A quoi rêvent les loups (Yasmina Khadra)

Au premier abord on pourrait penser que lire « A quoi rêvent les loups » de Yasmina Khadra après « Les agneaux su Seigneur » ne présente que peu d’intérêt tant le sujet traité, la guerre civile algérienne qui ensanglanta le pays dans les années 90 est similaire.
Cependant avec « A quoi rêvent les loups » l’écrivain parvient à encore surprendre et innover sans se répéter.
Le livre commence très fort, par la fin tragique de deux terroristes pris au piège par l’armée dans un immeuble de la Casbah algéroise et perdant du même coup leurs dernières illusions de salut.
Le lecteur est donc ici plongé brutalement au cœur d’un sujet brûlant auquel il est difficile de rester insensible.
Puis Khadra rembobine le film de son roman, en décrivant l’histoire d’un jeune homme, Nafid Walid, né dans les quartiers pauvres de la Casbah d’Alger, et rêvant d’une destinée flamboyante en embrassant la carrière d’acteur de cinéma.
Mais malgré un physique des plus avenants, Nafid ne parvient pas à percer dans un pays ou l’art est peu reconnu et finit par se reconvertir en chauffeur chez les Raja, une riche famille algéroise.
Considéré comme un larbin et un moins que rien, Nafid encaisse les humiliations en échange d’un bon salaire et de petits cadeaux en nature.
Mais un soir il assiste à la mort d’une adolescente, décédée par overdose au cours d’une soirée de débauche chez ses patrons.
Malgré son dégoût, Nafid est contraint de transporter le corps et d’aider à son enterrement dans une foret afin d’éviter d’éclabousser la famille par un scandale.
Menacé de mort pour garder le silence, Nafid est traumatisé par cette nuit de cauchemar et ne supporte pas le choc.
C’est alors que sa vie bascule, il quitte son emploi, trouve refuge dans la religion et se met à fréquenter la mosquée ou l’imam Younes sentant sa fragilité l’endoctrine patiemment.
Dans l’Alger bouillonnante de la fin des années 80 ou les intégristes musulmans du FIS cherchent à prendre le pouvoir contre un état autoritaire et corrompu, Nafid va peu à peu intégrer un réseau de lutte terroriste.
Il commence par faire le taxi pour le compte des cheiks, puis prend de plus en plus de responsabilités, prenant part à un commando qui assassine des personnalités de la magistrature, de la police ou de l’armée.
Au milieu d’étudiants bcbg menant un vie en apparence normale, Nafid finit par surmonter son dégoût de la violence et à exécuter sans états d’ame ses cibles comme ses anciens amis du monde artistique.
Mais la guerre entre l’Etat et l'AIS branche armée du FIS s’intensifie, l’armée intervient, répondant aux attentats par des rafles massives, se soldant par des tortures ou des assassinats.
Soumis à cette forte pression, le mouvement intégriste évolue en permanence, des rivalités entre clans surgissent, les émirs tombés étant remplacés par leurs rivaux encore plus brutaux et avides.
De nouveaux groupuscules apparaissent, revendiquant par la force leur parcelle de légitimité sur leurs rivaux jugés corrompus ce qui entraînent des conflits internes extrêmement violents.
Plus radicaux et plus violents, le GIA et le MIA prennent l’ascendant sur les autres.
L’imam qui protégeait Nafid est tué et subitement tombé en disgrâce, le jeune homme est contraint à l’exil dans le maquis algérois.
Commence alors pour lui une horrible vie de terroriste maquisard, avec des chefs illuminés rivalisant de sauvagerie, réduisant en esclavage des villages entiers, massacrant les populations ou tout membre suspecté de trahison ou de faiblesse.
Entraîné dans une incroyable engrenage de la folie et de la violence sans limite, Nafid participe à des embuscades contre les forces armées, à des massacres contre les populations et finit par devenir un authentique émir du GIA.
Mais la roue tourne, l’armée finit par reprendre possession des campagnes, réduisant peu à peu les troupes terroristes à l’aide d’hélicoptères, de para et de l’appui de populations locales excédées, qui forment des milices d’auto défense.
Nafid perd ses hommes, perd de son influence, perd la tête tout court, désobéit à son émir et devient donc à son tour menacé de mort.
Isolé, traqué, le jeune homme revient vers sa famille pour s’apercevoir qu’elle a été brisée par son départ.
Puis la boucle se boucle et le destin de Nafid Walid se termine.
En conclusion, avec « A quoi rêvent les loups », Yasmina Khadra côtoie encore une fois les cimes de l’excellence.
En choisissant comme personnage principal un jeune homme en apparence normale mais qui miné par la pauvreté, les humiliations et un immense désir de reconnaissance, finit par devenir l’un des plus impitoyables tueurs terroristes, Khadra réussit à décrire tout le redoutable processus d’endoctrinement des groupes terroristes armés du GIA qui puisèrent dans le grand vivier des jeunes chômeurs algériens pour créer de toute pièce leurs armées de fanatiques, tuant comme des automates dépouillés de toute humanité.
Bien entendu la violence est très présente dans se roman, et les multiples descriptions traduisent bien l’horreur de la lutte à mort qui opposa l’armée algéroise aux commandos islamiques.
Le fonctionnement interne du GIA est également soigneusement décortiqué avec tout son système hiérarchique reposant majoritairement sur la force et les  compétences militaires plus que sur une éventuelle érudition religieuse.
Sur le plan de la forme, « A quoi rêvent les loups » réussit à surpasser le pourtant déjà excellent « Les agneaux du Seigneur » par sa construction originale et son rythme rapide qui tiennent en haleine du début à la fin.
Le lecteur hypnotisé suit page après page avec passion et effroi la trajectoire folle et incontrôlable d’un jeune homme happé par une force irrésistible.
« A quoi rêvent les loups » constitue donc une pièce maîtresse de l’œuvre de Khadra et méritera donc d’être relu régulièrement avec un plaisir sans cesse renouvelé.

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