Belle de jour (Joseph Kessel)

ll y a des films comme cela qui vous marquent à vie.
« Belle de Jour » de Luis Bunuel en fait partie avec une Catherine Deneuve inoubliable de beauté et de séduction glacée évoluant dans un univers d’érotisme onirique.
Aussi me devais je un jour de lire le livre de Joseph Kessel dont il avait été tiré.
Pas de déception à l’arrivée mais en réalité j’étais quasiment déjà vaincu d’avance tant mon a priori était puissamment favorable.
« Belle de Jour »  est un livre complexe, osé, qui fit scandale en son temps, obligeant Joseph Kessel a se justifier contre des accusations de pornographie dans une préface assez lamentable quand on pense combien ce livre est loin de ce domaine.
En effet au sens étymologique du mot, pornographie signifie description de l’acte sexuel, hors ce n’est quasiment jamais le cas dans le roman de Kessel.
« Belle de Jour » raconte la descente aux enfers de Séverine, une jeune bourgeoise aisée incapable de dominer ses profondes pulsions masochistes.
Séverine est une jeune mariée à Pierre, jeune et beau chirurgien parisien.
Tous deux mènent la vie de la haute bourgeoisie, fréquentations de leurs semblables, ski, tennis, sorties culturelles, dîners mondains, essayage.
Pierre et Séverine sont un peu les Ken et Barbie des années 30, jeunes, beaux à qui tout réussit.
Inutile de vous dire que toute cette perfection et ce bonheur lisse me donnent particulièrement la nausée.
Séverine aime Pierre qui est décrit comme le plus parfait des deux.
Elle mène une vie oisive, totalement dépendante de son mari qui est sur protecteur à son égard.
Bonheur étouffant, crispant, d’une vie monochromatique.
Pourtant la ou le bas blesse c’est que cet amour trop chaste et presque spirituellement divin ne leur procure pas de plaisir sexuel, le fameux vertige des sens « la volupté à laquelle tout être vivant aspire »
Survient l’événement déclencheur, Séverine tombe gravement malade, une congestion pulmonaire qui l’amène aux portes de la mort.
A son réveil quelque chose en elle a changé.
Des pulsions profondes qu’elle ne soupçonnait pas se sont réveillées en elle.
Poussée par un instinct irrépressible, Séverine se rend dans une maison close ou elle rencontre Madame Anaïs, la maquerelle de l’établissement.
Séverine va donc mener une double vie en se prostituant  la journée et rentrer le soir à 17 heures pour accueillir son cher mari , d’ou son surnom de Belle de Jour.
Séverine contrairement aux autres femmes n’est pas la pour combler un manque d’argent.
Ses fantasmes sont liés à un désir d’abaissement, de soumission.
Elle recherche des hommes rudes, brutaux, au physique lourd et grossier bref l’antithèse de son mari parfait et lisse qui l’aime jusqu’à l’en diviniser.
Malgré l’intense culpabilité qui la taraude vis à vis de Pierre, les passes chez Madame Anaïs deviennent rapidement une drogue dont rien ne peut la détourner.
Séverine ne parvient en effet à atteindre le  plaisir que dans son abaissement.
Au fur et à mesure Séverine plonge dans la déchéance.
Elle fréquente Marcel, un petit voyou à la mâchoire dorée qui tombe amoureux d’elle.
Les description des virées nocturnes dans le milieu parisien sont d’une puissance aussi effrayante que fascinante.
Séverine découvre des hommes dangereux, oisifs, menaçant et brutaux, ce qui en comparaison de son univers ouaté et confortable l’excite.
Bien entendu cette double vie ne peut durer éternellement et tout ce système implose quand Séverine est découverte par un des amis de son mari, lui même client de la maison close.
Ecartelée entre le monde du vice et celui de la vertu, la vie de Séverine bascule dans le drame.
La fin du roman est d’une cruauté infinie, son mari Pierre devenant la victime muette des excès de sa femme et tous deux se retrouvent enchaînés dans une double culpabilité inextricable sur fond de maladie et de mort.
Terrible châtiment donc pour Séverine.
« Belle de Jour » est un roman que je trouve formidable.
Ce qui a choqué les mœurs il me semble est que cette femme se prostitue de son plein gré, même si pour Séverine à mon sens la prostitution n’est qu’un outil pour assouvir des pulsions plus profondes.
En effet le cliché le plus répandu est de voir la prostituée comme victime, pas comme maîtresse de son sort.
Pourtant cette vision réductrice et bien pensante des choses nie le fait que les femmes comme les hommes sont capables d’éprouver des pulsions sexuelles profondes n’obéissant à aucune logique.
Kessel parle du divorce du corps et de l’esprit , Séverine recherchant ce que jamais son mari ne pourra lui donner.
Selon mon point de vue, Séverine n’est pas malade, nous avons simplement tous nos cotés obscurs et nos fantasmes, qui sont plus ou moins complexes et sophistiqués selon la personnalité des individus.
Bien entendu le masque social et moral nous oblige à mentir, à jouer un rôle pour être conforme à l’image que nous voulons projeter autour de nous.
Il me paraît stupide de nier notre coté sombre, la vie n’étant jamais noire ou blanche  et totalement gouvernée par la raison mais pleine de contrastes, d’irrationnel et d’inconscient.
Kessel  a pour moi décelé toutes ces finesses dans son roman.
C’est à mon sens le signe d’un esprit d’un niveau supérieur que finalement peu de gens peuvent atteindre d’ou les critiques autour du livre jugé sans doute offensant pour la bourgeoisie de l’époque et sans doute encore offensant pour notre époque ou le politiquement correct règne.
« Belle de Jour » est une puissante analyse de l’esprit humain,  de ces choses enfouies en nous qui nous font souvent peur et que nous cherchons à nier comme essaie de le faire Séverine en se mentant à elle même.
La question sous jacente à cela est peut on partager tous ses fantasmes avec son conjoint ou certaines choses doivent elles rester à jamais secrètes ?
A mon sens on ne connaît jamais totalement son conjoint l’esprit humain étant d’une complexité et d’une profondeur sans grande limite aussi est il bon d’en avoir conscience.
« Belle de Jour » en plus d’être un film superbe, onirique et subversif est un des chefs d’œuvre de la littérature française, surpassant à mon sens par sa puissance psychologique les écrits enfiévrés du Marquis de Sade.

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