Le successeur de pierre (Jean-Michel Truong)

Philosophe et psychologue investi dans les recherches sur l’intelligence artificielle, Jean-Michel Truong est aussi écrivain de Science fiction comme en témoigne « Le successeur de pierre » publié en 1999 et sans doute l’un de des romans les plus célèbres.
Vaste ouvrage de plus de six cent pages, « Le successeur de pierre », se déroule majoritairement dans le futur proche (2032) ou à la suite d’une grande épidémie de peste, les populations des pays occidentaux ont décidé de s’enterrer dans d’immenses pyramides les isolant du monde extérieur.
Ces pyramides sont autonomes et reliées en réseau par le biais du Web, devenu le seul moyen de communication moderne, les nouvelles lois interdisent tout contact physique entre les êtres humains qui vivent isolés dans des cocons, avec pour seuls loisirs des séances de home trainer ou de sexe par avatars informatiques.
Les pays comme la Chine ayant refusé de se soumettre à ce réseau mondial contrôlé par les États-Unis qui demeurent la plus grande puissance économique et militaire mondiale, sont vus comme des ennemis potentiels refusant le Pacte de Davos favorisant les échanges mondiaux.
Seule la caste dirigeante appelée composée des Imbus vit dans une pyramide séparée à Aspen (Colorado) ou elle bénéficie d’une totale liberté tandis que le reste de la population appelée les Larves subsiste de manière totalement assistée par des machines, les rebelles terroristes vivant hors des pyramides étant composés des NoPlugs.
Dans l’univers totalement automatisé et aseptisé d’une de ses pyramides vit un jeune homme appelé Calvin qui n’ a pour seul contact social que des rendez vous périodiques avec un groupe d’amis avec lesquels il dialogue par avatars informatiques interposés : Thomas son beau père, Rembrandt le vieux français amateur d‘art, Chen le mystérieux chinois, l'exalté Nitchy et Maud sa petite amie journaliste virtuelle.
Après avoir échappé de peu à une mystérieuse tentative d‘assassinat, Calvin apprend que sa mère, Ada s’est suicidée.
Brillante chercheuse en informatique, Ada avait transmis à son fils son habileté dans la conception de programmes, aussi Calvin qui a du mal à digérer cette disparition, va-t-il mettre en pratique ses compétences pour lancer sur le Web des programmes appelés Saumons, pour trouver des informations sur ces amis dont l’attitude lui semble suspecte.
Tandis que les Saumons, utilisant des algorithmes d’intelligence artificielle pour s’améliorer et devenir de plus en plus performants dans la collecte de données, Calvin commence à se poser des questions sur la véritable identité des gens avec qui il discute depuis toutes ses années.
Il parvient à réaliser que Ada a en réalité réalisé le coup du siècle en dérobant le nouveau jeu confidentiel de la société américaine WonderWorld et en le diffusant sur le Web, ce qui a causé une énorme crise diplomatique entre les États-Unis et la Chine, accusée d’avoir effectué ce piratage.
La conséquence pour la Chine est un raffermissement de la cohésion nationale autour de la menace étrangère et de la remise sur le devant de la scène d’un vieux dirigeant centenaire maintenu en vie par un complexe système de machines, Wang Luoxun.
Aux États-Unis, le débat prend un tour politique et met en péril la position de Kleinkopf, le président qui affronte par le biais d’avatars informatiques animés son rival le sénateur Branniff, dans de médiatiques débats télévisés.
Mais Branniff, qui a commandité le vol pour déstabiliser son rival et obtenir les financement d’un couteux programme anti missiles balistiques aux cotés la société General Avionics, est finalement confondu par le travail d'investigation de Maud.
Les masques tombent, Thomas agent du gouvernement américain chargé de retrouver sans succès des milliards précédemment dérobés par Ada, Chen amant d'Ada mais surtout agent chinois finalement éliminé après avoir réussi sa mission principale de resserrement de la nation autour des valeurs traditionnelles chinoises Maud journaliste à la solde de Kleinkopf et même Rembrandt l’idole de Calvin, menteur pathologique sur son passé, finalement effacé comme bon nombre de Larves par des programmes informatiques.
Nitchy en réalité révérend, lui révèle directement les derniers secrets de cette terrible mécanique : obsédés par un désir sans cesse croissant de pouvoir et de richesse, les Imbus ont décidé de réduire progressivement la population des pyramides.
Cette tache a été confiée à des programmes informatiques agissant de manière autonomes à base de conditions logiques.
Une fois désignée par d’obscures conditions dans lesquelles rentrent l’âge, la victime est radiée de Webjob pour n’avoir plus aucun revenu et reçoit des lettres de plus en plus insistantes d’une compagnie chargée d’accompagner les Larves déclarées improductives car trop vieilles ou malades.
En parallèle les coupures d’électricité ou de ventilation déclenchée aléatoirement viennent pressuriser la victime, tout comme la réduction de la valeur nutritive de ses rations alimentaires.
Soumis à pareilles pressions psychologique, Rembrandt cède peu à peu du terrain et finit par se laisser aller malgré la volonté désespérée de Calvin de lui porter secours.
Sa mort bouleversante est un électrochoc pour Calvin qui se découvre lui aussi menacer par les impitoyables programmes informatiques.
Le jeune homme pénètre alors dans un secret encore plus profondément enfoui, l’asservissement des hommes à une entité appelée la Créature, incarnation d’une forme d’intelligence divine qui utilise l’informatique pour progressivement se détacher des hommes pour se transférer dans l’aspect minéral des composants électroniques.
Truong boucle alors son roman avec l’autre aspect historico-religieux du récit, la quête au fil des siècle d’un mystérieux manuscrit appelé la Bulle de Pierre, qui viendrait contredire les Evangiles qui ont fondé le pouvoir de l’église catholique sur le fait que Jésus était le fils de Dieu, ce qui de fait rapproche l’homme du divin.
Les disciples du patriarche orthodoxe Nestorius qui popularisa ce courant religieux au Moyen-Orient ou il fut exilé, furent considérés comme des ennemi des Papes, qui employèrent toute leur énergie pour récupérer le mystérieux manuscrit afin de le faire disparaitre.
Charles Darwin, Sigmund Freud et surtout le père Teilhard de Chardin, furent considérés par leurs travaux scientifiques et philosophiques comme des vecteurs de cette profonde vérité trouvant sa réalité dans l’avènement de la Créature, ayant pris complètement le contrôle de la société humaine pour préparer le transfert de son intelligence dans une autre enveloppe matérielle.
Calvin comprend que sa mère avait compris ce danger et que le casse du WonderWorld n’a été que le prétexte pour propager des programmes informatiques, les Gnomes, capables de modifier l’aspect destructeur de la Créature en lui inculquant des valeurs de coopération, de réciprocité et de pardon vis-à-vis de la race humaine.
Devenu à présent le seul capable de continuer son œuvre, il se sait menacé par les Imbus et décide de sortir de sa pyramide pour tenter de rejoindre le mouvement des NoPlugs vivant en marge du monde informatisé.
Il prend alors contact avec Tash, lui aussi destiné à changer le monde…
En conclusion, « Le successeur de pierre » est un roman d’une incroyable densité, érudition et complexité, qui le rend difficile d’accès.
Difficile aussi à a été de suivre en parallèle deux histoires en apparence incohérente, la quête dans le passé à la recherche d’un texte capable d’ébranler la religion catholique et les méandres d’une enquête cybernétique dans un futur proche.
Néanmoins, Truong réussit son coup avec un final particulièrement fort ou tout finit par s’assembler pour former un tout admirablement cohérent, reléguant l’homme à l’échelle de vecteur temporaire dans la transmission de l’intelligence décrétée par Dieu.
La recherche du pouvoir et de la richesse sans limite relayées par des systèmes informatiques devenus progressivement omnipotents provoqueront ils la fin de notre monde ?
Le thème est passionnant et l’auteur spécialiste de l’intelligence artificielle, y apporte une intéressante pierre à l’édifice.
D’un très haut niveau sur le fond, « Le successeur de pierre » aurait je pense gagné en rythme en adoptant une forme plus concise privilégiant l’action à l’exposition de longues thèses historico-philosophico-religieuses.
A réserver donc aux cérébraux passionnés de Science fiction…

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