Contes cruels et fantastiques (Guy de Maupassant)

De plus en plus séduit par l’œuvre de Guy de Maupassant, j’ai eu l’envie de poursuivre en lisant ses « Contes cruels et fantastiques » gros recueil de nouvelles parues sur la décennie de 1880 dans des journaux comme le quotidien Gil Blas ou le Gaulois.

Ne nous méprenons pas  même si « Contes cruels et fantastiques » est composé nouvelles courtes et indépendantes qui se lisent chacune très bien individuellement, il reste cependant un gros pavé volumineux de cinquante sept œuvres.

L’ambiance générale est bien entendu sombre avec une délicieuse propension à attirer le lecteur dans des atmosphères étranges, dérangeantes voir morbides ou les rêves et les hallucinations constituent autant de portes d’entrées vers un monde invisible à nos sens humains par nature limités.

Le recueil commence très fort avec « Sur l’eau » petit bijou de noirceur aquatique ou l’auteur piégé sur une barque naviguant sur une rivière proche de la Seine est victime de phénomènes inquiétants.

Le thème aquatique sera ensuite repris sur le registre de l’humiliation amoureuse avec « Lettre trouvé sur un noyé ».

Le paranormal alors très en vogue auprès des écrivains de l’époque influencés par les travaux de Mesmer et Charcot est régulièrement abordé au travers d’expériences d’hypnotisme, de télékinésie, d’apparitions ou de communication avec des esprits (« Magnétisme », « Apparition » « La peur », « Un fou ? » « Qui sait ? » ) avec de mon coté une nette préférence pour l’histoire perverse de  « La petite Roque » ou le fantôme d’une filette violée et assassinée vient hanter jusqu’à la folie son meurtrier, le propre maire du village !

Les effets hallucinatoires de l’éther que consommait l’écrivain pour calmer ses douleurs, sont vantés dans « Rêves » et Maupassant pousse encore plus loin l’idée d’un monde invisible ou vivraient des esprits ou des créatures maléfiques supérieures à l’homme dans des nouvelles suintantes d’angoisse comme « Lui » ou les fameuses version du « Horla » dans lequel la narrateur se trouve torturé par un être spectral importé du lointain Brésil.

Mais Maupassant se montre également brillant en abordant d’autres rivages plus psychologiques comme dans « Fou ? » ou il décrit la jalousie meurtrière d’un homme pour le cheval de sa maitresse ou bien dans « Mademoiselle Cocotte » avec la curieuse obsession d’un cocher pour sa chienne qu’il eut pourtant à éliminer contre sa volonté en raison de sa nocivité, le magnifique « Un lâche » ou un homme trop sur de sa force préfère se supprimer que d’aller à un duel, « La chevelure » traitant du fétichisme autour d’une chevelure de morte ou « Moiron » instituteur tueur d’enfants.

Cette dimension psychologique se fait sentir dans les histoires d’enfants illégitime fruits d’amour incestueux (« Le petit », « Monsieur Parent ) venant hanter le pauvre mari berné.

Le génie de l’écrivain se manifeste dans des récits tordus, durs, terriblement émouvants comme « La rempailleuse » ou est conté l’amour fou, impossible, d’une pauvre rempailleuse pour un notable engoncé dans ses convenances de petit bourgeois de province, « La reine Hortense » ou une vieille femme agonisante laisse soudainement éclater son désir d’être mère, « L’enfant » montrant le suicide d’une femme enceinte d’une grossesse honteuse ou bien le cruel « L’attente » ou une mère est abandonnée par son fils après qu’il l’eut découverte avec son amant, « Berthe » ou la démonstration que l’amour peut également faire souffrir mortellement les déficients mentaux, le révoltant « Une famille » ou d’honnêtes bourgeois de province torturent par méchanceté leur vieux grand père.

Dans ce registre les chefs d’œuvre sont légions : « Les suicidés » ou un homme prend la décision de se supprimer après avoir pris violemment conscience de l’invincible pouvoir du temps ravageant nos existences et nous éloignant à tout jamais de nos proches, « Garçon, un bock ! » racontant la dérive d’un homme très perturbé par le mensonge des parents après avoir vu son père battre sa mère, « Promenade » aboutissant au suicide d’un homme s’apercevant de sa désespérante solitude après une belle journée de printemps ou le très romantique  « La tombe » narrant l’obsession morbide d’un homme pour sa maitresse morte jeune, « Un fou » terriblement jouissif ou le testament d’un juge intègre révèle une perversion digne d’un tueur en série, « Madame Hermet » femme d’une telle coquetterie qu’elle refusa de voir son fils agonisant pour préserver sa beauté des ravages de la petite vérole, ou « Le masque » avec un pathétique vieillard  danseur tentant de se cacher son âge pour recueillir les applaudissements des cabarets montmartrois.

On frissonne d’effroi avec « La peur » ou un simple chien hurlant dans la nuit suffit à inquiéter une famille d’hommes endurcis, de dégout sur l’horrible « La mère aux monstres » ou une mère rend consciemment ses enfants difformes pour les vendre à des cirques ou de révolte avec « Un âne » narrant la cruauté de deux braconniers pour torturer à mort un pauvre âne en fin de vie.

En marge figurent des récits plus difficilement classables comme « Chali » cruel conte hindou ou une femme enfant est cruellement mise à mort après que son mari anglais lui ait offert une pierre précieuse en guise d’au revoir ou le très réussi « L’inconnue » autour de l’obsession d’un homme pour une belle parisienne aperçue dans la rue ou encore « Un cas de divorce » narrant l’obsession malsaine d’un homme pour les fleurs.

Mais tout devant nécessairement avoir une fin, le recueil se clôt par un nouveau bijou de romantisme noir, « Les tombales » décrivant une certaine race de femmes chassant les veufs dans les cimetières.

En conclusion, vous l’aurez compris en lisant mes commentaires plus qu’élogieux, ces « Contes cruels et fantastiques » sont un éblouissement, une sublime élévation de l’esprit surpassant tout ce que j’ai lu de Maupassant.

J’aime en effet tout chez cet auteur, son imagination sans limite, son finesse psychologique, sa sensibilité hors normes, mais également son coté mélancolique, nostalgique et désabusé.

Une écrasante majorité de ses nouvelles constituent de véritables chef d’œuvres ou apparait tout le talent d’un écrivain exceptionnel.

Connu surtout pour ses romans classiques, Maupassant se révèle pour moi un conteur noir exceptionnel, surpassant par la fluidité, la pureté et la puissance exceptionnelle de son style, des spécialistes comme Edgar Poe et même Marcel Aymé, auteur que j’estime par ailleurs beaucoup.

Ce recueil est donc à lire, relire et à posséder pour tout amateur de littérature permettant à l’esprit de s’évader vers d’autres dimensions que celles d’un banal quotidien sans éclat.

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