180 jours (Isabelle Sorente)

En 2013, Isabelle Sorente publie « 180 jours ».

Ce roman raconte l'histoire d'un professeur de philosophie parisien, Martin Enders, qui pour répondre au défi lancé par Tico, la jeune fille de son chef de service, Dionys Marco, fervente défenseur de la cause animale, décide de faire un sujet d'étude universitaire en immersion sur un élevage industriel de porcs.

Martin obtient un contact par une sociologue pour aller à Ombres, village imaginaire au bord de mer d'une région qui pourrait ressembler à la campagne bretonne.

Il laisse alors sa compagne Elsa, journaliste à Paris et passe une semaine sur place, rencontrant Jean Legai, le patron de l'usine appartenant au groupe allemand ZSR, un fils d'immigré espagnol, fier d’être devenu une figure locale par la force de son travail.

Homme énergique et habile, Legai s'assure que Martin ne viendra pas porter atteinte à l'image de son usine puis lui ouvre les portes pour qu'il rencontre Camélia, son meilleur opérateur et successeur désigné lorsqu'il prendra sa retraite à la fin de l'année.

Mais Martin ignore que Camélia va saisir cette occasion pour lui expliquer le terrible malaise qui le dévore de l'intérieur, avec insomnies et pertes de poids.

Ce malaise, Martin le ressent assez vite en visitant le site ou les animaux passent par différentes étapes parfaitement calibrées par des ordinateurs, depuis l'insémination des truies jusqu'à l'abattage sur une durée de 180 jours maximum.

Durant ce laps de temps, les porcs ne voient jamais le jour et passent d'un bâtiment à un autre.

L'évolution de leur croissance est suivie scientifiquement jusqu'à parvenir à l'obésité à la fin de la phase d'engraissement.

Martin comme Camélia est troublé par la condition de ces animaux intelligents, finalement assez proches de l'homme et capable d'interactions assez évoluées avec lui.

Ces corps énormes prisonniers d'espaces ridicules, ces traitements répétitifs, l'élimination sans état d’âme de tout élément ne respectant pas les règles de croissance de l'entreprise, tout concourt à vivre une horreur programmée.

Camélia et Martin se fréquentent également en dehors de l'usine, au café du village puis chez Mado, une vieille dame qui héberge le philosophe à partir de sa seconde visite.

Le trentenaire lui apprend avoir été quitté par sa compagne, Nathalie, incapable de comprendre pourquoi il ne voulait pas d'enfants.

Camélia lui explique sa lassitude, ses violents cauchemars, son envie d'humaniser et protéger les porcs, comme, une émouvante truie ayant qu'il a sauvé de l'abattage après qu'elle ait massacré tous les petits de sa portée.

Martin revient ébranlé à Paris et constate qu'Elsa, tout comme Dionys qui reste un vieux libertin, ne peuvent ou ne veulent pas comprendre.

Camélia devient son ami et il finit par lui aussi lui confier de dérangeants souvenirs d'enfance, dans lesquels il était le souffre-douleur de son collège, insulté et maltraité parce qu’il était jugé laid et stupide par un petit groupe de meneurs cruels dirigé par un certain Gregory.

Les deux amis songent à une révolte, comme celle qu'avait Martin lorsqu'il se baladait avec un couteau de cuisine prêt à planter son tortionnaire, avant qu'il ne soit finalement viré de l'établissement par l'intervention d'un professeur plus lucide et compréhensif.

L'eau du vase déborde lorsque Camélia est envoyé dans une formation pour apprendre à tuer/euthanasier plus efficacement les porcs en maniant chocs électriques et coups de poignards au cœur.

Martin, dont le comportement a changé à Paris et qui s'est violemment disputé avec des amis insouciants incapable de comprendre son état d'esprit, tente de le dissuader d'aller à cette formation et de signifier à Legai son refus de continuer mais Camélia s'en montre incapable.

Le patron local est il est vrai un bon manipulateur capable d'alterner séduction en présentant son épouse lors d'un diner et menaces physiques lorsqu'il découvre la mauvaise influence de Martin sur son employé dit « modèle ».

Contre l'avis de ses proches, Martin revient à Ombres et aide Camélia a baptiser les 15 000 animaux durant la nuit en écrivant des noms sur leurs corps volontairement anonymisés.

Le duo rencontre un commando d'activistes dirigé par Tico qui a pour but de libérer les animaux durant la nuit.

Les opérations se croisent, quelques animaux sont libérés et partent dans les bois, puis Martin est blessé à la jambe par un verrat agressif en voulant protéger Tico.

Revenu boiteux à Paris, il apprend que Camélia a pu sortir de ce travail qui le rendait fou pour devenir éducateur et se prépare à être père, Elsa allant lui donner son premier enfant.

Plus que cela, , lui annonce la tenue d'un séminaire intégrant ses travaux.

En conclusion, « 180 jours » est une œuvre très forte qui montre l'envers du décors des élevages industriels, une image plutot déplaisante dans laquelle les animaux sont des unités de productions réduites à des tas de viandes.

La rencontre entre le philosophe parisien torturé et l'opérateur de province rongé par son boulot inhumain constituant à donner la vie pour la reprendre 180 jours après, est belle.

Tout sonne ici juste et Sorente parvient à « humaniser » le sort d'animaux dont la souffrance est niée au motif du profit.

Certaines passages dérangent, c'est le but et viennent vous hanter comme on les devine hanter le sommeil des protagonistes ayant assisté à des scènes d'abattage à la chaine.

Et si « 180 jours » contribuait à vous rendre végan ? Peut-être.

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