Les défenseurs de la foi (Neil Daniels)

 



Alors que la littérature abonde en ouvrages sur les Rolling Stones, les Beatles ou les Doors, il m’a toujours semblé étonnant voir injuste que Judas Priest le plus digne représentant du heavy metal depuis une quarantaine d’années ne bénéficie d’aucune exposition par ce canal médiatique.

Aussi ce n’est pas sans joie que j’ai dévoré la biographie du groupe « Les défenseurs de la foi » écrite en 2007 par le journaliste britannique rock Neil Daniels.

Autant le dire tout de go, cet ouvrage n’a pas reçu l’aval du management du groupe, visiblement et étonnamment très rétif à toute entreprise de cet ordre.

Sans témoignage prélevé à la source auprès des membres de Judas, c’est donc à une tache particulièrement ardue que s’est attelé le journaliste.

Pourtant Daniels s’en est bien sorti et a écrit un long ouvrage très complet en recueillant les témoignages d’anciens membres du groupe comme le tout premier chanteur Al Atkins ou de bon nombre de batteurs par la suite écartés et donc plus libres de leurs propos.

Ainsi on apprend beaucoup sur la genèse du prêtre maudit depuis les débuts à West Bromwich petite ville ouvrière située prêt de Birmingham en plein milieu de ce qu’on appelle le Black Country, zone ouvrière austère liée aux industries métallurgiques.

C’est donc dans cet environnement rude et dans des milieux populaires ouvriers et modestes qu’ont grandi la plupart des membres du groupe et il n’est pas totalement incohérent de penser que ce milieu a eu une influence sur leur façon de jouer de la musique et leur détermination à réussir.

A ses débuts dans les années 60, le Judas Priest tel qu’on le connaît n’est qu’à un stade embryonnaire.

Aaucun des membres actuels ne compose un groupe monté par le chanteur Al Atkins, le bassiste Brian Stappenhill et le guitariste Ernie Chataway.

Majoritairement influencé par le blues et le rock progressif, le groupe se cherche, essuie de nombreuses galères, perd tous ses membres en cours de route avant que le désormais solitaire Atkins recrute le placide bassiste Ian Hill puis le guitariste Kenneth K Downing pour son jeu de guitare sauvage calqué sur son idole Jimmy Hendrix.

A cet ersatz de line up se joint le batteur John Ellis et le groupe ne tarde pas à commencer à travailler sur un répertoire plus sombre influencé par Black Sabbath et Led Zeppelin.

Aidé par son manager le débrouillard et passionné Dave Corke, Judas Priest commence à tourner en Grande Bretagne mais perd rapidement Ellis qui est incapable de tenir psychologiquement le rythme des tournées.

Malgré l’embauche de Chris Campbell batteur d’origine jamaïcaine affublé d’une superbe coupe afro, et la signature d’un contrat de management avec une entreprise soutenue par Tommy Iommi, Judas Priest est incapable de joindre les deux bouts financièrement et le fondateur original Atkins, complètement découragé, jette l’éponge.

Persévérants Hill et Downing continuent et recrutent deux nouveaux membres le chanteur Rob Halford et son collègue au sein d’Hiroshima le batteur John Hinch.

Aidé par ces musiciens expérimentés et par la voix si étonnante d’Halford, le groupe fini par se faire remarquer par le label Gull qui les convainc d’engager un deuxième guitariste Glenn Tipton pour muscler son jeu de guitare et étoffer le son.

Entre les britanniques, l’alchimie ne tarde pas à fonctionner, Tipton et Halford étant deux formidables forces créatrices et cette connexion produit en 1974 leur premier album « Rocka Rolla ».

Mais Hinch mécontent de son traitement au sein du groupe quitte Judas peu après et est remplacé par le batteur de studio Alan Moore puis par le très technique Les Binks.

Avec « Sad wings of destiny » , « Sin after sin » et « Stained class » le groupe définit son propre style à base de puissance et de mélodie puis gravit patiemment les marches du succès.

La voix incomparable si haut perchée et puissante d’Halford et le double jeu des guitares jumelles de la paire Tipton-Downing constitue la particularité du style des britanniques.

Judas Priest se radicalise à la fin des années 70, évoluant vers un look plus spectaculaire avec blousons de cuir, moto et fouets alors que sa musique gagne en violence et en efficacité ce qu’elle perd en complexité.

L’explosion a lieu avec un disque live tonitruant « Unleashed in the east » enregistré au Japon lors de la tournée 1979 de l’album « Killing machine ».

Intense et spectaculaire, Judas Priest marque les esprits et est réclamé par les plus grands comme AC/DC et Kiss.

Les ventes décollent et le groupe travaillant avec le batteur Dave Holland, sort ensuite son chef d’œuvre « British steel » en 1980 qui lui ouvre les portes des Etats Unis.

Devenu à présent un groupe à stature mondiale, Judas Priest peut déployer ses ailes d'acier et devenir le maître incontesté du heavy metal du début des années 80 avec des albums références comme « Screaming for vengeance » ou « Defenders of the faith ».

Au sommet de leur gloire, les anglais tentent un virage plus commercial et hard FM en enregistrant aux Bahamas le très controversé « Turbo » et ses guitares-synthétizeurs.

Jouant dans des stades pleins, Judas Priest voit trop grand et organise la tournée la plus pharaonique de sa carrière aux Etats Unis avec déluge d'effets pyrotechniques.

Mais suite à ce virage, le groupe se coupe des ses fans les plus fidèles et ayant trop délaissé l’Europe subit une période difficile à la fin des années 80 ou Iron Maiden et Metallica le détrônent.

Comble de l’horreur, Judas Priest se voit la cible des organisations conservatrices américaines de Tipper Gore et assigné en justice suite au suicide de deux  adolescents américains fragiles adeptes de leur musique.

Blanchi mais affaibli par le procès, Judas Priest réagit en 1990, se remet courageusement en question, embauche le batteur Scott Travis adepte d’un jeu plus technique avec double grosse caisse et sort le sans concession « Painkiller » véritable succès commercial et artistique.

Influencé par une musique plus thrash, Halford se détache du groupe et tente une courte carrière solo au sein de divers projets parallèles (« Fight », « Two ») avant de revenir dans le giron du heavy metal au début des années 2000.

Judas Priest gère tant bien que mal le départ de son chanteur légendaire en embauchant l’amateur et quasi inconnu Tim Owens qui fera office de doublure pendant cinq ans et deux albums studio qui verront les ventes du groupe et sa popularité couler à pic.

Devenu un groupe de deuxième division, Judas se réconcilie avec Halford en 2004 et sort  « Angel of retribution » qui le remet sur de bons rails.

C’est en plein processus d’écriture du prochain concept album « Nostradamus » que s’achève l’ouvrage de Daniels.

En conclusion, bien que souvent de parti pris, « Les défenseurs de la foi » est un livre passionnant, sérieux et très bien documenté car truffé de témoignages et de rares photos de l’époque .

Il est toujours passionnant en effet de suivre le processus de maturation artistique d’un groupe ainsi que son ascension vers le succès.

Dans le cas de Judas Priest, cette réussite ne doit rien au hasard et est le fruit d’une folle détermination, d’une conviction inextinguible qui les ont mené au fil des problèmes financiers, des tournées marathons et des tensions internes à mener à bien leurs rêves.

Les amateurs d’histoires plus croustillantes seront également comblés car Daniels évoque les témoignages passablement aigris des anciens musiciens comme Atkins et Hinch passés à coté du succès, les problèmes de pédophilie de Dave Holland, l’homosexualité d’Halford et les histoires tumultueuses de Tipton avec son ex compagne qui lui réclamait de folles sommes d’argent.

Ecrit par un journaliste passionné mais néanmoins lucide et sérieux, « Les défenseurs de la foi »  constitue donc pour moi un monument de rock-story ou cinq prolo anglais de la zone parviennent par la force de leur talent et de leur volonté à s’extraire de leur milieu pour devenir des stars mondiales.

Commentaires