Tereza Batista (Jorge Amado)

Rien de tel qu’un roman de Jorge Amado pour parachever trois semaines de vacances au Brésil, aussi est-ce avec un réel plaisir que « Teresa Batista » a occupé mes dernières lectures.
Publié en 1972, « Tereza Batista » s’inscrit dans la longue tradition des romans d’Amado, avec l’histoire d’une orpheline du Sergipe, cette région désertique et pauvre du Nord Est du Brésil.
Mais Amado débute son roman par une histoire d’amour, celle de Tereza Batista, alors danseuse de samba dans un cabaret d'Aracaju, qui prenant part à une rixe pour défendre une femme battue par son amant, Liborio, un voyou de la pire espèce, provoque une bagarre générale et se voit secourue par un marin noir et athlétique répondant au nom de Januario Gereba.
Tereza qui suite à un mauvais coup s’est fait posée une dent en or par un admirateur dentiste, tombe instantanément sous le charme de ce marin tendre et protecteur qui la fait rêver par ses récits emplis de poésie marine.
La belle Tereza a pourtant besoin de tout l’appui de ses admirateurs, notamment l’avocat infirme au grand cœur protecteur des pauvres Lulu Santos, car Liborio utilise ses relations dans la police pour faire traquer et enfermer Januario.
Lulu Santos fait libérer Januario et profite de l’occasion pour régler ses comptes avec Liborio qui lui a souvent échappé dans les tribunaux dans des affaires d’escroqueries et le voyou est finalement condamné après que Tereza ait appris à écrire à une pauvre veuve analphabète manipulée par l’escroc.
Malgré ce succès, Januario se refuse à Tereza en lui révélant que son cœur n’est pas libre, car pris par sa femme malade qu’il ne peut se résoudre à tromper.
La détermination de Tereza pousse tout de même le marin à flirter avec elle la nuit tombée et lorsqu’il reprend inévitablement la mer, la jeune femme fait le serment d’attendre le retour de son amour impossible.
Puis Amado fait basculer le récit autour de l’enfance de Tereza Batista, recueillie enfant par sa tante Filipa, puis remarquée par Justiniano Duarte Da Rosa dit le Capitão, un puissant fazendeiro de l’état de Bahia qui par ses relations et ses hommes de mains dévoués, parvient à assouvir ses sombres penchants pour les jeunes filles.
Avec sa réputation de dur et son argent, le Capitão n’a aucune peine à acheter Tereza à sa vénale tante au grand dam de son oncle Rosalvo, qui avait lui-même des vues sur elle et projetait de la déflorer une fois pubère tout en nourrissant des puissants fantasmes de meurtre à l’égard de sa femme.
Le fazendeiro emmène avec lui dans son domaine de Cazajeiras-du-Nord, une adolescente de moins de quinze ans en comptant la briser comme les autres, jouissant sexuellement de la terreur que sa cruauté et sa violence imposent à ses jeunes proies. Farouche, Tereza résiste plus que les autres, rendant les coups, se refusant à son bourreau, fuguant avant de devoir céder face à la brutalité animale du Capitão qui menace de la marquer au fer à amidonner. Chez le Capitão, Tereza apprend la soumission et devient l’esclave dévouée de son nouveau maitre, accomplissant les plus basses besognes domestiques tout en assouvissant ses désirs pervers avec le zèle demandé. La relation d’avilissement de Tereza est longuement voir complaisamment décrite dans de nombreuses pages ou on découvre les raffinements pervers du Capitão ainsi que ses recherches obsessionnelles dans les bordels des villes avoisinantes pour trouver sans cesse de nouvelles pucelles à maltraiter. Par sa beauté et sa sensualité, Tereza bat des records de longévité au coté du Capitão devenant sa compagne non officielle derrière Doris Curvelo, une jeune épouse laide et malade, fille de bonne famille déchue après la mort d’un père préfet, qui s’était dévouée avec une docilité maladive avant de trépasser prématurément, laissant sa mère Dona Brigida, sous la coupe financière de son mari. Mais l’arrivée à Cazajeiras-du-Nord de Daniel Gomes Neto, fils d’un juge de Salvador de Bahia, va changer le destin sombre de la jeune fille. Véritable Don Juan du haut de ses vingt ans, Daniel tombe sous le charme de Tereza et entreprend un jeu subtil le poussant à courtiser quatre vieilles filles voisines de la maison du Capitão pour tromper la vigilance de la brute. Expert en séduction et en dissimulation, le beau jeune homme n’a aucun mal à ravir le cœur ensglanté de la malheureuse en lui promettant de la libérer et parvient à ses fins en profitant d’une absence du Capitão pour coucher avec elle et lui faire connaitre le véritable plaisir sexuel. Lorsque le jeune homme devient trop audacieux dans ses visites, il se fait dénoncer par une des vieilles filles trahies et se retrouve nez à nez avec la fureur du Capitão qui le surprend en pleine action avec son jouet préféré. Face au danger, le séducteur se dégonfle et tremblant, montrant sa vraie nature. Alors que le Capitão lui demande de le sucer pour l’humilier, Tereza saisit l’occasion et tue son bourreau d’un coup de couteau, mettant ainsi fin à son calvaire. L’intervention de Lulu Santos au procès lui permet d’amoindrir la peine et d’être placé dans un couvent duquel elle s’échappe facilement pour devenir une prostituée. Dans la troisième partie du roman, Amado décrit la lutte héroïque de Tereza aux cotés des prostituées de la ville de Buquim pour libérer la population d’une épidémie de peste noire. Face à un pouvoir corrompu, le docteur Otto Espinheira amant de Tereza et Juraci une infirmière de bonne famille plus enclins à quitter la ville pour sauver leur vie qu’à faire face à l’horrible maladie défigurant les corps couverts de pustules avant de contaminer les autres habitants, Tereza devient après la mort d’un vieux médecin courageux Mascarenhas, la seule personne acceptant de soigner les malades mis en quarantaine, de désinfecter leurs plaies, d’utiliser des techniques rudimentaires (bouses de vaches, feuilles de bananier) pour réduire la pandémie en attendant des vaccins en quantité insuffisante pour soigner un Nord Est misérable laissant le pouvoir de la capitale indifférent. Le destin semble ensuite sourire à Tereza qui redevenue danseuse et putain, séduit Emilio Guedes, l’un des plus puissants industriels de l’état de Bahia, qui l’avait déjà remarqué lorsqu’elle appartenait au Capitão. Dans la ville d’Estancia, Tereza vit une histoire d’amour avec cet homme de soixante ans, qui dans l’intimité tombe son masque de colonel craint et respecté, se révélant un amant tendre et passionné. L’idylle dure six ans avec au milieu un avortement commis par amour pour le vieux maitre et la découverte des livres. Malheureusement le puissant seigneur décède en plein acte ce qui jette un voile de malédiction sur la réputation déjà sulfureuse de Tereza. Surpassant son chagrin, Tereza s’établit dans la capitale de l'état de Bahia, à Salvador ou du fait de son statut de danseuse et de femme éduquée, elle devient une prostituée de luxe dans un établissement du quartier du Pelourinho, ne rencontrant qu’une clientèle triée sur le volet. Après avoir repoussé au nom de son amour toujours vivace pour Januario qu‘elle cherche vainement de quai en quai, une demande en mariage d’un gentil boulanger du nom d’Almério das Neves, elle se met à entretenir avec lui une étrange relation d’amitié. Lorsque le gouverneur prend la décision de délocaliser tous les bordels du Pelourinho dans la ville Basse pour y construire des complexes touristiques flambant neufs et satisfaire également l’appétit de Sardine l’industriel titulaire du marché, Tereza prend la tête d’une révolte des prostituées, refusant de se rendre dans un quartier insalubre. Par son influence auprès de Dona Paulina de Souza et Vava, principaux proxénètes de la ville qui constatent que les Orishas la soutiennent, Tereza provoque une grève générale des prostituées de la ville et tient tête aux principaux policiers corrompus, qui tablaient sur la venue de trois navires de guerre américains pour vendre préservatifs, aphrodisiaques et drogues aux 3000 marins fraichement débarqués. Les principaux concernés, le commissaire Lobão, les inspecteurs Nicolau Ramada Junior dit le Requin et Dalmo Coca, toxicomane notoire prennent la tête d’une descente en masse de la police pour faire ouvrir de force les bordels, ce qui provoque des gigantesques bagarres de rues avec barricades et mêlées sanglantes. La révolte acharnée des prostituées protégées par les Orishas, couplée à un énorme incendie, pousse les marins à regagner leurs navires et le Gouverneur charge son conseiller Reginaldo Pavão son Conseiller d’intervenir pour rétablir la paix sociale. Il ordonne à tous les échelons de la police, notamment l’ambitieux commissaire en chef Hélio Cotas mariée à une Sardine, de laisser les prostituées tranquilles au Pelourinho, ruinant ainsi le juteux business des flics ripoux. Tereza qui a payé cher son statu de meneuse en se faisant arrêter et copieusement tabassé par le Requin et ses hommes est libérée par l’intervention de l’influent Vava qui graisse les pattes de la fonctionnaires pour obtenir gain de cause. Après avoir appris le naufrage du navire de Januario au Chili, Tereza résignée à la perte de son cher marin accepte d’épouser das Neves avant l’apparition surprise de Januario revenu d’entre les morts pour retrouver sa belle. Devenu veuf, Januario a à présent son cœur libéré et peut donc emmener son amour devant le futur mari finalement (un peu trop) conciliant. Après toutes ses années et aventures, Tereza peut à présent gouter à la félicité auprès de son premier amour tant attendu.

En conclusion, « Tereza Batista » est une nouvelle et colossale grande fresque du Maitre Brésilien qui nous enchante de bout en bout en décrivant le destin d’une femme hors du commun, représentant les plus basses couches sociales de son Nordeste tant aimé. On se régale donc sous la plume sans pareille d’Amado, parfait conteur d’histoires, narrant à merveille le parcours de la jolie métisse à travers les rouages des seigneurs locaux du Nordeste, politiciens, fonctionnaires, policiers, propriétaires terriens ou industriels attirés comme la plupart de leurs semblables par le pouvoir, l’argent et le sexe. Femme de ménage, danseuse et prostituée, Tereza traverse toutes les épreuves pour arriver au bonheur sous la forme d‘un amour idéalisé avec un beau marin, supportant même l’horrible brutalité du Capitão dans le passage le plus embarrassant et pénible du livre en raison des scènes que j’attribue à de la pédophilie sadique digne d’un psychopathe. Ces longs passages à la « gloire » du Capitão constituent pour moi le seul point noir d’un livre globalement passionnant, qui confirme le statut de génie de la littérature de Jorge Amado.

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