La maison des autres (Bernard Clavel)


Sorti en 1962, « La maison des autres » est le premier roman de Bernard Clavel d’une série de quatre appelée « La grande patience ».
L’histoire prend place dans le Jura en 1937 ou Julien Dubois un adolescent de quatorze ans quitte l’école contre l’avis de ses parents pour partir en apprentissage en pâtisserie dans la ville de Dole.
Julien qui est hébergé chez son oncle Pierre et sa tante les Dantin, dans un petit village près de Lons le Saulnier les quitte donc pour aller s’établir chez le couple de patrons qui l’emploie, les Petiot.
A Dole, il découvre la rudesse de la vie d’apprenti, avec le réveil aux aurores pour faire chauffer le four, aider le chef à faire les croissants, les courses périlleuses en vélo aux quatre coins de la ville avant de terminer par d’harassantes corvées de plonge et de nettoyage.
Les premiers jours sont difficiles à supporter pour Julien d’autant plus qu’il est piqué la nuit par de vicieuses punaises mais le jeune garçon s’accroche, aidé en cela par la solidarité avec les autres employés : Maurice Laurent, la vendeuse Colette Parisot, le second Victor Bressaud et le Chef André, un homme exigeant mais généreux.
Avec le temps, Julien découvre la véritable personnalité de son patron, M Petiot, un ex combattant de 1914-1918, qui ne cache pas sa haine des hommes politiques, mouvements de gauche et exploite sans vergogne ses employés.
Lorsque durant ses rares jours de congés, Julien revient voir son oncle et sa tante, son état de fatigue les inquiètent.
Ex fonctionnaire et homme de gauche convaincu, Pierre Dantin estime que Julien ne devrait pas accepter les conditions abusives de son apprentissage mais ne parvient pas à le convaincre de se rebeller ou de quitter Petiot.
Serrant les dents, Julien continue par défi personnel, acceptant sans regimber les conditions difficiles imposées par ses patrons.
Le travail manuel auquel s’ajoutent des séances de boxe nocturnes avec les autres apprentis de la ville développent ses muscles et lui donnent une aisance corporelle le faisant paraitre plus mature.
Mais après quelques incidents, Petiot prend progressivement en grippe Julien avant que la guerre entre les deux hommes ne se déclare franchement lorsque le patron reçoit la visite de Pierre Dantin qui tente de le rappeler à l’ordre.
Soupçonnant Julien d’être un agitateur de la C.G.T après qu’il ait pris sa carte en suivant l’exemple de Colette, Petiot laisse éclater sa haine contre ce jeune homme rebelle qui accomplit néanmoins sa tache quotidienne sans se plaindre. Entre insultes, menaces de licenciement et coups mal ajustés, Petiot sait pertinemment qu’il a trop besoin de son apprenti pour aller trop loin.
Malgré ce climat de tension, Julien laisse transparaitre son tempérament artistique par des dessins d’une belle femme sosie de Marlène Dietrich qu’il observe passer chaque jour ou par des poèmes qu’il écrit pour cette muse en apparence aussi inaccessible que l’actrice américano-allemande.
Il fantasme également sur une carrière de boxeur à la Joe Louis, le champion noir américain de l’époque et de conduite de voiture de sports aux États-Unis.
Un tournant a lieu lorsque son oncle aimé meurt d‘une crise d‘apoplexie, ce qui ravage le cœur de Julien.
Après le choc de l’enterrement et le départ de sa tante, Julien se rend souvent sur sa tombe avec sa chienne, confiée à un vieux voisin.
Le vivant et fantasque Victor quitte la pâtisserie pour le service militaire et Edouard Cornut un nouvel ouvrier arrive chez Petiot, devenant vite un indicateur sournois à la solde de Petiot.
Julien parvient cependant à connaitre l’amour dans les bras d’une femme de chambre d’un hôtel mais paye cher sa folle nuit blanche lorsque dormant debout, il chute dans le canal du Doubs perdant par la même occasion son vélo et la précieuse pièce montée qu’il devait livrer pour un mariage.
Dénoncé par Cornut, Julien évite de peu le combat de trop face à Petiot et reçoit toute la solidarité de ses collègues qui attirent le dénonciateur dans un guet apens pour le frapper et l’humilier.
Mais en 1939, le Chef est mobilisé à son tour et doit quitter la pâtisserie, laissant ses outils de travail à Julien dans un émouvant adieu.
Son contrat s’achevant, Julien quitte non sans soulagement la pâtisserie, sous l’œil scandalisé de Petiot, en grande difficulté depuis le départ du Chef.
Il retourne grandi, apaisé et nourri d’une nouvelle expérience chez ses parents à Lons-le-Saulnier dans un climat menaçant de Seconde guerre mondiale après l’attaque de la Pologne par l’Allemagne…
En conclusion, roman largement autobiographique, « La maison des autres » se révèle une découverte réellement plaisante.
Sur un sujet en apparence peu attractif pour moi, Clavel réussit à maintenir l’intérêt du récit avec notamment quelques pages sublimes d’émotion comme lors de l’enterrement de l’oncle.
La rudesse mais aussi la noblesse des métiers manuels sont remarquablement mis en valeur, ainsi que la vie d’un adolescent rêveur des années 30 en Franche Comté.
Derrière ce récit plein de vie, pointent les grands enjeux de l’époque en France, le Front populaire, la montée des grands mouvements syndicalistes et l’angoissante approche de la Seconde guerre mondiale…
Un première expérience très plaisante donc qui me pousse à lire prochainement la suite de « La grande patience ».

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