Le temple de l'aube (Yukio Mishima)
Yukio Mishima toujours avec « Le temple de l‘aube » troisième volet de la tétralogie de la « Mer de la fertilité ».
Nous sommes en 1939, à l’orée de la seconde guerre mondiale dans un Japon occupé, Shigekuni Honda a maintenant 57 ans et est un avocat à présent vieillissant se déplaçant à Bangkok pour défendre un de ses clients japonais en litige dans une affaire d‘import export.
Chaperonné par un représentant local de son client, Honda peut à loisir découvrir les meilleurs aspects de la capitale de la Thaïlande comme le fameux temple de l'aube bouddhique et a accès par son cercle de relations privilégiées à la princesse Ying Chan, jeune descendante du royaume du Siam.
Au cours d’une entrevue avec Ying Chan, Honda est frappé par cette enfant qui tient des propos en apparence incohérents sur sa nature japonaise et reconnait en elle une nouvelle réincarnation de son ami Kiyoaki Matsugae, mort précocement et tragiquement.
Pour ajouter à son trouble, l’enfant semble irrésistiblement attiré par lui.
Après avoir offert à la princesse une superbe bague d’émeraude volée au Japon ayant appartenu à son père, Honda règle rapidement ses affaires juridiques et décide de profiter d’une gracieuse invitation de son client pour visiter l’Inde.
L’homme est en réalité en proie à un intense processus d’introspection.
Mal marié à Rié, sa femme stérile, malade des reins, qu’il a laissé au Japon sans grand regret, Honda est hanté par le souvenir de Kiyoaki et de sa réincarnation Isao, jeunes hommes ayant payé de leur vie leur attachement à des idéaux profondément ancrés en eux.
Honda se pose des questions sur les processus de réincarnation et cherche des réponses dans la philosophie grecque (Pythagore, Héraclite) avant de s’orienter vers la religion bouddhique appelée bouddhisme theravada.
Avec pareil état d’esprit, son voyage en Inde prend des allures de pèlerinage spirituel.
Il est estomaqué par les temples hindous de Calcutta dédiés à la déesse sanguinaire Kali, mais encore plus par ceux de Bénarès dédia à son époux Siva ou il assiste à un rituel de crémation des morts.
La description de l’Inde est à la fois effrayante et fascinante, avec une intense élévation spirituelle noyée dans un océan intolérable de misère, de maladie et de souffrances.
Mishima fait sentir la puissance de l’émerveillement de Honda, qui étudie de manière très poussée les courants hindouiste, avec le processus de transmigration des renaissance successives appelé samsara, et l’influence du karma, somme des actions passées, présente et futures sur celle-ci.
Ce long passage est le plus complexe à comprendre, car faisant appel à des notions de philosophie orientales relativement peu répandues en Occident.
De retour dans son Japon meurtri par la guerre, la défaite et l‘occupation américaine, Honda profite d’une redistribution des terres par l’état pour s’établir avec sa femme Rié, dans une belle et grande maison de Tokyo avant de déménager à Goma, proche de la splendeur du mont Fuji.
Il sympathise avec Keiko Isamatsu, une japonaise fortunée et divorcée d’âge mur, aux mœurs particulièrement libérées qui l’amènent à fréquenter de jeunes officiers américains.
Mais Honda reste obsédé par Ying Chan et décide de l’inviter au Japon à l’occasion d’une grande réception, à laquelle participent des notables et artistes du la société japonaise comme l’écrivain Imanishi , chantre d’une société utopique dédiée au culte de la beauté, de la jeunesse afin de de mieux la détruire pour la faire accéder au statut de divinité martyre.
Volontairement choquant et anticonformiste, Imanishi séduit madame Tsubakihara, la mère éplorée d’un jeune homme mort prématurément.
Cette réception permet aussi à Honda de revoir Makiko, l’amie de jeunesse du défunt Isao, devenue aujourd’hui une poétesse réputée au Japon et mentor artistique de Tsubakihara.
Malgré la jalousie dévorante de Rié qui sent l’attraction de son mari pour la jeune adolescente, Honda fait venir Ying Chan à Goma et est subjugué par la perfection de sa jeune beauté thaïlandaise.
Keiko joue ici le brillant rôle d’intermédiaire, à la fois complice de Honda et régulatrice de Rié dont elle calme les crises de jalousie.
Mais incapable de surmonter le tabou de l’immense différence d’âge, Honda ne peut passer à l’acte et se cantonne dans les plaisir pervers du voyeur, imaginant sans cesse le corps dénudé brun et ferme de Ying Chan.
Séducteur et prévenant, il lui offre néanmoins un parchemin contenant une soutra bouddhique appelée la soutra du grand paon doré et sensée la protéger contre toute forme de maladies.
Passivement il assiste aux tentatives de Keiko pour placer son jeune neveu falot, Katsumi comme prétendant pour Ying Chan.
Piégée dans la demeure de Goma, Ying Chan doit en principe subir les assauts de Katsumi tandis que Honda observe à travers un trou placé dans le mur de la chambre.
Mais Ying Chan se rebelle, éconduit sèchement le jeune idiot et le stratagème échoue.
Honda perd alors pour de bon l’estime de la belle dont il a trahi la confiance et reçoit en retour la bague d’émeraude qu’il lui avait offert.
Souffrant immensément du rejet et de la distance qu’elle instaure entre elle et lui, Honda doit finalement mettre sa fierté de coté pour demander à Keiko qui a recueilli la jeune femme, d’organiser d’autres rendez vous.
En parvenant une ultime fois à attirer Ying Chan à , Honda la surprend au lit en plein ébats lesbiens avec Keiko.
Le choc est immense pour lui, d’autant plus que sa femme Rié assiste elle aussi à la scène de débauche nocturne à laquelle se livre les deux femmes.
Assez étrangement, le lendemain matin un incendie ravage la maison tuant accidentellement Imanishi et Tsubakihara, et achève symboliquement le cycle liant Honda à Ying Chan.
Plus tard, en 1967, un Honda encore plus âgé, apprendra la mort de la belle en Thaïlande, piquée par un serpent alors qu’elle avait rejeté le parchemin chargé de la soutra magique sensée la protéger …
En conclusion, « Le temple de l’aube » est un pur chef d’œuvre balayant instantanément toutes les réticences que j’ai pu exprimer pour les deux premiers tomes de « La mer de la fertilité ».
Très différents des deux premiers volumes, notamment du second nationaliste et morbide, « Le temple de l’aube » élève incroyablement les débats pour développer une réflexion philosophique ultra poussée sur les théories hindouiste liée à la réincarnation.
Cette partie riche et métaphysique est néanmoins la plus ardue à décrypter mais bénéficie des descriptions hallucinantes du voyage de Honda en Inde et de l’éveil spirituel qui en découle.
Mais « Le temple de l’aube » n’est pas qu’un livre introspectif sur le bouddhisme hindou, il contient plusieurs niveaux de lectures, notamment la poursuite obsessionnelle d’un homme vieillissant découvrant une passion dévorante pour une jeune adolescente de noble nature, et par essence inaccessible.
Face à ce mur naturel et social, le vieil homme va développer un monde intérieur de fantasmes et de pulsions voyeuristes qui contribuera du fait de sa quête sans fin à le tenir en éveil.
Fantastique sur le fond, « Le temple de l’aube » l’est également dans la forme, avec la beauté colorée et misérable de l’Inde ou à un niveau moindre de la Thaïlande mais également par son incroyable teneur érotique.
Bien que homosexuel, Mishima décrit à la perfection les fantasmes pulsionnels d’un homme autour d’une jeune femme à la peau bistrée et au corps parfait.
Difficile, riche, complexe et divin sur le plan du style, « Le temple de l’aube » est un monument de la littérature et sans doute l’un des meilleurs livres de Mishima.
Il sera sans doute difficile de faire mieux voir aussi bien ...
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