Le triomphe de l'échec (Arjun Appadurai, Neta Alexander)

 



Sorti en 2020, « Le triomphe de l'échec » est un essai cosigné par deux universitaires américains, le socio/anthropologue d'origine indienne Arjun Appadurai et Neta Alexander.

Dans ce court ouvrage de moins de 200 pages, un parallèle incessant est fait entre le monde de la Silicon valley et celui de Wall street, ces deux pôles américains représentant l'un l'innovation technologique, l'autre la finance internationale.

Malgré des différences liées à la nature de leurs activités, ces deux mondes partagent selon les auteurs la même exploitation de la culture de l'échec pour sans cesse se renouveler.

Ces échecs sont inévitables car les deux secteurs ne peuvent engranger des profits qu'en prenant des risques.

Pour la Silicon valley, le risque est permanent. Il concerne les myriades de start-ups qui éclosent chaque année et tentent de percer à coups d'innovations et de "disruptions". Soutenues par un tissu de sociétés de « capital risk » prêtes à miser gros, à perdre parfois de l'argent, à attendre jusqu'à 10 ans pour ramasser de gros gains, ces sociétés prometteuses deviennent parfois des licornes dans le jargon californien.

Si certaines touchent le jackpot et sont érigées en modèle absolu de réussite, plus de 50% d'entre elles échouent.

Pour la caste supérieure constituée par les GAFAM, la foi en un progrès illimité résolvant tous les problèmes du quotidien constitue le socle de leur discours.

Appadurai démonte ce mythe en rappelant la fragilité et les limitations des technologies numériques liées à leur infrastructure physique, reposant sur des câbles sous-marins, des micro-processeurs à mémoires limitée et des réseaux dont la bande passante finira par s'engorger sous les flots de données toujours plus importantes qui transitent sur Internet.

Mais la force des GAFAM est d'utiliser ces faiblesses comme le phénomène du « buffer » lorsqu'on regarde un programme en « streaming » pour proposer toujours plus d'innovations.

Ainsi, ils proposent un premier niveau de service accessible voir gratuit mais avec des performances suffisamment dégradés pour pousser rapidement l'utilisateur vers le forfait premium.

Plus grave que les « plantage » sont les stratégies d'obsolescence programmée destinées à fournir des boites noires à durée de vie limitée et d'une complexité folle, bien souvent irréparables par les ingénieurs les ayant conçus, afin de pousser l'utilisateur constatant une usure prématurée de son produit à passer au modèle suivant, plus couteux.

Le monde de la téléphonie et à un degré moindre celui de l'informatique, sont de vibrants exemples de cette approche mercantile accompagnée de grands lancements marketing.

Sur l'autre versant de ce capitalisme écrasant, on trouve la plus traditionnelle Wall street. Là encore des stratégies sont mises en place afin de pousser les particuliers et les états à s'endetter.

Ainsi, la « dette » est devenue un mot familier sans que plus personne ne cherche à remettre en cause cette stratégie inflationniste.

Sur ces dettes, les traders spéculent et créent des produits dérivés financiers pour engranger toujours plus de bénéfices.

Ce phénomène de cascade quasi infinie d'une complexité devenue irréelle s'est finalement écroulé avec la crise des subprimes en 2008, lorsque le marché immobilier américain s'est effondré ce qui a provoqué une réaction en chaine et la ruine de millions de foyers surendettés.

Mais comme le rappelle Appadurai, cet échec cuisant n'a pas empêché les états américains et européens de venir en aide aux banques en difficulté, en les renflouant à grand renfort d'argent public.

Dans ces conditions, la finance « too big to fail » est toujours gagnante. Elle a donc repris de plus belle ses jeux risqués pour engranger des bénéfices faramineux en poussant au surendettement, sachant pertinemment que les états voleraient à leur secours en cas de nouveau crash.

En conclusion, « Le triomphe de l'échec » est une réflexion intéressante sur la manière dont les structures privées dominantes du monde occidental, s'assurent d’être toujours gagnantes à la fin du jeu.

Sous des dehors progressistes et humanistes, les GAFAM sont en réalité des sociétés agressives voulant régner en établissant des monopoles et en faisant plier les États à leurs volontés.

Plus traditionnelles en apparence, les structures financières (banques, organismes de crédit, assurances) partagent cette volonté de domination en étendant à l'infini les mécanismes complexes leur permettant d'engranger toujours plus de bénéfices.

Pour lutter contre ses forces en écrasantes, les solutions proposées par les auteurs paraissent bien timides ; les pouvoirs publics devraient reprendre la main, être plus fermes sur les lois et la réglementation, afin de mieux contrôler ses géants pouvant déséquilibrer le monde.

Quant aux particuliers, ils devraient développer leurs compétences dans la sphère numérique afin de sortir de la logique asymétrique des concepteurs et refuser d'entrer dans la logique infernale de la consommation à crédit (immobilier, consommation, santé, vacances, études...).

De jolies recommandations pour un combat à mon sens (quasiment) perdu d'avance alors qu'en période de pandémie mondiale, l'endettement s'envole et que la puissance des GAFAM n'a jamais été aussi affirmée ! 

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