans un gigantesque ballet permanent.

Selon lui même le monde est périssable.

Le philosophe réfute les théories cosmologiques de ses prédécesseurs (Héraclite, Empédocle, Anaxagore) car il voit l’univers infini et en mouvement perpétuel avec d'innombrables créations et destructions.

Dans le livre second, l’épicurien poursuit ses théories atomistes tout en introduisant une part de libre arbitre dépendante de la volonté des êtres vivant.

Il termine en niant l’intervention des Dieux dans l’agencement du monde.

Le livre troisième plus philosophique, débute par une louange directe adressée à Epicure, avant de développer une théorie matérialiste de l’âme, dépendante du corps à ce titre également périssable.

Lucrèce termine en montrant que l’âme disparaissant à la mort du corps, l’homme privé de toutes sensations n’a pas à redouter d’éventuels châtiments dispensés dans un au delà qui n'existe pas.

Le livre quatrième assez hétérogène s’intéresse à la physique des choses et aux sens.

Fidèle à son idéologie matérialiste, Lucrèce pense que l’organe crée à la fonction.

Le livre cinquième, ambitieux et passionnant, décrit tous les stades de la formation du monde (terre, ciel, astres) et du développement de l’humanité du stade primitif jusqu’à celui plus évolué capable de vivre dans des cités organisées régentées par des lois tout en insistant sur les évolutions techniques dans l’art de la guerre avec la maîtrise des métaux comme le bronze puis le fer.

Dans le dernier livre, Lucrèce se replonge dans une approche physique de la nature avec l’étude de phénomènes climatiques (foudre, nuage, arc-en-ciel, séismes …) avant de terminer par une tentative d’explication du magnétisme.

Les dernières pages très sombres sont consacrées aux épidémies comme la peste qui ravagea Athènes.

En conclusion, « De la nature » est une formidable révélation et constitue pour moi un parfait prolongement aux rares textes connus au final assez austères d’Epicure.

J’ai trouvé la matérialisme radical de Lucrèce et son refus des religions particulièrement actuel et en phase avec le monde occidental moderne même si celui ci n’est pas encore parvenu à se débarrasser de la peur de la mort.

Outre le fond, souvent captivant, on se laisse bercer par la beauté poétique d’un style exceptionnel à la fois clair et élégant.

Après avoir sué sang et eau sur le style difficile (car mutilé) d’Averroès, « De la nature » a constitué une magnifique bouffée d’oxygène et il n’est pas étonnant que Lucrèce par l’audace de ses positions fut longtemps banni par les autorités religieuses des diverses époques d’où son relatif anonymat.

« Et quand les grandes légions envahissent les plaines,

en leur course agitant les images de la guerre

l’éclat des armes s’élève jusqu’au ciel,

toute la terre à la ronde reflète l’airain,

le sol s’ébranle sous la charge des guerriers,

leurs pas résonnent, les montagnes frappées de clameurs

renvoient l’écho jusqu’aux astres de l’orbe céleste

les cavaliers volent alentour puis soudain

s’élancent et les plaines tremblent sous leur assaut.

Pourtant, sur les hautes montagnes, il est un lieu

D’où tout semble au repos, éclair immobile dans la plaine »

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