Supplément au voyage de Bougainville (Denis Diderot)

 



L’œuvre de Diderot est protéiforme et dépasse le cadre de la philosophie pour toucher la littérature et le théâtre.

Véritable conte philosophique, « Supplément au voyage de Bougainville » est publié après sa mort en 1796 et constitue une vive réaction aux écrits du célèbre explorateur français qui relate dans sa « Description d’un voyage autour du monde » une vision idéalisée d’un paradis tahitien.

Débutant par un dialogue entre deux personnages (A et B !)  venant à parler du récit de Bougainville, le livre en vient assez rapidement à critiquer l’entreprise de conquête des Européens sur les autres peuples prétendument sauvages de Polynésie.

Diderot fait ensuite parler le vieux chef d’un village tahitien qui déclame un discours d’adieu au moment ou l’expédition quitte son île.

Le chef n’est pas tendre avec Bougainville, lui reprochant d’avoir corrompu les usages simples et purs de son peuple qui avait trouvé son équilibre en vivant au contact de la nature.

Bougainville a introduit à Tahiti la notion de possession (des terres, des objets, des femmes ) avec tous les inévitables conflits qui en découlent.

Le vieillard critique l’orgueil et l’avidité de l’explorateur s’autoproclamant au mépris des autochtones maîtres des lieux  par le simple fait d’avoir été selon lui le premier européen à le découvrir.

A travers ces propos, Diderot vilipende en fait le sentiment de supériorité de l’occidental sur le « sauvage » certes moins avancé techniquement mais plus sain et robuste.

Mais la partie la plus importante du conte réside en l’entretien entre un aumônier et Orou, jeune tahitien que Bougainville ramena en France sur son bateau.

Entre le sauvage et l’aumônier va s’instaurer un véritable dialogue philosophique ou Orou va démonter à son interlocuteur que les lois et coutumes imposées par la religion chrétienne sont non seulement inefficaces mais également nuisibles au bonheur naturel de l’homme.

Incapable de comprendre la signification d’un Dieu invisible, impuissant mais imposant beaucoup de restrictions impossibles à tenir, le tahitien expliquant les mœurs en vigueur sur son île va en effet considérablement ébranler les certitudes rigides du prêtre en matière d’éducation, de mariage et de sexualité en montrant tout le caractère subjectif voir parfois ridicule d’un point de vue naturel des notions de fornication, d’inceste et d’adultère.

L’entretien se termine par la capitulation du prêtre qui cède aux coutumes tahitiennes et couche avec toutes les femmes qu’on lui propose (!)

Très provocateur, Diderot termine ensuite brillamment son exposé en démontrant l’absurdité d’une loi religieuse voir civile pour la vie amoureuse sauf si ces deux dernières se calquent sur la loi naturelle en supprimant les notions de pudeur, de fidélité et de jalousie.

En conclusion, « Supplément au voyage de Bougainville » est un conte formidablement provocateur et audacieux destiné à prendre le contre pied du sentiment de supériorité des colons blancs venant apporter leur prétendus progrès et civilisation à des  peuples vivants en harmonie et ne demandant rien à personne.

L’exemple de la société tahitienne calquant ses coutumes sur les lois naturelles, donne la l’occasion à Diderot d’attaquer à nouveau la religion chrétienne et de réaffirmer ses positons naturalistes.

J’ai été complètement subjugué par ce conte renvoyant comme un boomerang en plein visage toute la folie des conquêtes des empires européens avides de territoires, de richesses et pensant stupidement apporter la civilisation et la foi chrétienne à des peuples souvent pacifiques.

Diderot se posant ici en véritable objecteur moral et en parfait humaniste mettant tous les hommes sur le même pied d’égalité, mérite assurément son statut de grand penseur du siècle des Lumières qui honora tant la France.

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