L'ivrogne et la marchande de fleurs (Nicolas Werth)

 




Nicolas Werth est un spécialiste de l’Histoire de l’Union Soviétique.

J’ai lu son dernier livre « L’ivrogne et la marchande de fleurs » consacré aux exécutions de masses perpétrées sous le règne de Staline en 1937-1938 durant la période appelée la Grande Terreur.

L’ouvrage s’articule de manière classique, cherchant tout d’abord les causes et évènements précurseurs, éléments déclencheurs avant de décortiquer le processus en lui même puis de s’intéresser de manière plus détaillée aux victimes de cette terrible répression.

En cause, bel et bien le régime Stalinien en lui même, ce système ultra centralisé autour d’un tyran omnipotent paranoïaque obsédé par les complots provenant soit de ses opposants soit de puissances étrangères occidentales ou orientales.

Il y eut d’abord en 1930 le basculement forcé dans le collectivisme, la déportation des koulaks, ex propriétaires terriens aisés, dépossédés de leurs terres et exilés dans des colonies de « peuplement » en Sibérie ou au Kazakhstan.

Après la grande famine de 1932 destinée à briser la résistance paysanne, Staline nomme en 1936 le redoutable Iejov à la tête de la police politique, le très secret et puisant NKVD bras armé du dictateur.

Staline a d’abord commencé se débarrasser des élites lors de spectaculaires procès ou les accusés hommes politiques, généraux ou cadres administratifs, manipulés, conditionnés se chargeaient eux mêmes avant de subir une sentence écrite à l’avance.

Mais ce que l’on sait moins c’est que ces purges vont ensuite s’entendre à toute la population russe.

Face à une Allemagne fasciste menaçante et à une guerre qui se profile, Staline est obsédé par l’idée de contrôle sur son immense territoire ou des clans locaux composés de notables, politiciens, industriels font encore la loi.

Alors il va charger Iejov et le NKVD de mettre en place un vaste système de fichage d’individus « ethniquement nuisibles » ayant pour but soit de les éliminer soit de les déporter.

Chaque région se voit donc doté de représentants locaux du NKVD et de quota dans un premier temps de listes de citoyens à remplir avant dans un second temps de les éliminer.

Les tribunaux locaux, appelés troïka doivent rendre compte périodiquement de l’atteinte des objectifs fixés par le pouvoir central.

La plupart des objectifs sont inatteignables, flirtant avec le délire absolu.

Terrorisées ou désireuses de plaire au tyran, les troïka vont rivaliser de trouvailles pour atteindre leurs objectifs.

Les populations qui seront les plus persécutées seront celles des anciens koulaks privés de leurs terres mais en réalité chaque couche de la population fut frappé aveuglement.

Il suffisait d’avoir une origine étrangère allemande, polonaise, lettone, grecque ou japonaise ou même d’avoir eu des vagues contacts avec ces pays pour se retrouver arrêter.

Les religieux, les anciens membres de partis politiques, les russes « blancs », les criminels de droit commun mais aussi les vagabonds et les chômeurs furent  également abondamment raflés.

Les fonctionnaires zélés inventaient des histoires de complots délirants et les prisonniers torturés avouaient n’importe quoi livrant leurs proches qui se retrouvaient eux même ensuite arrêtés.

Assez étrangement la machine s’emballa et devint folle, les troïka demandant des rallonges de quota au pouvoir centralisé qui accordait sans cesse son feu vert.

Bien entendu tout devait resté secret et les familles de disparus ne surent jamais ce qu’étaient devenus leurs proches, généralement fusillés dans des caves du NKVD et enterrés la nuit dans des fosses communes.

Durant ces années de folie pure, 4 millions de personnes furent condamnés, 800 000 personnes furent exécutées, les autres emprisonnées ou envoyées au goulag ou le taux de mortalité était de 20% par an, les conditions de survie abominables, indignes d’êtres humains.

Le plus cynique la dedans fut que Staline finit par arrêter les purges qui désorganisaient le pays le privant de travailleurs et de cadres pour les remplacer par des fanatiques bien souvent complètement incompétents.

Les anciens bourreaux du NKVD furent eux mêmes arrêtés pour avoir violé la législation soviétique, abusé de leur pouvoir et bien entendu avoir été des espions à la solde de puissances étrangères.

Iejov, le Himmler Russe, appelé le « nabot sanguinaire » en raison de son 1,54m et de sa férocité, tomba en disgrâce, fut démis de ses fonctions, arrêté puis fusillé.

Le livre conclut ce triste bilan par la terrible chape de plombs que maintint le régime Soviétique jusqu’à Mikaël Gorbatchev qui fit enfin la lumière sur l’une des plus grande tragédie de l’histoire de l’humanité et réhabilita l’honneur des victimes innocentes.

Aujourd’hui plusieurs associations dont Mémorial militent pour que les victimes de la Grande Terreur ne soient pas oubliées.

Plusieurs monuments commémoratifs ont fleuri sur les sites des martyrs.

Curieusement alors que nous sommes complètement abreuvés de documentaires et de films sur le génocide perpétré par l’Allemagne nazi, ces meurtres de masses et camps d’éliminations soviétiques restent assez peu souvent mis en lumière.

Peut être parce que ce drame se déroula en interne d’un pays gigantesque et opaque, peut être aussi parce que Staline fut l’un des vainqueurs de la III iéme guerre mondiale et que pendant longtemps on traita avec complaisance l’un des pires criminels de l’histoire de l’Humanité.

Bien qu'un peu austère un livre intéressant sur un thème difficile, terrifiant et parfois insupportable mais qui en dit long sur le fait de pousser au maximum la folie bureaucratique et la froide efficacité du culte aveugle du résultat quel que soient les moyens employés.

Ce système d’ obéissance aveugle à une hiérarchie jugée toute puissante existe toujours chez l’être humain même de nos jours mis à part la fait que dans les entreprises les quota de condamnés à mort ont été remplacés par des quota de futurs licenciés.

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