Les miroirs de l'esprit (Norman Spinrad)

 



Comme lecture de plage cette année, « Les miroirs de l’esprit » de Norman Spinrad m’est tombé entre les mains.

Sorti en 1980, « Les miroirs de l’esprit » est une œuvre volumineuse d’un écrivain américain connu depuis les années 60 pour ses écrits de science fiction contestataires.

L’histoire se déroule dans le milieu du cinéma à Los Angeles, ou Jack Weller, jeune réalisateur de second plan, se rêve d’un avenir meilleur tandis qu’il cachetonne pour un sitcom enfantin débile mais diffusé sur une grande chaine à une heure de grande écoute.

Sous les conseils de son ami Bob Shumway également dans le milieu des médias, Jack se rend avec sa femme Annie, actrice également dans l’attente d’un rôle majeur, à une soirée promotionnelle organisée par une des nombreuses sectes de la région, le Transformalisme.

Désireux de nouer des précieux contacts professionnels, Jack se déplace à contre cœur, fermant volontairement son esprit à la propagande discrète mais belle et bien réelle du mouvement symbolisé par son charismatique leader, un dénommé John Steinhardt.

La soirée ne tient pas tout à fait ses promesses sur le plan professionnel pour Jack, mais à sa grande surprise, Annie est plus réceptive au discours transformaliste et décide en toute autonomie de se rendre à des formations ou elle peut à loisir s’imprégner du message diffusé par les disciples de Steinhardt.

Les absences d’Annie se font de plus en plus fréquentes et sa mentalité change progressivement avec un discours de plus en plus calqué sur la pensée transformaliste sensé lui apporter bien être et sérénité.

Sentant le danger, Jack réagit de manière instinctive et cherche à protéger sa femme en la tirant des griffes des instructeurs de la secte mais Annie résiste farouchement et n’hésite pas à tenir tête à son mari.

Sa disparition soudaine le plonge dans un profond désarroi et met son esprit combattif en pleine ébullition.

Privilégiant une approche directe et menaçante, Weller parvient à entrer en contact avec un des responsables du Transformalisme, un dénommé Benson Allen qui reste imperméable à ses menaces et refuse de lui dire ou se trouve sa femme.

Poliment mais fermement éconduit, Weller comprend qu’il s’est attaqué à une organisation puissante, possédant beaucoup d’argent, un service juridique redoutable et surtout de précieuses relations qui rendent l’aide de la police et même des média parfaitement inefficace.

Désespéré, Weller entre en contact avec Garry Bailor, un consultant indépendant spécialisé dans l’aide aux particuliers pris dans des sectes.

Mais tout en l’aidant, Bailor lui propose d’intégrer lui-même la secte afin de découvrir ou se trouve Annie.

Personnage cynique et ambigu, Bailor n’inspire pas grande confiance à Weller d’autant plus que ses conseils se paient contre de fortes sommes mais n’ayant pas d’autres solutions, il finit par opter pour ce choix risqué.

Weller revient donc vers le Transformalisme dans le but de leurrer les instructeurs sur ses intentions mais le jeu est très serré avec un ensemble de tests en forme de jeux de rôles visant à mettre à l’épreuve sa sincérité.

Le mari éperdu comprend qu’il ne ressortira pas intact de l’épreuve qui met à nu ses faiblesses, notamment son terrible sentiment d’échec professionnel.

En parallèle des fortes dépenses engagées pour suivre la formation et payer Bailor, Weller se coupe progressivement de toute vie sociale et supporte de plus en plus mal son travail de réalisateur en le bâclant et se montrant incroyablement irascible.

Licencié et aux abois, Weller retourne voir Allen, qui en position de force, lui propose de travailler pour la secte en réalisation des films de propagande en échange d’avoir peut être un jour le privilège de revoir Annie.

Weller accepte, rencontre Harry Lazlo, un puissant producteur transformaliste qui lui révèle l’étendu des ramifications de la secte, qui possède une multitude de société des médias plus grand public servant à augmenter les profits, brouiller les cartes et à diffuser sournoisement son message.

Séduit par cet homme pragmatique appartenant au même monde que lui, Weller comprend que Lazlo est le principal organisateur de la structure du Transformalisme, tandis que Steinhardt n’était qu’un minable écrivain se science fiction illuminé mais incapable de gérer une organisation aussi complexe.

Mais lorsque affecté à un modeste emploi de cameraman, il découvre les hangars minables qui servent de locaux de production, Weller est atterré par la médiocrité du personnel technique, certes fanatisé par sa tache mais incapable de produire quelque chose de correct.

Si Weller prend en sympathie l’équipe de réalisateur, Georgie Prinz et Sara English, une ex star du porno au physique sculptural, elle aussi puissamment endoctrinée par le baratin de Steinhardt, il doit en parallèle continuer sa formation afin de prouver la sincérité de sa démarche, démarche soigneusement entretenue par l’envoi des lettres d’Annie.

Pour ceci, il est finalement soumis à un interrogatoire serré de Gomez, appartenant à la caste des moniteurs, sorte de police politique chargée de surveiller les adeptes tout en assurant la sécurité interne du mouvement.

Le match avec un homme à l’intelligence aussi acérée que Gomez est indécis et contre toute attente, Weller prend plaisir à ces joutes avec le moniteur, qu’il finit par respecter et admirer.

Profitant d’une inattention du moniteur, Weller parvient à photocopier une liste des contacts du Transformalisme placés dans différentes grandes sociétés ou administrations californiennes.

Nanti de cette monnaie d’échange, Weller envoie des copies de la liste à des hommes de confiance, comme son agent, son oncle et son ami Bob.

Parvenu à franchir l’obstacle Gomez, Weller se voit donc attribué le droit de réaliser des films pour le Transformalisme mais doit en parallèle subir une mesure extrêmement rigoureuse le contraignant à résider dans un centre de la secte afin de prouver une nouvelle fois sa loyauté.

Lâché par Bailor mystérieusement disparu car la situation devenait trop risquée pour un indépendant comme lui, Weller, une nouvelle fois pris à la gorge par cette implacable machinerie, s’enfonce encore plus profondément dans les arcanes du Transformalisme, trouvant plaisir aux changements ressentis dans sa personnalité et perdant toujours davantage de vue les retrouvailles avec Annie.

Il découvre un centre austère ressemblant à une prison ou il côtoie les adeptes les plus fauchés de la secte, devant accomplir des taches élémentaires pour payer les montants élevés de leur formation.

Mais Weller reçoit une opportunité inespérée lorsqu’il se trouve invité à une soirée de Maria Steinhardt, la femme du gourou.

Profitant des conseils avisés de Lazlo qui joue en quelque sorte office de protecteur, Weller séduit Maria, femme mure esseulée adorant croquer les hommes plus jeunes pour assouvir ses besoins sexuels.

Dopé par l’enjeu, Weller se montre un amant incroyable, dominant et baisant Maria qui s’entiche immédiatement de lui.

Assez détachée des activités de son mari, Maria va devenir une alliée précieuse, lui indiquant qu’Annie était retenue dans le centre de recherche new yorkais hyper sécurisé de la secte et appuyant sa demande de réaliser des films pour Steinhardt en personne afin d’approcher sa femme au plus près.

Malgré cette protection, la réaction du chef des moniteurs est cependant terrible, aboutissant au kidnapping de Weller alors qu’il était entré en contact avec Rich Golden, un ex journaliste rendu fou par la secte alors qu’il avait osé s’en prendre à elle frontalement.

Malmené par les gorilles de Torrez, Weller parvient à manœuvrer suffisamment Torrez pour obtenir son transfert à New-York afin de rencontrer après avoir été au préalable copieusement drogué, Steinhardt.

A New-York, Weller se réveille dans une résidence confortable mais hautement sécurisée, fermée sur l’extérieur par des miradors et des fils barbelés, et découvre par Bernstein, un chimiste menant des expériences scientifiques pour le compte de Steinhardt, afin de créer une mixture permettant aux hommes d’atteindre le maximum de leur niveau de confiance.

Cette substance liquide appelée éptifiant, produit des effets bénéfiques sur Weller qui a considère Bernstein comme un scientifique dévoré d’ambition et peu regardant sur l’origine de ses financements.

Mais Bernstein ne constitue qu’une étape intermédiaire avant la vraie rencontre avec Steinhardt, le gourou suprême.

L’homme se révèle sous des dehors d’alcoolique désinvolte, un esprit redoutablement intelligent, cynique et manipulateur.

Apparemment insensible à l’adultère de sa femme, Steinhardt sympathise avec Weller qu’il estime et lui propose d’enregistrer son testament filmé afin de conserver son aura de gourou mystique face aux prédateurs qui après sa mort détourneront à leur profit son mouvement.

Weller qui a entre temps retrouvé sa femme complétement dévouée à la cause du Transformalisme et considère l’avoir perdue à tout jamais, opère au dernier moment un volte face inattendu, menaçant Steinhardt de divulguer la liste de contacts à l’extérieur si il ne le laissait pas partir.

Après une lutte intense face à Torrez, Weller parvient à convaincre Steinhardt de le laisser partir en le mettant sous surveillance périodique afin de jauger de sa dangerosité.

Mieux, il s’engage à favoriser sa carrière professionnelle afin de réparer la perte d’Annie, mais le menace de mort en cas de fuites concernant la secte.

Weller peut ainsi retrouver une vie normale, jouir d’une carrière largement favorisée avec l’obtention d’émissions variées sur des grosses chaines, même si l’ombre de Steinhardt plane toujours de temps à autre sur lui, notamment par les propos étonnamment ambigus de son ami Bob.

En conclusion, « Les miroirs de l’esprit » est un roman 110% californien particulièrement fort, proposant une plongée dans les rouages d’une puissante secte américaine.

On pense évidemment très fort à la Scientologie qui a bien sur capter certaines stars hollywoodiennes, avec une organisation puissamment structurée, reposant sur un processus de conditionnement mental visant à trouver les failles potentielles chez le sujet, à s’y engouffrer pour le déstabiliser afin d’assoir son emprise.

Une fois la victime accrochée, la seconde phase est de provoquer un isolement avec toute personne (amis, famille) capable d’interférer.

Désociabilisé et fragilisé, le nouvel adepte devient donc une proie facile dont toutes les ressources financières sont absorbées, avant qu’il n’accepte de se dévouer corps et âme au mouvement.

Même si l’intrigue de base reste fragile (un homme têtu lutte seul pour retrouver sa femme déjà fortement endoctrinée), la dense construction du roman, les multiples rebondissements et le style clair et puissant de Spinrad font que sa lecture demeure malgré sa durée, tout au long très plaisante.

Par son efficacité, son suspens et son habileté, « Les miroirs de l’esprit » porte en lui marque d’un écrivain reconnu, au talent solide qui sait pertinemment comment mener sa barque et ou emmener le lecteur.

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