Chevaux échappés (Yukio Mishima)
Poursuite logique de la tétralogie de la « Mer de la fertilité » de Yukio Mishima avec le tome numéro deux intitulé « Chevaux échappés ».
Nous sommes maintenant en 1932, vingt ans après la tragédie de la mort de Kiyoaki Mastugae tué par son amour dévorant et impossible envers Satoko Ayakura retirée dans un monastère bouddhique.
Son ami d’enfance, Shigekuni Honda a trente huit ans et est maintenant un juge respecté du tribunal d’Osaka.
Devant se soumettre à une obligation protocolaire, Honda se rend un jour voir une compétition de sabre japonais (kendo) ou il découvre que le gagnant du tournoi n’est autre que Isao Iinuma le fils du précepteur de Kiyoaki, devenu par la suite un journaliste d’une revue de droite nationaliste.
Honda est rapidement fasciné par le jeune athlète dans lequel il semble revoir son ami mort prématurément.
Cette prémonition se vérifie lorsqu’il découvre les même grains de beauté que ceux de Kiyoaki sur le corps de Isao alors qu’il se baigne sous une cascade, ce qui semble vérifier les derniers mots de son ami mourant qui lui avait promis des retrouvailles sous une cascade.
De son coté, Isao bien que moins beau que Kiyoaki, semble plus viril et résolu.
Il a en tête une idéologie bien précise inspirée par l’acte de samouraï de la Société du Vent Divin, qui sous l’ère Meiji, attaquèrent au sabre une garnison de l’armée afin de sauver un Japon perdant ses traditions impériales pour s’occidentaliser.
Les samouraï furent tués mais bon nombre d’entre eux accomplirent le seppuku, le suicide rituel en se plongeant un couteau dans le ventre une fois leur acte spectaculaire accompli.
Isao adhère fortement à cette idéologie et fonde une secte équivalente formé de jeunes étudiants, près à accomplir des assassinats ciblés d’hommes d’affaires japonais qui par la puissance de l’argent ont corrompu les politiciens, délestant l’empereur de ses pouvoirs divins.
La secte cherche des appuis auprès de certains militaire comme le lieutenant Hori, sympathisant d’extrême droite, qui va jouer le rôle de conseiller pour Isao.
Bien que répugnant à utiliser des armes à feu, la secte désire que les militaires leur permettre de bombarder par avion quelques points stratégiques et de lancer ensuite des tracts pour inviter la population à un sursaut.
Bien entendu, cet acte est sans retour et ne peut atteindre la pureté divine que par le suicide rituel une fois accompli, comme si la vie des samouraï sacrifiés devait servir à purifier la société avilie.
La situation économique désastreuse du Japon, l’extrême misère de certaine zones rurales et l’insolence des dirigeants corrompus aident beaucoup Isao qui peut ainsi recruter une trentaine de candidats motivés.
Autour du manuscrit du récit de la Société du Vent Divin, Isao s’entretient avec Honda, Hori puis le prince Touin lui-même qui décèle une grande dévotion pour le pouvoir impérial et en même temps une inébranlable volonté d’agir.
Isao est d’une telle fermeté que même son père Iinuma ne peut le raisonner lorsqu’il s’agit de la Société du Vent Divin.
Malgré certains évènements de la vie de jeune homme comme sa rencontre avec Makiko, fille d’un général poète à ses heures, Isao ne renonce pas à son acte et prépare activement son coup consistant à une attaque simultanée contre la banque du Japon, une centrale électrique et l’assassinat de politiciens, homme d’affaires jugés responsables de la situation actuelle.
Même si Isao est troublé par les révélation de son domestique Sawa lui-même sympathisant à la cause, qui lui révèle que son père est lié avec le puissant homme d’affaire Kuruhara qui figure comme cible de choix, le jeune homme parvient à trouver assez de force intérieure pour maintenir le cap.
Bien entendu, les choses ne se passent pas comme prévu, les militaires comme le lieutenant Hori font défection et beaucoup de jeunes hommes reculent in extremis une fois le moment venu des actes.
A la tête d’un groupe à présent clairsemé mais formant un noyau très cimenté, Isao ne peut pourtant pas aller jusqu’à l’accomplissement de son acte puisqu’il est arrêté par la police sur dénonciation.
Mis en prison, il attend son procès.
Lorsque la nouvelle éclate, le choc est rude pour Honda et le Prince Touin.
Honda démissionne de la magistrature, se lance dans une carrière d’avocat et offre gratuitement ses service à Iinuma pour défendre son fils ainsi que ses associés.
Le procès commence alors, le jeune homme assumant parfaitement ses actes malgré le faux témoignage de Makiko tombée amoureuse de lui, qui tente en divulguant un journal intime factice d’atténuer la fermeté des ses intentions criminelles.
Au cours de l’audition d’un témoin, le vieil homme tenant la pension militaire ou vivait Hori reconnait Isao puis fait le lien avec Kiyoaki, dont il hébergeait les rencontres clandestines avec Satoko vingt ans auparavant.
Seul Honda ne rit pas du parallèle et comprend que Isao est le réincarnation au sens du bouddhisme de son ami.
A l’issue du procès, le jeune âge des prévenus, leur dévouement aveugle à l’empereur et une adhésion populaire marquée, provoque la clémence du jury.
Isao est relâché et découvre que son propre père bien que lui aussi partageant ses idées d’extrême droite, l’a dénoncé à la police pour le préserver afin de prendre part au Japon de demain.
De manière ambigüe, Iinuma soutient son fils mais lui révèle que son journal a touché beaucoup d’argent de Kuruhara pour l’épargner.
Isao ne partage pas cette vision salie de son idéal et entreprend alors une action solitaire consistant à aller lui-même assassiner Kuruhara dans sa résidence de bord de mer.
Une fois l’acte accompli en pleine nuit au poignard, Isao se suicide en regardant la nuit et la mer, accomplissant ainsi son idéal.
En conclusion, « Chevaux échappés » est assez différent des « Neiges du printemps ».
Son contenu est nettement moins introspectif moins contemplatif et philosophique mais revêt une idéologie plus militante poussant à une action violente et immédiate.
Par l’intermédiaire de son héros passionné de Kendo, Mishima parait complètement obsédé par l’idée de pureté d’un Japon ancestral ou l’éthique du samouraï soumis à un empereur régnant par ses pouvoirs divins, prévalait sur les doctrines politiques du capitalisme ou du communisme.
Il parait impossible de ne pas faire le parallèle avec la propre fin de vie de Mishima, qui se soldera elle-même par un acte de violence désespéré contre le pouvoir en place et par un suicide accompli dans la foulée, sans que l’impact escompté sur la société ne porte ses effets.
Peu de romance complexe ici, des personnages féminins un peu étouffés dans cet univers nihiliste de mâles virils et surtout la présence obsédante de la mort, semblant attirer comme un aimant le héros pour accéder à une sorte de paradis divin en commettant une acte jugé héroïque.
Réincarnation, pureté et mort sont donc les ingrédients de ce roman sulfureux et nihiliste, étiré en longueur, à ne pas mettre entre toutes les mains.
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