Les sirènes de Bagdad (Yasmina Khadra)

Peu de raisons de ne pas continuer à explorer l’œuvre de Yasmina Khadra, aussi est-ce avec un intense plaisir que « Les sirènes de Bagdad » vont trouver leur place dans ces chroniques.

Paru en 2006, « Les sirènes de Bagdad » appartient à la même veine internationale que ces prédécesseurs « Les hirondelles de Kaboul » et « L’attentat » qui eux aussi délaissent l’Algérie natale de Khadra pour s’aventurer en Afghanistan et en Israël.

Cette fois, l’action se déroule dans les années 2000 en Irak, en plein milieu de la guerre que mènent seuls les Etats-Unis de George W Bush contre le régime de Saddam Hussein.

Mais Khadra surprend en plaçant d’entrée son personnage principal, un jeune fils de puisatier misérable de Kafr Karam village perdu dans le désert, dans le cadre inhabituel de Beyrouth ou il se sent peu à son aise et dialogue avec Jalal, un vieux docteur en religion.

Puis il remonte le temps et retrace l’itinéraire du jeune homme en consacrant une bonne moitié du roman à la description de la vie à Kafr Karam, dans un environnement pauvre ou les traditions bédouines pèsent davantage que la situation globale du pays.

Pourtant la réalité de la guerre finit par rattraper les habitants de Kafr Karam, lorsque Souleyman, un adolescent handicapé devant être amené en urgence dans un dispensaire est abattu à un checkpoint par des soldats américains.

Le drame secoue le village, échauffant les esprits des plus jeunes comme le belliqueux Yacine et dès lors le conflit s’inscrit progressivement dans le quotidien des habitants avec la frappe d’un missile sur les convives d’un mariage et l’irruption de GI dans les maisonnées.

Au cours de l’une d’entre elles, le père du héros est molesté et humilié sous ses yeux.

L’affront est trop fort pour le jeune homme qui décide de suivre la tradition bédouine de vengeance.

Dès lors, il délaisse son ami musicien Kadem pour se lancer dans un périple hasardeux pour arriver jusqu’à Bagdad ou il espère entrer dans la résistance irakienne qui lutte de manière désespérée contre les GI sur armés.

Le voyage dans un pays rendu sauvage et incertain par les conflits est long et semé d’embuches.

Tenu par une détermination implacable, le héros tient pourtant le coup et arrive jusqu’à la capitale certes toujours envoutante mais devenue en raison de la guerre, une ville dangereuse pour un jeune homme seul.

Agressé et dépouillé, il finit par mener une vie d’errance dont il ne sort que par la rencontre fortuite avec Omar, une connaissance du village, qui le prend sur son aile en lui assurant un gite et un couvert, certes misérables.

Mais Omar est soumis à la pression de son colocataire qu’on devine assez rapidement être son amant et prend la pénible décision de le remettre à son ennemi Sayed, un autre ancien du village, qui a connu une réussite certaine à Bagdad.

Sayed accueille généreusement le jeune homme et le loge dans son magasin de téléviseurs qui n’est en réalité qu’une couverture pour ses véritables activités : chef d’une cellule de terroristes islamiques poseurs de bombes.

Le héros comprend à qui il a affaire et montre une grande motivation pour s’intégrer à la cellule terroriste afin d’accomplir sa vengeance.

Mais les terroristes étant par nécessité des gens prudents, le processus d’intégration prend beaucoup de temps, le héros devant à son grand dam ronger son frein dans l’inactivité et les taches subalternes.

Une descente de policier irakiens corrompus tentant de racketter Sayed tourne mal et oblige le réseau à liquider les policiers, ce qui accélère l’intégration du bédouin, témoin malgré lui du meurtre.

Après un nouvel assaut de policiers, la cellule parvient à s’échapper et Sayed convaincu que le jeune bédouin l’a trahi, le contraint sous la torture à livrer un nom : celui d’Omar.

Impitoyable, Sayed égorge le malheureux qui en réalité n’était pour rien dans l’attaque des policiers.

Malgré son remord, le bédouin va jusqu’au bout de son engagement et accepte l’inconcevable, se faire injecter un virus par un médecin terroriste et contaminer la ville de Londres.

Aidé par la puissante logistique des réseaux terroristes, il traverse la Jordanie pour se retrouver au point de départ du roman, à Beyrouth ou il doit prendre un avion pour Londres.

En attendant son heure, le jeune homme discute avec le docteur Jalal, intellectuel autrefois proche des pays occidentaux et critique vis-à-vis de l’islamisme avant d’opérer un volte face fracassant en comprenant le mépris des occidentaux pour les arabes, qu’ils soient intellectuels ou non.

Jalal, détecte les intentions criminelles du jeune homme et malgré son revirement islamiste, décide devant l’horreur de ses intentions, de l’en dissuader.

Les choses tournent mal, Jalal est durement agressé et enlevé par les gardes de Sayed, ce qui laisse la voie libre au bédouin infecté.

Mais au moment de prendre l’avion, le bédouin se montre incapable d’aller au bout de son acte en comprenant in extremis sa vacuité.

Il comparait alors finalement devant ses anciens maitres, pour un jugement qu’il sait sans appel.

En conclusion, « Les sirènes de Bagdad » est un roman d’une très grande force montrant un Khadra au sommet de son art.

Dans celui-ci, l’écrivain décrit en effet le parcours individuel d’un jeune homme du désert qui touché par les effets de bord de la brutalité de la guerre USA-Irak, s’engage alors par désir de vengeance dans le Jihad, avant de se raviser in extremis au seuil de commettre un attentat bactériologique d’envergure encore inédite.

A travers ce jeune homme qu’on devine assez proche ethniquement de lui, Khadra joue parfaitement son rôle de passeur/médiateur entre le monde occidental et arabe.

Tout en condamnant la brutalité des soldats américains envahisseurs (mais en réalité il n’existe pour moi aucun soldat particulièrement tendre en période de guerre), Khadra rappelle les horreurs du régime de Saddam Hussein et tente de rétablir un équilibre entre la culture arabe, aux richesses méconnues et celle réputée supérieure de l’Occident mais en réalité dévoyée par l’absence de spiritualité, l’individualisme et le pouvoir de l’argent.

Cette tentative se matérialise clairement lors du dialogue agité entre Jalal intellectuel déçu par les lumières de l’Occident et son ami écrivain Mohamed Seen, fidèle lui à une vision progressiste  des choses.

Servi par une langue toujours d’une grande splendeur, « Les sirènes de Bagdad » se dévore d’une traite et constitue l’un des meilleurs romans non algériens du talentueux écrivain.

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