La mort en été (Yukio Mishima)

 



Dans la même lignée que « Une matinée d’amour pur » , « La mort en été » regroupe elle aussi une dizaine de nouvelles de Yukio Mishima et certaines comme « Les septs ponts » , « Patriotisme », « Dojoji » ou « La perle » se recoupent.

Je ne rechroniquerai pas ici ces dernières et laisserai au lecteur intéressé  le soin de se reporter à ma chronique sur « Une matinée d’amour pour ».

« La mort en été » raconte l’horrible tragédie vécue par un jeune couple de Tokyo qui lors d’une magnifique journée au bord de mer perd deux de ces trois enfants par noyade.

Mishima déploie son habituelle finesse psychologique pour dépeindre le traumatisme vécu du coté de la femme Tomoko qui dévorée par une culpabilité absurde vit une terrible torture intérieure puis du coté du mari Masaru qui bien que souffrant lui aussi intensément réagit à l’aide de mécanismes de défense plus efficaces.

Tout y est, beauté et élégance naturelle de la langue et scanner de toute la palette des émotions humaines qu’on peut éprouver dans le cas réputé le plus violent du deuil d’un de ses enfants.

La fin, particulièrement frappante prouve pour moi toute la vanité des entreprises de compensation que les gens pratiquent en de telles circonstances puisque même la naissance d’un nouvel enfant n’efface pas le mal.

« Trois millions de yens » est une courte nouvelle très déroutante ou un jeune couple vagabonde dans le parc d’attraction d’un centre commercial dans l’attente d’un mystérieux rendez vous avec une vielle dame.

Ce couple semble en manque d’argent et cette information prend toute sa saveur lorsque la rencontre avec la vielle dame se réalise.

Sublime étrangeté et mordante amoralité règnent donc ici en maître.

Malgré son titre quelconque « Bouteille thermos » crée un magnifique cadre nostalgique lors de retrouvailles entre deux anciens amants japonais qui se rencontrent par hasard lors de voyages d’affaires à San Francisco.

Asaka est une ancienne geisha qu’aimait passionnément  Kawase avant que la vie ne les séparent.

Aujourd’hui marié, Kawase souffre de l’éloignement avec sa famille restée au japon et semble obsédé par la bouteille thermos qui fait tenir son fils tranquille.

De son coté Asaka est aux Etats Unis avec sa jeune fille et cette présence va intensément troubler Kawase, son subconscient faisant une transposition de son propre enfant sur celui d’Asaka.

Mishima joue de manière cruelle avec son personnage masculin, abusant de ses sens, introduisant de lancinants souvenirs du passé dans une réalité tailladée d’étranges coïncidences défiant le sens de la raison.

« Le prêtre du temple Shiga et son amour » se situe à un niveau encore supérieur, car métaphysique, et démontre par l’obsession fatale d’un vieux prêtre bouddhiste pour une jeune concubine impériale, la vanité de la quête spirituelle par rapport à la puissance de la chair symbolisée par la beauté absolue d’un visage.

Malgré une vie entière fondée sur la vertu et le renoncement à la matérialité, le prêtre finit par succomber à la fin de sa vie aux tentations terrestres alors qu’il se croyait solidement protégé par une pratique religieuse exemple de toute faille.

« Onnagata » narre la passion de Mishima pour le théâtre kabuki, qui a la particularité de donner la possibilité à des acteurs masculins travestis d’interpréter des personnages féminins.

A travers la passion secrète de Masuyama jeune acteur secrètement amoureux du très féminin Mangiku qui est lui un acteur travesti reconnu, le lecteur pourra déceler les fantasmes homosexuels de Mishima et sa fascination pour les mises en scènes spectaculaires.

« Les langes » est pour moi une courte nouvelle mineure, étalée sur cinq petites pages.

Elle décrit encore fois le trouble intérieur d’une femme Toshiko, traumatisée par l’accouchement impromptu dans son salon de la jeune femme nurse de son fils.

Toshiko est choquée par le fait que le mépris dont fait l’objet ce bébé né hors mariage et effectue un transfert sur son propre enfant.

En conclusion, le talent habituel de Mishima brille encore une fois de mille feux dans ce recueil de nouvelles de grande classe.

Bien entendu toute les nouvelles n’atteignent pas les sommets de profondeur du « Prêtre du temple de Shiga » , de « Bouteille thermos » ou de « La mort en été » mais même des récits qu’on pourrait qualifier de mineurs contiennent néanmoins une dose importante de finesse psychologique, d’étrangeté voir d’amoralité perverse.

On ne sort donc pas tout à fait indemne de ces voyages intérieurs et profonds qui accrochent l’ame et l’esprit dans leurs sinueuses circonvolutions.

Commentaires