Gagner à tout prix, la guerre psychologique au tennis (Brad Gilbert, Steve Jamison)

 



Pour les gens qui ont suivi le tennis dans les années 80 et 90, le nom de Brad Gilbert est loin d’être inconnu, aussi me suis-je rué sur la traduction française de son best-seller de 1994 « Winning ugly » traduit en 2015 par un « Gagner à tout prix, la guerre psychologique au tennis » beaucoup plus politiquement correct.

Coécrit avec le journaliste américain Steve Jamison, « Gagner à tout prix, la guerre psychologique au tennis » se propose de livrer les secrets de l’ex numéro 4 mondial, vainqueur de vingt tournois ATP , tombeur de beaucoup de grands champions de l’époque dont Boris Becker, sa bête noire puis devenu le gourou mental d’André Agassi pour lui faire connaitre de 1994 à 2002 une seconde partie de carrière exceptionnelle.

Pourtant Gilbert dont le physique évoque un « Starsky passé sous un camion » ne disposait pas au départ de qualités physiques ou tennistiques exceptionnelles qui auraient pu laisser à penser qu’il ferait une carrière de ce niveau ou même simplement qu’il puisse devenir athlète professionnel dans le monde hyper concurrentiel du tennis professionnel.

C’est donc l’approche mentale de son sport qui a permis à Gilbert de compenser non pas des défauts, mais une absence de dons ou de qualité naturelles.

En guise d’introduction, Gilbert revient sur l’exploit de son poulain André Agassi en 1999, dont la victoire à Roland Garros constitue un véritable chef d’œuvre de préparation mentale en parvenant à reconstruire sa confiance entamée par une blessure, des défaites prématurées et d’autres plus traumatisantes en finale en 1989 et 1990 alors qu’il était archi-favori.

On a droit également à une petite aparté surprenante sur les éternels « espoirs » du tennis français avec la palme accordée à Joe Wilfried Tsonga dont la puissance explosive aurait pu l’amener à un titre majeur pour Gilbert s'il était capable de maintenir sa régularité.

Gaël Monfils devrait selon lui travailler à plus de sobriété pour gagner en efficacité au détriment de son coté spectaculaire alors que c‘est l‘inverse pour Gilles Simon, maitre tacticien sans punch.

Quand à Richard Gasquet, son le manque de grand coup décisif le barre au plus haut niveau.

En allant au bout de la réactualisation de son analyse, Gilbert relate l’évolution des technologies des raquettes, des surfaces et de la préparation physique des joueurs pour expliquer la révolution du jeu apportées par les Federer, Djokovic, Nadal et Murray.

Plus que le placement du service de Federer, le lift du coup droit de Nadal ou la vitesse de déplacement de Djokovic, Gilbert insiste sur leur engagement mental, leur perfectionnisme, leur poursuite continuelle d’objectifs et les quelques victoires clés de leurs carrières ayant fait office de déclic pour monter vers les sommets.

Reprenant ensuite le corps du texte des années 90, Gilbert explique dans la première partie l’art et la manière de préparer un match pour prendre un avantage pouvant s’avérer décisif dès les premiers points et justifie l’importance de cette approche par les implacables statistiques de l‘ATP ou 90% des joueurs gagnant le premier set remportent le match.

Que ce soit pour le professionnel aguerri ou le modeste joueur de club, rien ne doit donc être négligé : le rituel de préparation du matériel (boissons, nourritures, rechanges, médicaments), les étirements souvent bâclés ou négligés par les joueurs amateurs et l’échauffement parfait pour dégripper ses coups.

Pour lutter contre le stress d’avant match, il est recommandé de penser à respirer fort et à être léger sur ses appuis voir plus étrangement de chanter ou lire les logos publicitaires (!).

De manière plus iconoclaste, Gilbert recommande de ne pas servir en premier car les services des amateurs ne sont pas décisifs et de gérer sa puissance à 65-70% au début d’un match comme le faisait Ivan Lendl avant de monter en régime.

Mais la force principale de Gilbert réside dans l’approche mentale « active » qui consiste à avoir analyser les forces et faiblesses d’un adversaire, son style de jeu, son comportement, de reconnaitre dans un match les opportunités et à en tirer un maximum de profit.

Ces propos sont illustrés par deux tactiques payante contre Connors au Masters et Becker à l’US Open en 1987.

Ainsi, Gilbert avait constaté que Connors n’avait pas un gros service et n’attaquait pas non plus les seconds balles. Dans l’échange, il aimait jouer en rythme et détestait les balles sans consistance, slicées courtes sur son coup droit.

Pour Becker, l’affaire était de tenter de remettre dans le court son terrible service, de se protéger en servant des première-seconde, de le faire bouger sur son coup droit fort pour le faire potentiellement rater et perdre confiance.

L’attaque le long de la ligne sur un revers en mouvement s’avérait également payante, le but étant de frustrer l’Allemand dont le caractère fier et hautain pouvait se retourner contre lui lorsqu’il rencontrait une résistance acharnée.

Dans la seconde partie, Gilbert se concentre davantage sur l’aspect tactique en demandant de garder l’esprit aiguisé pour analyser le déroulé d’un match afin de s’adapter de manière dynamique à la situation, le but principal étant de pousser son adversaire à jouer des coups qu’il n’aime pas.

Après les anecdotes sur Agassi dont la puissance explosive trouvait ses limites dans sa faiblesse psychologique, celles sur Edberg au jeu d’attaque par ailleurs sans faille, dans son coup droit et celle d’Aaron Krickstein dans les balles slicées courtes sur son coup fort, son légendaire coup droit d’attaque, Gilbert passe un par un tous les styles de joueurs et les meilleurs moyens de les contrer.

Le gourou du tennis dévoile ses trucs contre les joueurs de fond de court, qu’il faut agresser au filet ou faire monter au filet, les joueurs rapides qu’il faut priver de vitesse et les serveurs volleyeurs avec retours en douceur, plongeants, croisés, lobés ou droit sur l’homme.

Il explique comment se comporter pour éviter les attaques sur son revers, gérer les services et retour de service, face à des serveurs faibles, forts et des gauchers.

Gilbert termine ce chapitre par la gestion des moments clés d’un match, notamment les points lorsque l’un des deux joueurs est à 30, les tie-breaks, les débuts de second set ou le gagnant se relâche invariablement tandis que le perdant sort les griffes.

Lors des points sous pression, Gilbert recommande de ne pas se précipiter mais d’obliger l’adversaire à sortir des coups risqués pour s’en sortir.

Il développe ses techniques mentales pour garder sa motivation intacte, ne pas perdre le fil conducteur de son jeu, mais également ne pas hésiter à changer de stratégie pour dérégler le jeu d’un joueur qui domine ou pour corriger des défauts dans son propre jeu à l’instar d’un Pete Sampras capable de baisser temporairement sa puissance de service pour retrouver son rythme.

Tout en s’affranchissant de tout conseil technique, Gilbert recommande de s’entrainer pour faire évoluer l’éventail de ses coups.

S’appuyant toujours sur les exemples de grands champions, il cite la prise de balle précoce d’André Agassi, la constance, la force mentale et la propension à jouer sur ses armes maitresses d’Ivan Lendl, le service, les qualités athlétique et la confiance animale de Boris Becker, le sens tactique et la souplesse de John Mc Enroe, le mental guerrier et la qualité de retour de Jimmy Connors, la variété et le courage de Jim Courrier, l’esprit offensif et les capacités d’adaptation de Pete Sampras… avant de laisser Jamison parler de ses propres qualités : régularité, sens de l’observation, propension à jouer sur les faiblesses adverses.

La troisième partie, la plus « Ugly » de toutes évoque les manœuvres psychologiques utilisés par les plus grands professionnels, à commencer par les folies explosives de John Mc Enroe et Jimmy Connors, passés maitres dans l’art d’influencer les foules et les arbitres par leur charisme et semblant se nourrir de leur propre colère provoquées lorsque le match leur est défavorable.

Gilbert reconnait s’être déjà fait battre par les deux champions alors qu’il les tenait au bout de sa raquette, mais avoir su tirer profit de ses enseignements pour trouver des parades et les vaincre ultérieurement avec une revanche savoureuse sur l’affreux Mc Enroe au Masters 1987 qui provoqua des insultes et une retraite de six mois du champion outré d’une défaite aussi cinglante.

Si Gilbert ne mâche pas ses mots contre Mc Enroe dont il semble garder rancune en expliquant l’incroyable clémence des arbitres à son égard jusqu’en 1990, date de son déclin… il reconnait également l’efficacité d’Ivan Lendl, capable lui de figer le jeu en prenant d’interminables pauses pour casser le rythme adverse lorsque nécessaire.

Même si Gilbert reconnait avec humour n’avoir  jamais réussi à battre Lendl, il propose des stratégies de défenses adaptées de manière à résister à la frustration et à retourner le mécanisme de l’attente contre celui qui la provoque (aller jusqu’à la ligne de fond, refaire ses lacets, tendre les cordes de sa raquette etc).

Contrairement à Lendl, Agassi lui imprime un rythme frénétique aux rencontres, auquel il est important de ne pas se laisser entrainer sous peine d’exploser en vol.

Là encore Gilbert recommande de prendre son temps, de boire, de s’assoir afin de ne pas entrer dans le jeu adverse.

La dernière anecdote est la plus violente avec un match d’une violence extrême contre David Wheaton, un ex top 10 américain des années 90 connu pour son jeu d’attaque et son caractère explosif.

Gilbert explique que lors d’un match à la lucrative Coupe du Grand Chelem en 1990, Wheaton a complètement perdu la tête, l’insultant avec son frère dans les tribunes.

Se refusant de céder à l’affrontement physique qui aurait pu dégénérer, Gilbert a préféré tenir son fil conducteur en ciblant le coup droit plus faible son pression de son adversaire et remporter une victoire haletante en cinq sets, ainsi qu’un chèque d’un million de dollars !

Impossible enfin de ne pas conclure cet ouvrage par le témoignage d’André Agassi, leur rencontre en 1994 au tournoi de Key Biscane en Floride alors qu’il était redevenu 32ieme mondiale, en perte de confiance et le début de leur relation à succès en révolutionnant son approche mentale pour la rendre digne d’un champion de son talent et capable de prendre l’ascendant sur ses rivaux majeurs : Courrier, Becker, Chang et Sampras même si ce dernier était à son maximum de toute façon supérieur.

En conclusion, je ne peux que recommander à quiconque désirant un tant soit peu s’améliorer en tennis et en sport la lecture de « Gagner à tout prix, la guerre psychologique au tennis ».

Malgré une construction un peu confuse ou les anecdotes personnelles, certes passionnantes de l’ancien joueur viennent interférer avec les conseils de rationalité dispensés aux joueurs de club, « Gagner à tout prix, la guerre psychologique au tennis » se dévore d’une traite et se montre plus instructif que n’importe quel traité de management.

On pourra reprocher à Gilbert son approche « gagne-petit » sans flamboyance ni génie, mais on pourra aussi y avoir un homme intelligent ayant exploité au mieux son potentiel pour progresser et atteindre son maximum au détriment sans doute de rivaux plus doués mais moins intelligents ou travailleurs, au palmarès plus modeste.

Gilbert représente donc l’exemple inverse du premier de la classe surdoué réussissant tout sans effort, du mythe du génie universel que le monde moderne tend bien souvent à nous vendre mais plutôt l’incarnation des vertus d’une autre forme d’intelligence plus concrète : celle de la faculté d’adaptation.

Je pense donc que suivre les préceptes de Brad Gilbert pourrait donc nous aider à mieux gérer nos vies, à mieux supporter les période de stress, de colère ou de frustration en se forçant à avoir une vision rationnelle, positive et entreprenante des évènements.

 « Gagner à tout prix, la guerre psychologique au tennis », à intégrer donc dans la liste de vos livres de chevet !

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