Manuel pratique de la haine (Ferrez)

En pleine humeur brésilienne, me voici donc à présenter la chronique de « Manuel pratique de la haine » de Ferrez.
Sorti en 2009 en France toujours chez Anacaona, « Manuel pratique de la haine » s’inscrit dans une veine d’écrivains brésiliens urbains narrant leur quotidien difficile dans les favelas.
Ici, on suit l’évolution dans une favela de Campo limpo (São Paulo) de six jeunes appartenant déjà au monde des gangsters, en quête d’un ultime « gros coup » avant de passer à autre chose.
Régis est assurément le leader de la bande aux cotés de Magicien qui étant déjà un truand établi habite en dehors de la favela et a des contacts dans le monde de la classe moyenne.
Viennent ensuit Lucio, Celso, Neguinho et Aninha, la seule fille de l’équipe ayant fui la misère de l’état de Bahia pour tenter sa chance à São Paulo.
Le plan est simple mais minutieusement préparé, réaliser le braquage d’une banque en se répartissant les rôles.
Si Régis marié à Eliana rêve de monter ensuite une affaire de centrale téléphonique pour détenus, Magicien lui n’aspire qu’à conserver son train de vie tandis que Neguinho qui est tombé follement amoureux d’une jeune fille blanche nommé Eduarda, espère lui se retirer des affaires, acheter une maison et mener une vie familiale normale.
Mais dans la favela tout peut arriver et rien ne se passe jamais comme prévu : les bandes rivales pullulent, celle de Beau-gosse, un gamin aspirant à prendre le contrôle du trafic déclenche une guerre pour un motif en apparence secondaire : l’assassinat d’un de ses amis Gilde, par Neguinho.
Beaux-gosse a pour principal avantage de fournir en drogue le commissaire Mendoza, chef de la police militaire du district, ce qui lui assure de précieux appuis avec les forces de l’ordre corrompues.
Outre les bandes rivales et les policiers, les nettoyeurs sorte de tueurs à gage comme Valdieni dos Santos Silva font également partis des prédateurs de la favela…
Toutes les conditions sont donc réunies pour que la situation parte inévitablement en vrille…
En attendant le gros coup, Ferrez décrit avec talent et précision le quotidien des habitants, jeunes à la gâchette facile obsédés par faire de l’argent rapidement sans prendre conscience des risques mais aussi modestes travailleurs tels les courageux ouvriers métallurgistes Jose Antonio et Paulo féru de littérature ou Dinoithina petit vendeur de roses tentant de rester dans le droit chemin.
Pourtant après le hold-up réussi la situation se détériore et rien ne se passe comme prévu.
Pris dans un étau entre Beaux-gosse et la police, Régis est contraint de jouer double jeu et de faire éliminer ses partenaires.
La guerre entre les deux bandes tourne donc au désavantage des braqueurs qui se font descendre un par un, la mort la plus cruelle étant celle de Magicien, dont le corps est démembré et brulé par ce psychopathe de Beaux-gosse.
Neguinho et Aninha décèlent que quelque chose cloche dans cette affaire, mais seule le jeune femme a la présence d’esprit de s’extraire à temps en prenant la décision radicale de quitter la ville pour retourner à Bahia.
Une fois Neguinho descendu et le butin récupéré, Régis se rend seul à un ultime rendez vous avec Beau-gosse pour récupérer son fils détenu en otage.
Le rendez-vous tourne à la fusillade et les deux truands s’entre-tuent.
Grièvement blessé, Regis retourne chez lui pour ramener son fils à Eliana mais Mendoza demande à son lieutenant Aires d’en finir avec lui pour récupérer le reste du butin.
En conclusion, même si « Manuel pratique de la haine » traite d’une sujet mainte fois rabâché, le talent de conteur de Ferrez fait la différence dans la construction d’une réelle histoire au fort gout de polar avec en toile de fond une description d’une grande précision et d’une grande puissance du quotidien démoralisant de violence et de misère des favelas brésiliennes ou des jeunes sans espoir, ayant grandi dans la société de consommation, tuent pour les motifs les plus dérisoires.
Autre partie importante du roman, l’aspect social ici très marqué, Ferrez lui-même favelado justifiant clairement le point des vue des braqueurs prêts à tout pour sortir de l’humiliation de la pauvreté et atténuant la douleur des victimes de leur violence : entreprises couvertes par l’assurance, vigiles ou policiers corrompus jusqu’à la moelle et classe moyenne coupable de mépris envers les couches les plus défavorisées.
Ce parti-pris qu’on peut sans doute à juste titre contester, n’enlève rien à la puissance de ce roman précis, dur et froid comme un scalpel entaillant la peau !

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