Deux frères (Milton Hatoum)

La littérature brésilienne contemporaine avec « Deux frères » de Milton Hatoum.
Sorti en 2000, « Deux frères » raconte dans le Brésil d’après Seconde guerre mondiale, le destin de deux jumeaux Omar et Yacub, tous deux fils d’émigrés libanais vivant à Manaus capitale de l’état de l'Amazonas.
Leur père Halim est un petit commerçant qui fait vivre modestement sa famille et est fou amoureux de sa femme Zana elle aussi d‘origine libanaise, qu’il a séduit en lui déclamant un ghazal, un poème arabe qu’on ami artiste lui avait recommandé.
La relation entre Halim et Zana, est passionnée, puissamment sexuelle et a donné au couple une fille Rania après la naissance des jumeaux.
L’histoire, raconté du point de vue du fils de Domingas, une Indienne devenue la domestique du couple, met surtout en avant l’opposition entre les deux frères aussi différents de caractère qu’on puisse imaginer.
Le premier incident entre eux intervenu dans une soirée cinéma ou Omar taillade la joue de Yacub pour une histoire de jalousie à propos de Livia la fille d‘un couple d‘amis, pousse Halim a envoyer ce dernier pendant un an au Liban.
Il en reviendra changé à treize ans, distant, parlant mal portugais et découvrant qu’en son absence Omar a pris ses aises en tant que roitelet de la maison.
La rage froide de Yacub s’exerce dans les études ou ses brillantes capacités intellectuelles notamment en mathématiques le font remarquer par ses professeurs tandis que son frère se fait volontairement un cancre indiscipliné et bagarreur, passant ses jours et ses nuits à sortir plutôt qu’à étudier.
Aussi lorsque en 1949, Yacub a la possibilité de partir étudier dans une école d’ingénieur polytechnique à São Paulo, il se rue sur cette occasion de partir en mettant pratiquement devant le fait accompli ses parents. Au sein de la mégalopole du sud du Brésil, Yacub continue son ascension sociale, se spécialisant en construction civile par la force de son travail et de sa discipline. Souhaitant qu’Omar prennent exemple sur son frère, Halim et Zana l’envoient également étudier à São Paulo mais après voir un instant fait mine de se ranger, le jeune homme quitte la ville pour les États-Unis en volant le passeport et l’argent de Yacub.
Yacub garde sa rage pour lui mais se fait de plus en plus distant avec sa famille de Manaus. Il se marie à São Paulo mais ne révèle pas l’identité de sa femme. Finalement les deux frères se retrouvent une nouvelle fois dans la maison familiale de Manaus. Omar est toujours un bon à rien fantasque, qui rentre ivre mort à l’aube de ses sorties et coucheries pour dormir dans son hamac jusqu’à midi. Sa jalousie haineuse pour son frère est à son comble et se solde par des bagarres continuelles. Mais Omar finit également par se révolter face à sa mère Zana, qui a toujours chassé impitoyablement toutes les « fiancées » qu’il ramène à la maison. Après une violente altercation, Omar quitte le foyer familial et va vivre comme un vagabond avec sa dernière conquête, une belle Noire appelée Bois-mulâtre Fous d’inquiétude, ses parents le cherchent partout dans le vaste dédales de rivières et d’iles que forment l’Amazonie. Halim qui a embauché un vieux pisteur boiteux pour l’aider dans ses laborieuses recherches finit par le retrouver se cachant sur un petit bateau avec sa belle, passant d’ile en ile et vendant son poisson sur le marché pour survivre. Dans un état pitoyable, Omar est finalement ramené manu militari dans le foyer familial. La mort d’Halim ne réconcilie pas les deux frères, l’éternelle célibataire Rania se contenant de continuer à gérer seule avec un certain talent les affaires du magasin. Mais l’arrivée d’investisseurs étrangers cherchant à prospérer dans le développement de Manaus va changer la donne, l’un d’entre eux appelé Rochiram, un Indien beau parleur réussissant à convaincre les deux frères de travailler avec lui. Malgré sa méfiance, voulant sans doute faire plaisir à Zana qui souhaite toujours une impossible réconciliation entre les frères, Yacub accepte de participer au projet et s’investit dans les calculs des constructions. Ceci ne plait pas à son frère qui l’agresse violemment, le laissant le visage tuméfié. Le temps pourtant finit par rattraper la famille. Domingas meurt paisiblement dans le hamac familial révélant à son fils peu avant sa mort le terrible secret de son viol par Omar et de cette paternité cachée. Yacub n’est pas non plus exempt de secret, a lui de son coté épousé Livia à Sao Paulo. Rochiram refait aussi surface, menaçant d’attaquer en justice pour des pertes financières que lui auraient fait subir Omar et Yacub. Paniqué, Rania n’a pas d’autre solution que de faire vendre la maison familiale pour éponger les dettes supposées de ses frères. Cette vente est un déchirement pour Zana qui se laisse mourir peu après. Le tempérament impulsif d’Omar et son amitié avec un professeur de lettres, Antenor Laval poète à ses heures, arrêté et exécuté par la police militaire en 1964 en raison de sa proximité supposée avec l’opposition, le conduisent lui aussi en prison. Seule Rania continue à le soutenir jusqu’à sa sortie. Lorsqu’il refait surface après deux ans d‘emprisonnement, il apprend que Yacub a engagé des avocats pour le pourchasser et lui faire payer ses violences. Omar n’a donc plus d’autres choix que mener une vie de fugitif. Lorsqu’Omar repasse une dernière fois dans la maison devenue la propriété de Rochiram, il fait face à son fils, eu avec Domingas, mais préfère une nouvelle fois tourner les talons plutôt que d’avouer sa faute. En conclusion, sur un sujet en apparence déjà brillamment traité, notamment par Guy de Maupassant dans « Pierre et Jean », « Deux frères » n’en est pas moins un ouvrage intéressant par son ambiance familiale d’une lourdeur étouffante, ses multiples rebondissements et son cadre dépaysant, l’Amazonie de l’après Seconde guerre mondiale. Sans nul doute largement inspiré de son histoire personnelle de Brésilien descendant de Libanais, Hatoum réalise une brillante fresque familiale autour de deux jumeaux que tout oppose et parvient notamment dans la dernière partie de son roman traitant de la décadence, du vieillissement et des lourds secrets de famille refaisant finalement surface à émouvoir aux larmes. Hatoum n’est sans doute pas Maupassant mais mérite assurément le respect pour ce type d’ouvrage. Les plus curieux d'entre vous seront heureux d'apprendre l'adaptation en mini série télévisée brésilienne de ce roman complexe et intense.

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