La cité de Dieu (Paulo Lins)

Œuvre majeure de la littérature brésilienne contemporaine adaptée sur petit et grand écran, « La cité de Dieu » est un roman de Paulo Lins publié en 1997.
Ici, on suit sur près de trente ans, l’évolution d’une néo-favela du quartier de Barra de Tijuca, à Rio de Janeiro entre 1960 et 1990.
A l’origine, la cité de Dieu se présente comme pour les cités françaises construites à la même époque plutôt comme une avancée sociale avec l’accession à des bâtiments en dur avec eau et électricité pour les classes les plus pauvres des bidonvilles de Rio.
Mais si le cadre change, la population déplacée reste-elle la même et les petits bandits ne vont pas tarder à recréer des réseaux par affinités.
Durant toute l’étendue des 570 pages du roman, Lins multiplie les personnages désignés par leurs surnoms et raconte d’innombrables histoires tournant essentiellement autour de la délinquance.
Les bandits sont des adolescents ayant décidé de suivre le chemin du crime par révolte contre leur condition de pauvres et noirs, et commencent par pratiquer le braquage dans et hors de la favela.
Ce sont ainsi des livreurs de gaz, des station services, des boulangeries, des bus, des taxis mais aussi de simples travailleurs ayant récolté leur maigre paye du mois qui se font rançonnés par des mômes déterminés.
Mais le braquage restant une activité à risques, le trafic au départ d’herbe, ne tarde pas à faire son apparition, certains blocs de la Cité, devenant des spots de ventes bien connus des drogués.
Pour être respecté dans ce monde du crime, il faut se montrer dur voir cruel, ne pas hésiter à frapper ou tuer pour monter dans la hiérarchie.
Aux côtés de truands plus établis comme Passistinha, des personnages comme le Canard, le Marteau et Dam occupent la première partie du livre, ce dernier étant un peu plus intéressant car ayant un frère, Ari, travesti et prostitué, qui fait honte à sa réputation de dur.
Dam s’arrange ainsi pour faire quitter la favela à Ari, qui n’y retourne qu’occasionnellement entre deux passes avec des clients.
La police locale s’adapte aussi à cette délinquance urbaine, et deux personnages sortent du lot : le commissaire Belzébou et le sergent de la police militaire Notre-Tête-à-Tous, qui sèment la terreur lors de leur rondes extrêmement brutales.
Nordestin sanguinaire avide de revanche, Notre-Tête-à-Tous fait quant à lui figure de croque mitaine chez les bandits et les marginaux qu’il n’hésite pas à tuer pour le plaisir, Belzébou se montrant lui plus facilement corruptible.
Dans la favelas, les vies sont courtes et basculent rapidement. Ainsi, le Canard paye cher d’avoir violé la femme d’un autre, le mari jaloux lui tendant un guet-apens pour le tuer avant de disparaitre afin d’éviter d’éventuelles représailles.
Dam qui a tué un mouchard originaire de la même région que Notre-Tête-à-Tous finit par gagner son duel à mort avec le policier par l’intervention fortuite d’un homme voulant venger son frère, tué par le violent le policier.
En un juste retour de balancier, Dam finira tué par Belzébou.
Dans les années 70 le rock séduit les « chochottes » les petits blancs des favelas comme Thiago, Marisol et Ficelle, qui ont plus de facilités en raison de leur couleur de peau pour sortir, fréquenter les bals des quartiers riches du sud de la ville, aller à des festivals mais conservent malgré leur coté plus « présentables » la violence inhérente à leur origine et n’hésitent pas à se battre ou sortir des armes quand ils l’estiment nécessaire.
A ce titre, la dramatique rivalité entre Thiago et Marisol pour la beauté de la jeune Andrea, est assez évocatrice.
Avec Zé-Rikiki, qui constitue avec son ami Piaf et le comptable Carlos Roberto, un gang puissant et prend le contrôle des points de vente les plus stratégiques de la favela, le trafic de drogue prend une autre envergure et cet adolescent aussi laid qu’impitoyable devient le parrain de la Cité de Dieu.
La cocaïne fait alors son apparition en sus de l’herbe, les armes de plus en plus puissantes (révolvers automatiques, fusil à pompe et même mitraillettes) servant à assoir la suprématie de Zé-Rikiki.
Mais lorsque Zé-Rikiki, déjà atteint par la mort du plus modéré Piaf, complexé par son physique ingrat, viole sous une pulsion incontrôlable une jolie blonde sous les yeux de son amoureux, un noir athlétique appelé Beau-José, la situation prend une autre tournure.
Menacé de mort, Beau-José délaisse son emploi et entreprend une vendetta personnelle pour son honneur et celui de son grand-père, assassiné par Zé-Rikiki.
L’ancien para se montre un adversaire redoutable et parvient à instaurer la peur dans le camp du trafiquant.
Beau-José bascule alors franchement dans la criminalité et s’allie avec Carotte, grand rival de Zé-Rikiki pour faire tomber son gang.
Le combat entre les deux bandes armées dure plusieurs mois, enflamme la favela, terrorisant les habitants obligés de prendre parti pour l’un des deux cotés pour leur propre sécurité personnelle.
Malgré ses prouesses, Beau-José, blessé au ventre et moins bien armé que son rival, finit par mourir mais sa popularité occasionne un enterrement grandiose.
Le rôle de la police, aussi bien civile que militaire, se dessine plus comme celui d’un autre gang plus puissant arrêtant les criminels pour les rançonner plutôt que pour les mettre hors d’état de nuire.
Pour conclure cette grande fresque, la paix revient dans la favela, Zé-Rikiki reprenant son rôle de parrain incontesté, mais son associé le Défrisé, désirant se ranger avec une institutrice rencontrée dans un bus est tué en prison par un de ses ennemis.
Ari devenue Ana Rouge Noir, finit par rencontrer l’amour avec un employé de banque qui quitte sa femme pour vivre avec elle et l’arracher à la misère.
Comme tous les bandits, Zé-Rikiki finit par se faire surprendre dans un moment d’inattention et meurt, tué par un gamin dont il ne s’était pas assez méfié, perpétuant ainsi le cycle de renversements brutaux dans la favela.
En conclusion, « La cité de Dieu » est sans nul doute l’un des romans les plus violents et difficiles qu’il m’ait été donné de lire dans ma vie.
Le monde décrit par Lins est en effet effroyable et désespérant par sa lancinante répétition de destins de jeunes hommes et femmes précocement arrêtés par des morts violentes parfois absurdes pour une rivalité ou trahison présumée, un regard, un mot de travers ou pour simplement avoir été présent au mauvais endroit et au mauvais moment.
Avec le passage du trafic de drogue à grande échelle, la violence atteint des proportions démesurées et dépasse toutes proportions. A chaque mort ou presque allant survenir, Lins brosse une rapide biographie du personnage, rappelant son origine et son parcours jusqu’à la favela.
Le résultat est souvent froid et morbide.
Malgré un coté répétitif, sombre et parfois insupportable de certaines scènes, « La cité de Dieu » demeure la référence, le roman ultime décrivant le fonctionnement des trafiquants des favelas brésiliennes et l’incapacité des forces de police trop facilement corruptibles à résoudre ce problème endémique.
A réserver néanmoins aux lecteurs les plus endurcis.

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