Amexica, la guerre contre le crime organisé sur la frontière Etat-Unis/Mexique (Ed Vulliamy)

A force de regarder des séries comme « Sons of anarchy » et « The shield », l’envie m’est venue de comprendre ce qu’il se passe sur le zone frontalière entre les Etats-Unis et le Mexique, c’est pourquoi « Amexica, la guerre contre le crime organisé sur la frontière Etat-Unis/Mexique » du journaliste britannique Ed Vulliamy m’a intéressé.
Sorti en 2010, ce volumineux ouvrage s’attache à un sujet complexe et délicat : les agissements criminels dans une zone frontalière de 3200 kilomètres entre les états du Sud des Etats-Unis (Californie, Arizona, Nouveau-Mexique, Texas) et ceux du Nord du Mexique (Sonora, Chihuahua, Coahuila, Nuevo Leon, Taumaulipas).
Dès les premiers chapitres, le ton est donné sur le niveau d’extrême violence de la zone frontalière vers laquelle transit un important flux de biens et de personne et qui devient de fait le lieu de tous les trafics : drogue, armes et êtres humains.
Pour ce disputer ce gâteau juteux, les gangs mexicains, maillons essentiels entre les pays d’Amérique du Sud fournisseurs de drogue comme la Colombie et les Etats-Unis ou l’Europe, pays consommateurs, mais également fournisseurs d’armes pour les régimes militaires ou révolutionnaires ont fini par se structurer autour de personnalités fortes comme El Chapo Guzman, pour créer les cartels : Tijuana, Sinaloa, Juarez ou le plus puissant d’entre eux car le plus riche, le cartel du Golfe et sa branche dissidente les Zetas.
A la fin des années 2000, les statistiques des morts violentes donnent le vertige : à Juarez devenu une zone de guerre, les gangs s’entre déchirent dans un chaos indescriptible et c’est tout la société civile qui se trouve gangrenées.
On enlève, torture, mutile, puis expose les corps ou publie des vidéos sur les réseaux sociaux pour montrer sa puissance.
Les victimes sont des gangsters mais aussi des intermédiaires, des patrons trop endettés ou refusant le racket, des fonctionnaires, politiciens ou des policiers honnêtes, des journalistes, des femmes ou hommes des fois pris au hasard d’une mauvaise rencontre…
L’armée, mobilisée par le président Calderon, ne parvient pas à éradiquer le phénomène et la violence croit à mesure des affrontements entre soldats et narco surarmés disposant d’armées privées.
Mais en réalité, les tentatives gouvernementales restent vaines car les cartels ont déjà depuis plus de 60 ans du règne du Parti Révolutionnaire Institutionnel, infiltré les structures étatiques, et en particulier les forces de police, qui très corrompues, favorisent leurs activités.
En trois grandes étapes, Tijuana, Juarez puis la région du Golfe, Vulliamy décide de s’attaquer à la description de ce problème en interviewant les rares personnes acceptant de lui parler : parents de victimes, éducateurs, médecins, avocats, procureurs, maires, religieux ou anciens narcos repentis.
Proche de Californie et de la base navale de San Diego, Tijuana a toujours attiré les Américains venus s’encanailler dans ses bars et discothèques et c’est tout naturellement que le crime organisé s’y développa dans les années 90 et instaura son régime d’ultra violence flamboyante face à des autorités dépassées.
Puis après cette entrée en matière plutôt explosive, place à la dureté des conditions climatiques pour les migrants, ces clandestins mexicains tentant de passer aux Etats-Unis dans une zone désertique ou ils sont exploités par des passeurs mis sous la coupe des cartels.
Ces habitants issus des zones les plus misérables du pays au Sud, vendent tous leurs biens puis tentent leur chance pour construire un avenir meilleur de l’autre coté.
Lorsqu’ils parviennent à survivre aux conditions extrêmes d’une marche dans le désert et aux rafles des patrouilles des douaniers américains ou mexicains, ils risquent l’enlèvement et la torture pour la réclamation d’une rançon auprès d’une famille bien souvent misérable.
Des ex agents des douanes américains aux méthodes musclés, Lee Morgan et Butch Barett, expliquent la montée en puissance à la fin des années 80 de leurs confrontations avec les trafiquants ayant pris le contrôle de la zone, démontrant l’inefficacité des couteuses mesures technologiques comme la barrière High tech construite par Boeing face à l’immensité de la tache.
Place ensuite à le redoutable Juarez, vaste symbole de ce chaos urbain et à l’époque la ville la plus dangereuse du monde ou s’entre déchirent les cartels de Juarez, Sinaloa et les Zetas.
Ville emblématique des maquiladora, ces usines d’assemblage américaines délocalisées pour exploiter une main d’œuvre mexicaine à bas cout, Juarez connut un développement démographique impressionnant dans les années, , sans que les infrastructures ne suivent pour accueillir l’afflux de population.
L’aubaine était trop belle pour les cartels, venus pratiquer le racket des entreprises et faire de la contrebande de biens exportés.
L’extrême pauvreté des populations parquées dans des taudis, puis la crise accentua le chômage, l’existence de zones de non droit sur lesquelles les cartels purent recruter et implanter leur traditionnel trafic de drogue.
Mais les plus grandes victimes de la guerre des gangs à Juarez sont les femmes, modestes employées de maquiladora, dont la relative émancipation gène le machisme mexicain.
On retrouve régulièrement des corps de femmes enlevées en allant au travail puis violées, torturées et jetées comme des ordures sur la voie publique.
De manière frappante, la police ne fait rien pour résoudre ces crimes et la plupart du temps les cautionne en soulignant les mœurs légères de la victime.
La vie des ouvrières mexicaines ne compte visiblement pas beaucoup pour les patrons d’usine, qui leur imposent des cadences infernales, des contrats de travails très durs en cas d’absence ou de retard, et ne lèvent pas le petit doigt pour leur sécurité que ce soit à l’intérieur des usines ou à l’extérieur.
Seules quelques associations de victimes et quelques syndicats courageux comme le COF ont alors osé bravé l’omerta pour dénoncer cette situation qui n’émeut pas grand monde de l’autre coté de la frontière.
Il ne faut pas croire non plus que les repentis s’en tirent à bon compte, considérés comme des menaces potentielles par leur passé, ils sont victimes de sanglants règlements de comptes dans les asiles ou groupes de paroles pour anciens toxicomanes.
Plus à l’est dans l’état du Nuevo Leon, la ville de Nuevo Laredo en apparence beaucoup plus calme est en réalité sous le contrôle implicite des terribles Zetas qui sont fermement enracinés dans l’économie locale et contraignent les entreprises de transports à passer leurs marchandises de l’autre coté de la frontière.
Un chapitre entier est consacré au trafic d’armes, en majorité écrasante provenant des états du Sud des USA, dont 2/3 du Texas. Ici l’équation est simple, les cartels ont besoin d’armes puissantes et performantes pour s’imposer face à leurs rivaux et tenir tête à l’armée, aussi ils utilisent des hommes de paille venant s’approvisionner chez les armuriers américains ou directement dans les salons exposant les derniers modèles.
Le travail de l’ATF, tout comme celui de la DEA parait donc démesuré, car la loi américaine favorise de fait la circulation d’un flux d’armes de guerre vers le Mexique, pour continuer de sanglantes guerres.
En refusant de toucher à la Constitution, ou tout simplement de renforcer les lois de contrôle des armes, surtout automatiques, les Etats-Unis sont donc indirectement complices des tueries des villes mexicaines de la frontière.
Le culte des armes, des grosses voitures, des fringues voyantes, de l’argent liquide et d’une imagerie morbide autour de la Santa Muerte, appartiennent au folklore des narcotrafiquants, dont les « exploits » sont médiatisés par les narcomantas et le corrido, ces chansons composées par des musiciens locaux comme les fameux Los Tigres del Norte.
Mais pour l’auteur, les cartels actuellement les plus dangereux sont ceux du Golfe et des Zetas, qui se livrent une guerre féroce dans l’état de Taumaulipas avec au milieu l’armée, seul amène de créer un réel contre poids étatique.
La puissance de ces cartels est telle qu’il investissent ensuite leur argent dans des affaires légales ou des banques complaisantes aux Etats-Unis, les villes de Los Angeles et Houston étant les plus exposées, même si New-York ou Londres en tant que capitales financières participent également au macro-système de blanchiment.
L’opacité du système financier, la mollesse des gouvernements à combattre la délinquance financière est mise en lumière au travers des deux scandales les plus marquants celui de la Wachovia puis du géant européen HSBC, tous les deux directement impliqués dans le blanchiment de milliards de dollars des cartels mexicains, sans condamnation des ses dirigeants, restés sourds aux lanceurs d’alerte comme celui de Martin Woods, contraint à quitter son poste pour avoir mis en évidence des failles béantes dans le contrôle des flux financiers de la Wachovia.
En conclusion, Amexica, la guerre contre le crime organisé sur la frontière Etat-Unis/Mexique » est une longue et passionnante enquête de 2 ans ou Vulliamy, ex reporter de guerre a pris des risques pour investiguer sur place dans cette véritable zone de guerre ou règnent la loi des armes et du plus fort, du plus féroce et du plus cruel.
Certes l’enquête comporte quelques redites, certains passages trop développés à mon gout mais l’essentiel est là avec une description des racines du mal qui a permis à des cartels structurés disposant va l’argent de la drogue de moyens paramilitaires pour faire régner la terreur y compris face aux pouvoirs publics politiciens et policiers compris.
La politique offensive de Calderon en faisant usage de l’armée et des commandos de Marine, a provoqué un choc frontal avec les narcotrafiquants et a alourdi le nombre de morts dans les rues, sans l’armée ne puisse réellement venir à bout de la puissance des cartels.
Romantisé, glorifié par le cinéma et la musique, le style de vie des gangsters hérité de Scarface, fascine une jeunesse sans repère, minée par la pauvreté endémique et le manque de culture, les quelques courageuses voix d’artistes ou de journalistes osant s’élever étant immédiatement menacées de mort.
Ce livre m’a permis de comprendre que la politique migratoire de Trump ne viendra en rien à bout des flux du Sud vers le Nord, que les trafics de pétrole, drogues et armes s’entremêlent pour générer des profits faramineux eux-mêmes réinjectés dans les grandes banques internationales tacitement coupables.
Mondialisation du crime, effondrement des structures étatiques et légales, effondrement des valeurs essentielles comme le respect de la vie humaine ou de la famille, règne de la brutalité, du sang, sur fond d’individualisme d’argent facile…cette zone frontalière présente comme un condensé des pires maux du système capitalistique mondial et donne une vision effrayante d’une éventuelle extension qui viendrait miner les structures de l’économie mondiale…

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