Les Crimes de l'amour (Sade)

 



« Les Crimes de l’amour »  de Sade est un ouvrage difficile à classer.

On pourrait parler d’un recueil de contes tragiques, quasi philosophiques mais d’une philosophie bien particulière et si chère à son auteur.

J’ai pourtant préféré les ranger dans la catégorie « érotique » mais car même si ils ne le sont pas à proprement parler, ils contiennent cependant un degré de sadisme et de violence psychologique hors norme.

Cinq nouvelles indépendantes composent donc ce manuscrit.

Dans chacune d’entre elles, pour qui a lu par exemple « Justine ou les infortunes de la vertu » on retrouve les thèmes favoris de Sade, à savoir des personnages souvent pétris de vertus, de principes, de religion et de morale immaculée qui se retrouvent par l’entremise d’un destin vicieux et impitoyable la proie des plus affreux tourments.

Dans les trois premières histoires, Faxelange, Courville et Dorgeville sont les tendres brebis déchirées par les circonstances et par des prédateurs humains peu enclins à s’embarrasser de nobles sentiments.

Sade rajoute un degré suprême de raffinement dans l’horreur et la provocation en mêlant systématiquement  aux crimes de sang le  tabou ultime de l’inceste sous de multiples formes, mère-fils, père-fille, sœur-frère.

Le Marquis construit admirablement ses  récits et tel un démiurge omnipotent joue avec ses personnages comme avec de fragiles marionnettes de chair.

De manière symétrique et sans doute pour varier les angles d’attaque, les personnages principaux de Madame de Sancerre ou d’Eugénie de Franval ne sont pas les modèles de vertu mais de vice, cependant les causes et effets sont au final les mêmes.

Bien entendu dans une sorte d’ultime pied de nez,  Sade conclut ses histoires par une punition ou une repentance tardive des protagonistes corrompus avec un ersatz de morale sauvegardée, mais à chaque fois les dégâts occasionnés sont irrémédiables.

J’ai beaucoup apprécié ces récits que j’ai trouvés profondément jubilatoire, il est vrai que la langue utilisée par le Marquis le place sans conteste parmi les meilleurs écrivains de langue française.

Sade était pour moi un homme épris de liberté, sans doute un peu fou mais dont la subversion surpassera toujours n’importe quel rebelle d’opérette.

Sade tel un Don Quichotte du XVIII iéme siècle s’attaque à la société, aux bonnes mœurs, à la morale, aux traditions, à la religion.

La réclusion qu’il subira la majeure partie de sa vie ne fit que renforcer sa détermination et attiser sa plume.

Aujourd’hui ses œuvres ont passés les siècles tandis que ses bourreaux n’ont rien laissé de leur existence, on peut donc décréter la victoire du libertin sur les censeurs.

J’admire donc en plus de son indéniable talent littéraire, la liberté, le courage et l’intelligence de cet homme sans dieu ni maître.

Dans « Les Crimes de l’amour » le lecteur assidu trouvera également un intense parfum de tragédie grecque, de misanthropie, de nihilisme et  de romantisme noir dignes par instants d’un Baudelaire.

Mais le plus important, si on sait lire par derrière les artifices de  la provocation, c’est bien le contenu philosophique de l’ouvrage qui demeure incroyablement cohérent et d’une profondeur absolue.

Quelques citations étincelantes :

« A ceux qui liront cette déplorable histoire, ce n’est que dans l’obscurité des tombeaux que l’homme peut trouver le calme, que la méchanceté de ses semblables, le désordre de ses passions, et plus que tout la fatalité de son sort, lui refuseront éternellement sur terre ».

« Les femmes …  fausses, jalouses, impérieuses, coquettes ou dévotes … les maris perfides, inconstants, cruels ou despotes, voilà l’abrégé de tous les individus de la terre, madame ;  n’espérez pas trouver un phénix ».

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