Lacrimosa (Régis Jauffret)

 



Retour à une littérature plus sombre avec « Lacrimosa » de Régis Jauffret.

Roman douloureux, « Lacrimosa » est le témoignage d’un écrivain de cinquante ans à une ancienne maîtresse Charlotte, suicidée par pendaison à l’age de 34 ans.

J’ai trouvé le style narratif de ce livre très original, Jauffret racontant à rebours toute la vie de Charlotte sous la forme d’un dialogue avec la morte à travers l’au delà.

L’exercice de faire revivre une personne disparue par les mots peut sembler vain, pour ma part je l’ai trouvé poignant et de toute manière nos existences humaines sont globalement de toute façon assez vaines.

Dans « Lacrimosa » c’est Jauffret qui raconte la vie de Charlotte, avec son talent d’écrivain il enjolive, affabule, brouille les pistes à loisir ce qui provoque de très vives réactions de la morte qui dans son au delà tempête, s’emporte et met cruellement en lumière les défauts de son ancien amant notamment un égoïsme immense.

Le lecteur remonte amusé ce fil d’Ariane au fur et à mesure que les anecdotes de la vie du couple se voient dévoilées.

Le séjour à Djerba au Club Méditerranée, qui semble à la base assez médiocre avec ce bonheur artificiel pré mâché des clubs de vacances, fourmille en réalité d’anecdotes intimes très touchantes sur deux êtres liés par le lien mystique de l’amour et qui peuvent donc s’aimer dans à peu prêt dans n’importe quel endroit du globe.

On ressent également par la présence semi imaginaire d’un skipper  de 26 ans, amant « régulier » de Charlotte  toute la lâcheté de Jauffret de ne pas vivre à fond cet amour, de ne pas s’engager, mais on ressent aussi o combien il le regrette après coup.

La dernière partie du livre est la plus morbide, la plus difficile à digérer.

Jauffret déroule dans la douleur les derniers mois de la vie de Charlotte.

L’angoisse lié à son prochain licenciement de son poste de journaliste radio apparaît au final bien mince comparé au mal bien plus enfoui et puissant de la dépression qui peu à peu gagne sur elle.

Les dernières semaines ne traduisent que le chaos d’un être qui perd pied avec le monde et qui se débat désespérément pour ne pas sombrer trop vite.

L’errance de Charlotte, sa déchéance et sa souffrance m’ont bouleversées.

J’ai aussi été touché par l’après suicide, le choc effroyable ressenti par un homme qui a perdu une femme dont il était intime et dont les souvenirs le hantent à jamais.

L’écrivain se reproche sans doute son égoïsme, sa suffisance, le fait de ne pas avoir compris que Charlotte l’aimait lui et de ne pas lui avoir rendu assez cet amour.

Cette erreur est somme toute classique, l’être humain souvent aveuglé par son propre ego ne prend pas conscience de la fragilité et de la richesse des autres êtres qui l’entourent

Il passe donc régulièrement à coté de la quintessence de l’existence et n’a ensuite que ses regrets à ressasser en attendant que son tour de disparaître ne vienne.

« Lacrimosa » est un livre très fort, mêlant amour, mort et psychologie.

J’ai été très touché par cet hommage, cette forme d’élégie moderne.

J’ai aimé le questionnement  permanent de l’écrivain autour de sa légitimité à raconter cette histoire.

Aussi partage je la conclusion positive du livre car oui ce livre a un sens, celui de faire renaître même partiellement Charlotte dans l’imaginaire de millions de gens à la fois inconnus et intimes.

Au final me reconnais-je assez dans cette citation :

« J’étais ce qu’on appelle une jeune femme pleine de vie, et ces overdoses de désespoir servaient de produits de contraste pour qu’on puisse mieux voir scintiller ma joie.

J’ai connu le bonheur invraisemblable des grands tristes, ceux pour qui la lumière est rare. Quand la lumière n’est pas un du elle devient un cadeau féerique. Tu n’a jamais vu un rayon de soleil d’hiver quand il a eu la générosité de se battre depuis le petit matin pour percer les nuages en rangs serrés gris et durs comme des ardoises ? »

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