Le Brésil au XXIème siècle, naissance d’un nouveau grand (Alain Rouquié)

Complément idéal aux ouvrages précédents sur l’Amérique latine et le Brésil, « Le Brésil au XXIème siècle, naissance d’un nouveau grand » du spécialiste Alain Rouquié est un massif ouvrage sorti en 2006.
Contrairement à ce que son titre l’indique, « Le Brésil au XXIème siècle, naissance d’un nouveau grand » ne commence pas au XXIème siècle mais par un inévitable rappel l’immensité géographique de ce pays-continent doté d’innombrables richesses naturelles (océan, rivières, forets).
Puissance agricole de premier plan, le Brésil est également une puissance industrielle en devenir avec les secteurs porteurs de l’aviation et de l’automobile mais cette richesse apparente ne parvient pas à masquer les importantes inégalités en son sein entre par exemple l’état de São Paulo dont le PIB est similaire à celui de la Belgique ou de l’Arabie saoudite et les états du Nordeste dont le niveau de vie est comparable à celui des régions les plus pauvres et sèches de l’Inde.
Mais même si le Nordeste reste à la traine du pays, lui aussi se développe derrière quelques locomotives comme Salvador de Bahia, Recife, Campina grande, Juazeiro, Petrolina et Aracaju.
Si l’état de Sao Paulo reste le premier pole économique du pays (café, aéronautique, automobile, pharmaceutique, métallurgie, électricité), sa domination est moins exclusive avec un rééquilibrage au profit du Mina Gérais, du Sud (Parana, Rio grande do Sul, Santa Catarina), Rio de Janeiro restant un état riche mais en difficulté notamment en raison de sa violence endémique.
Consacré à la partie historique du pays, le chapitre deux met en évidence  l’importance l’esclavage aboli tardivement (1888),  qui a laissé encore aujourd’hui son empreinte dans une hiérarchie raciale inconsciente ou l’Indien et le Noir sont malgré leur héritage culturel majeur, au mieux méprisés, au pire niés.
Paradoxalement, le Brésil reste le pays le plus métissé du monde au travers notamment de ses importantes vagues migratoires européennes (Portugal, Italie, Espagne, Allemagne), asiatiques (Japon), arabes (Syrie, Liban) qui viennent se superposer au métissage afro-indien-portugais précédents.
Au niveau politique, le Brésil se caractérise par l’existence de pouvoirs locaux hérités du « coronelismo » marqué par l’influence de propriétaires terriens capables de mobiliser une population à leurs bottes à des fins électorales en échange de la protection accordée.
Certains de ces colonels connurent des réussites spectaculaires jusqu’à devenir maires, députés ou gouverneurs tels Ademar de Barros ou Antionio Carlos Maglhaes, mais de manière générale le Brésil des usines et des grandes villes se caractérise par un fort esprit de citoyenneté capable de s’opposer à des régimes autoritaires comme celui de Getulio Vargas ou des généraux qui lui succédèrent après sa mort en 1954.
Au niveau social, les fortes inégalités renforcées par un racisme latent envers les Noirs appartenant aux couches les plus pauvres, aboutissent à la création d’une police militaire violente, n’hésitant pas à abattre ou torturer les bandits plutôt que d’encombrer les tribunaux de procédures.
L’église catholique, traditionnellement en faveur des pauvres quitte à prendre des positions sociales irritant le Vatican, est aujourd’hui concurrencée par les mouvements évangéliques importés des Etats-Unis, dont l’influence notamment par le biais des chaines de télévisions et d’une présence de terrain impressionnant, ne cesse de croitre.
Dernière force majeure du pays, le Syndicalisme capable par ses grèves d’exercer une forte influence politique et d’engendrer de grands leaders, dont Luiz Inacio Lula da Silva est la plus célèbre émanation.
L’Etat reste au Brésil dominant, employant une fonction publique importante et catalysant le plan de développement (planejamento) du pays via ses entreprises nationales dont les plus célèbres sont Volta redonda (sidérurgie), Petrobras (pétrole), Eletrobras (électricité) et Banco do Brasil, Caixa economica federal, BNDES (banque).
Dans les années 60-80 sous le régime des militaires (Costa e Silva, Emilio Garrastazu Medici, Castelo Branco, Orlando Geisel, Joao B Figueiredo), le Brésil se développe avec un taux croissance de plus de 10% et permet l’accès à la population aux biens de consommation durables (automobile, électroménager, télévision) mais après le choc pétrolier de 1973, la dictature militaire continue d’appliquer une politique couteuse de dépenses publiques qui maintient la croissance à 7% au prix d’un endettement dangereux (100 milliards de dollars en 1985).
En 1985, les généraux, soutenus par les Etats-Unis qui ont utilisé la peur des Communistes pour établir un régime de fer supprimant toute opposition dure et n’hésitant pas à employer la force (torture, exécution), acceptent finalement de revenir à un véritable système démocratique laisse se dérouler des élections libres qui font émerger un président de la société civile Tancrado Neves.
Porteur d’un immense espoir, Neves qui meurt malheureusement peu après d’une septicémie et est remplacé au pied levé par Josey Sarney.
Dépassé par une inflation non maitrisée, le Brésil tente plusieurs plans de redressement  par Sarney, puis le très médiatique Fernando Collor finalement destitué en 1992 en raison des scandales de corruption qui entachent sa présidence, qui se soldent par des échecs cuisants.
Il faudra attendre le lettré Fernando Henrique Cardoso en 1994 pour trouver l’homme providentiel capable de redresser la situation économique désastreuse de l’après règne des généraux.
Cardoso change la monnaie pour le real indexé sur le dollar américain, diminue la corruption par un contrôle plus étroit des états fédéraux et terrasse l’inflation au prix de libéralisations étatiques l’inflation.
Revers de la médaille le chômage explose notamment dans l’industrie avec une perte de 2,4 millions de travailleurs mis dehors pares les privatisations massives.
L’insécurité augmente également…faisant des favelas les coupe-gorges les plus célèbres et Brésil l’un des pays les plus criminogènes du monde.
Le leader du PT, l’ex syndicaliste de la métallurgie Lula qui a déjà échoué trois fois à la présidence, prend sa chance et parvient en nouant bon nombres d’alliance à accéder à la présidence en 2002.
Issu d’une famille misérable du Nordeste, Lula qui est a vendu des cacahouètes pour survivre et travaillé à l’usine, met en avant ses origines modestes pour devenir le symbole d’un sucess-story brésilienne et devient l’une des personnalités les plus influentes au monde.
Il ouvre le Brésil vers l’étranger, libéralise et tente de nouer des  relations avec les « non alignés » comme la Chine, l’Inde et les pays arabes afin de faire contrepoids face aux Européens et aux Etats-Unis et de négocier des accords commerciaux avantageux pour ses exportations principalement agricoles.
Le Brésil s’affirme comme la puissance dominante de l’Amérique du sud et accentue ses échanges avec ses voisins du marché du Mercosur ou des pays-andins.
En conclusion, « Le Brésil au XXIème siècle, naissance d’un nouveau grand » est un ouvrage intéressant brassant ce que l’on sait déjà du Brésil : gigantisme, brassage ethnique, inégalités, violences, corruption pour décrire les grandes lignes de son évolution moderne.
Le constat est globalement celui d’une marche en avant vers le progrès, même dans les régions les plus pauvres du Nordeste, que ce soit sous le règne controversé des dictateurs (Vargas, militaires) malgré tout source d’un développement accéléré voulu par l’Etat puis après une période de turbulence inflationniste dans les années 85-94, une nouvelle marche en avant inspirée par Cardoso puis Lula, qui maitrisant la dette, réussirent le tour de force de combiner avancée sociales et développement économique en multipliant l’influence du Brésil sur la scène internationale.
Arrêtant malheureusement son constat en 2006 avec un Brésil en pleine ascension, « Le Brésil au XXIème siècle, naissance d’un nouveau grand » passe à coté du revers de la médaille du règne du PT, la corruption endémique qui ronge le pays, le scandale de lava jato qui aboutira à la destitution de Dilma Roussev et à la mise en cause de Lula lui-même, plongeant le Brésil dans une profonde phase de récession économique sans qu'un début de solution ne soit à l'horizon sur les difficultés sociales (inégalité, violence)... Un constat donc à minorer vis à vis de l'actualité !

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