Les agneaux du Seigneur (Yasmina Khadra)

Paru en 1998, « Les agneaux du Seigneur » constitue pour moi un des sommets de l’œuvre de Yasmina Khadra.
Le thème choisi est ici d’une force sans égale : la décortication de la montée du terrorisme islamique dans un petit village de montagne algérien au milieu des années 90.
A Ghachimat, Khadra pose patiemment son décor et ses personnages principalement des jeunes hommes minés par le chômage, le désœuvrement et le désespoir d’un avenir sans perspectives.
Il y a Jafer Wahab qui se cherche et hésite, Zane un nain inquiétant et solitaire, Tej Osmane fils d’un ancien harki qui porte cette malédiction comme un fardeau et a versé dans l’Islamisme clandestin, Allal Sidhom le seul qui ait pris son destin en main pour devenir policier à Sidi Bel Abbes, Kada Hillal l’instituteur dévoré par le ressentiment qui flirte dangereusement avec les milieux islamistes, ces deux derniers convoitant la même femme Sarah, la fille du maire.
Au village le pouvoir séculaire des Anciens est de plus en plus contesté par celui des Islamistes et notamment celui du cheikh Abbas, qui depuis sa sortie de prison répand son influence comme une traînée de poudre sur la jeunesse fragile et influençable de Ghachimat.
Dévoré par l’ambition et le désir de laver son humiliation, Osmane se place intelligemment dans l’entourage proche du chef religieux.
Dans toute l'Algérie, les milices islamistes menacent sérieusement le pouvoir en place et le Front Islamique du Salut remporte les élections communales à Ghachimat, entérinant de manière définitive la fin d’une ère et le début d’une nouvelle.
Abbas nomme un de ses lieutenants nouveau maire et plie progressivement le village à ses lois.
Opportuniste, Zane rejoint également le sillon des Islamistes, devenant un redoutable espion dénonçant les gens aux tueurs des milices.
L'affreux nain en profite également pour régler ses comptes personnels et s'enrichir en dépouillant ses malheureuses victimes.
Entre Kada et Allal, la jalousie est à son comble et quand le maire refuse à l’instituteur la main de sa fille au profit du policier, il explose dans un torrent de haine froide qui le conduit à s’engager comme moudjahidin pour aller faire la guerre contre les Russes en Afghanistan.
L’arrestation du cheikh par la police met le feu au poudre et déclenche un infernal cycle de massacres que préside Osmane, intronisé en l'absence d'Abbas comme nouveau chef de guerre.
Kada revient de sa guerre mais alors qu’il attend beaucoup de lui, Osmane s’aperçoit qu’il n’a pas l’étoffe d’un véritable chef militaire et s’arrange pour l’éliminer.
Alors il prend les choses en main et s’appuyant sur le concours de Zane exécute  l’imam modéré du village, l’ancien maire, sa famille et tout ce qui se rapport à l’Etat, soldat, policier, fonctionnaires, intellectuels …
Puis les tueries s’emballent et touchent des familles d’innocents, n’épargnant personne, femmes, vieillards ou enfants.
Mais exaspérée par les horreurs des massacres, la population finit par se rebeller et des groupes de patriotes se forment de ça et la pour lutter contres les Islamistes.
Allal entre dans la lutte mais ne peux empêcher la mort de Sarah ce qui lui fait perdre la tête.
Finalement le rapport de force s’inverse inéluctablement quand les forces militaires algériennes décident d’éliminer les foyers de résistance islamistes et devant des troupes mieux armées et entraînés, les anciens bourreaux perdent rapidement de leur superbe.
Le livre se termine sur une scène d’une intensité inouïe ou Osmane symbole du mal absolu meurt pitoyablement devant l’horrible Zane, nain cynique et cruel jusqu’à la fin.
En conclusion, « Les agneaux du Seigneur » est pour moi un chef d’œuvre absolu.
Le roman, extraordinairement intelligent et bien construit, regorge d’anecdotes tragiques montrant de manière implacable les mécanismes de propagation de la peste intégriste qui utilise une religion en l’occurrence l’Islam pour assouvir les plus bas instincts d’hommes généralement incultes mais très déterminés et ivres de pouvoir.
L’humour et une certaine truculence présents dans les enquêtes du commissaire Llob sont ici complètement absents au profit d’un ton épuré, sobre, dramatique qui se concentre sur l’essentiel : décrire l’horreur absolue.
Khadra choisit donc de tout nous montrer et de nous dévoiler l’atrocité sans limite de la barbarie humaine en nous présentant l’une des faces les plus sombres de l’humanité.
On peut penser que le personnage de Dactylo, écrivain public, mis cruellement à mort par les milices représente à lui seul le sort qu’ont subi les intellectuels algériens pendant cette période.
Le récit vibre de terribles accents de vérité qui lui confèrent une puissance incomparable, mille fois plus effrayante que n’importe quel livre de Stephen King.
On ressort donc éprouvé, captivé et totalement bouleversé par ce livre coup de poing.
Culte.

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