Le monde selon H.R Giger (Alain Pusel)
Disparu en 2014, Hans Ruedi Giger dit H.R Giger était un sculpteur, peintre et architecte hors norme dont j’ai pu admirer le travail lors d’une exposition à la Halle Saint Pierre en 2005.
« Le monde selon H.R Giger » se veut donc l’illustration de cette exposition dans laquelle Martine Lusardy et Alain Pusel retracent dans un style riche sinon ampoulé les principales étapes et influences de l’art de Giger.
Giger est né en 1940 et a grandi en Suisse, dans un univers proche de la nature décrit comme paisible.
Son père pharmacien et sa mère au foyer lui assurent une vie confortable et aimante, dans laquelle il peut développer ses penchants solitaires et artistiques.
Les premiers tableaux datent de 1961-1962 et déjà se caractérisent par un goût prononcé pour le confiné, l’angoissant, le difforme, le monstrueux comme sous l’effet d’une curieuse mutation de l’homme.
Les explications avancées par Pusel pour comprendre ce style pour le moins inhabituel sont bien faibles : le monde des cow-boys et des indiens, le jazz, la psychologie de Bosch… alors qu’on chercherait plutôt du coté de Lovecraft et Poe.
A la fin des années 60 se dessine pour moi la thématique centrale de Giger : l’hybridation entre l’homme et la machine dans un monde biomécanoide inventé de toutes pièces où la science moderne se fait maitresse et tortionnaire de l’humain.
S’inspirant de Durer, Böcklin, Dali, Kubin ou de son contemporain Dado, Giger développe son propre univers futuriste, mutant, gothique et choquant avec des références pornographiques (phallus, vagins, seins, fesses) appuyées.
Il influence beaucoup de musiciens issus généralement de la scène rock/métal comme Emerson Lake and Palmer, Magma, Korn, Debbie Harry et réalise les illustrations de leurs disques.
Le monde du cinéma ne tarde pas non plus à s’intéresser à son art décalé et après une collaboration ratée sur « Dune », Giger décroche en 1980 la timbale sur « Alien » en créant le design futuristico-horrifique de la créature qui deviendra culte.
Malgré un oscar obtenu pour son travail, Giger fut souvent frustré par le cinéma, les réalisateurs narcissiques rejetant ou déformant trop souvent ses idées (« Dune » , « Alien II », « La mutante », « Poltergeist » , « Dead star »).
Seul Ridley Scott semble lui avoir été fidèle jusqu’au bout en lui offrant une nouvelle et ultime collaboration sur « Prometheus » en 2012.
Nous laissons Pusel et ses références boiteuses conclure pour plutôt admirer les illustrations du maitre : créatures féminines mutantes dénudées, souillées par des radiations nucléaires ou maltraitées par des mécaniques froides, évoluant dans des mondes tantôt angoissants par leur vide, tantôt oppressants par leur industrie omnipotente…
Hommage déchirant à Li Tolber, sa première femme suicidée en 1976, devenue une créature biomécanique immortelle dans la série des « Lil », à l’incontournable Alien qu’on devine nettement dans les œuvres de la fin des années 70 (« Necronum« ), mais aussi à des œuvres moins connues car plus sobres mais tout aussi fascinantes de pièces vides et sombres, de composants industriels rouillés (« Le Passage ») ou d’un New-York fascinant car complètement déshumanisé.
En conclusion, le temps a passé et lle grand public a sans doute déjà oublié Giger, aussi suis-je particulièrement heureux et fier d’avoir conservé « Le monde selon H.R Giger » comme souvenir du passé et d’un moment intense au travers de la découverte de l’univers torturé d’un artiste hors norme.
Certes Giger peut effrayer, choquer ou repousser lorsqu’il montre des hideux bébés élevés à la chaine, des créatures pénétrées par des phallus mécaniques ou des références très explicites au Diable (The Spell, Baphomet, Satan, Aleister Crowley) mais c’est je le pense le propre d’un artiste de ne pas se brider pour délivrer ses messages aux monde.
Inclassable, puissante, dérangeante, fascinante comme une course folle vers notre propre abime de destruction par le biais de la technologie que nous avons crée, l’œuvre de Giger dépasse pour moi le cadre strict d’un film, aussi génial soit-il.
C’est pourquoi « Le monde selon H.R Giger » est à prendre comme une porte d’entrée vers une découverte plus globale d’un artiste visionnaire du versant le plus sombre de notre Humanité.
Giger ou l’autre génie suisse avec Roger Fédérer ? L’Histoire jugera.
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