La tempête de neige et autres récits (Léon Tolstoï )

 



Déjà honoré dans ces colonnes, Léon Tolstoï que j’ai trouvé au premier abord plus accessible que l’autre monstre de la littérature russe, Fédor Dostoïevski plus accessible, revient ici avec « La tempête de neige et autres récits » soit au total sept nouvelles écrites entre 1850 et 1865.

La première d’entre elles, « La tempête de neige » est malgré son titre alléchant sentant bon l’aventure assez peu passionnante, raconte la lutte pour la survie d’un jeune propriétaire terrien homme pris avec son cocher et son domestique Aliochka à bord de son traineau dans une tempête de neige non loin de Novotcherkassk, au sud de la Russie.

Perdus dans la furie blanche sans aucune visibilité et avec une forte possibilité de gel sur place, les trois hommes tentent de suivre trois traineaux des services postaux qui foncent têtes baissées dans le blizzard.

Mais ils s’aperçoivent assez rapidement que les troïkas postales sont malgré leur apparente assurance, perdues elles aussi et tout le monde décide donc de s’en remettre à l’instinct animal des chevaux pour être ramené à la civilisation.

Engourdi par le froideur de la nuit, le propriétaire revit de curieuses scènes de son passé dans sa maison familiale, avec une troublante scène de noyade d’un paysan.

Finalement, les chevaux menés par le truculent cocher postal Ignachka, ramènent les égarés auprès des fermes synonymes de leur salut.

Dans « Deux hussards » l’atmosphère est plus électrique, avec le comte Tourbine, personnage haut en couleurs, membre des hussards russes du début du XIX ième siècle, qui en transit dans une ville de passage, va se faire remarquer par sa manière expéditive de régler les problèmes comme les dettes de jeu d’un sous lieutenant qu’il avait pris en sympathie mais surtout par son tempérament de fêtard, son art consommé de la danse, qui lui permettra de séduire lors d’une soirée mêlant aristocratie et haute hiérarchie militaire, Anna Fiodorovna, une jeune veuve proche de son hôte, Zavalchevski.

Parti aussi soudainement qu’il est venu en laissant une jeune femme marquée à vie par un tendre baiser donné pendant son sommeil, Tourbine disparait de l’histoire qui reprend une vingtaine d’années après, avec cette fois son fils également comte et lieutenant chez les hussards mais sensiblement plus assagi que son père.

Par un curieux coup du sort, le jeune comte s’arrête dans le village ou vit Anna Fiodorovna bien sur devenue une vieille femme, mais dont la fille Lise ne tarde pas à attirer ses convoitises.

Cette rencontre va éveiller la libido de la jeune fille, jusqu’alors tournée vers une éducation religieuse stricte.

Echouant par maladresse dans sa tentative pour rendre visite à Lise en pleine nuit, Tourbine va cependant déchainer la jalousie d’un autre lieutenant, Polozov lorsqu’il lui relatera sa tentative avortée.
L’aventure en resta là, bien qu’elle eut pu sérieusement mal tourner.

Dans « La matinée d’un gentilhomme rural », Tolstoï raconte les louables tentatives d’un jeune prince appelé Nekhlioudov, préférant contre l’avis de sa tante délaisser ses études pour s’occuper des paysans de son village natale, les moujiks.

Arrivé sur place, Nekhlioudov va devoir faire preuve de beaucoup de patience et de grandeur d’âme pour supporter les attitude de ses moujiks misérables comme Tchourissionok, préférant attendre avec fatalité l’effondrement de sa maison plutôt que d’accepter de l’aide, Ioukhvanka, paresseux et manipulateur, ou encore pire l’obèse alcoolique Davydka qui laisse complètement à l’abandon son exploitation.

Ebranlé mais habité d’une détermination inébranlable pour ce qu’il estime être sa responsabilité, Nekhlioudov se heurte également chez les Doutlov, pourtant prospère en raison de leurs activités d’apiculteurs, à de fortes réticences pour améliorer leur situation.

Toutes ces difficultés ne font que renforcer la vocation quasi religieuse de Nekhlioudov pour le dévouement à l’égard des ses moujiks et son désir irrévocable de se s’élever lui-même en les élevant malgré eux.

Ce même Nekhlioudov est également à l’honneur de « Carnets du prince Nekhlioudov, Lucerne » avec une violente dénonciation de la mentalité suisse voir occidentale, confiante dans sa supériorité spirituelle et matérielle, et pourtant particulièrement impitoyable avec un petit chanteur des rues à la voix d’or, que Nekhlioudov prend par esprit de révolte sous son aile et invite à diner à la table d’un prestigieux restaurant en faisant face à l’indignation moqueuse des serveurs et clients.

Les artistes sont une nouvelle fois mis à l’honneur avec « Albert » génial violoniste au corps difforme et à l’esprit indomptable, se sublimant une fois mis face à son instrument quitte à décontenancer des puissants désireux de le prendre sous sa protection.

L’ambiance est plus sombre avec « Polikouchka » ou Polikouchka
, un serf alcoolique voleur à la réputation usurpée de soigneur de chevaux, se trouve désigné pour être réquisitionné dans l’armée.

Sa patronne, toujours désireuse de le remettre sur le droit chemin, désire l’épargner mais se trouve confronté à un choix difficile, un autre membre de la famille des riches paysans Doutlov étant proposé à la place de Polikouchka.

La situation évolue pourtant fortement lorsque Polikouchka chargé par sa patronne de lui ramener une enveloppe pleine d’argent de la ville, perd ladite enveloppe et se suicide par pendaison de désespoir.

Tandis que sa femme Akoulina sombre dans la démence, Doutlov récupère par un étrange hasard ladite enveloppe qui lui est gracieusement offerte par la patronne, convaincue d’une malédiction pesant sur elle.

Doutlov utilise l’argent pour sauver son neveu Ilyouchka traumatisé par cette désignation auprès de vouloir se révolter physiquement, en achetant un engagé volontaire, qui au moment de partir avec les autres conscrits l’insulte haineusement.

On termine le recueil par « Le cheval » étrange nouvelle ou un vieux hongre malade, persécuté aussi bien par ses maitres que par les autres chevaux plus jeune, qui avant de mourir sous la lame de l’équarisseur, raconte son glorieux passé de trotteur, ou il vainquit le trotteur favori d’un général, avant de connaitre une longue déchéance physique et des transferts successifs de maitres en maitres.

Avec un certain sens du clin d’œil, un parallèle est effectué avec le destin de son ancien maitre, l’homme d’affaires Serpoukhovskoi, lui aussi tombé dans la déchéance en raison de dettes abyssales et dont le corps est dévoré par les vers alors que celui du cheval sert à nourrir des prédateurs d’un rang plus élevé.

En conclusion, comme souvent pour un recueil de nouvelles, « La tempête de neige et autres récits » est un ouvrage assez inégal, certaines nouvelles m’ayant peu captivé, d’autres plus émouvantes ou originales, m’ayant tenu en haleine.

Dans la catégorie de ces dernières on trouvera les histoires du prince Nekhlioudov visible alter égo de Tolstoï, avec de brillantes descriptions de la vie difficile des misérables paysans russes du XIX ième siècle ou le point de vue plus surprenant mais néanmoins empli de lucidité concernant la fausse supériorité sensée conférée par le statut social des bourgeois sur les artistes à la vie certes plus bancale mais certainement plus riche intérieurement.

Difficile également de ne pas succomber à « Le cheval », aussi surprenant que émotionnellement fort, avec la déchéance tragique d’un magnifique cheval noir et blanc détruit par la vieillesse et une vie chaotique …

Les autres nouvelles sont de qualité mais m’ont certainement moins touché ou fait vibrer.

Au final, bien que n’étant pas une œuvre impérissable,  « La tempête de neige et autres récits » reste un recueil de bonne qualité globale, qui confirme le statut de valeur sure de Tolstoï.

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