La vie mélancolique des méduses (François Léotard)

Avec le temps les gens ont sans doute oublié l’ex ministre François Léotard, qui après sa carrière d’homme politique controversé, s’est depuis une quinzaine d’années reconverti dans l’écriture.

En 2007, quelques années après avoir déjà écrit sur son frère, l’acteur François Léotard disparu en 2001, il publie « La vie mélancolique des méduses ».

Comme l’indique bien sa couverture sobre et glacée, « La vie mélancolique des méduses » se déroule dans l’univers mystérieux et dangereux des services secrets français, ou certains hommes appelés les méduses, enchainent des missions d’assassinats ciblés pour le compte de l’Etat français.

Sans attache, capable de rester plusieurs mois en attente d’une nouvelle mission désignée par une hiérarchie volontairement obscure et éclatée, Jean Bourdin appartient à la catégorie des méduses.

Mis en retrait de son travail après l’échec d’une mission impossible d’assassinat de Ratko Mladic, commandant de l’armée serbe pendant la guerre de Yougoslavie et criminel contre l’humanité, Bourdin échappe de peu à l’élimination mais échoue dans un hôpital psychiatrique ou il remâche ses pensées intimes.

Le lecteur suit donc le fil des pensées profondes de l’ex agent, avec un père militaire précocement disparu pendant la guerre d’Indochine, une mère enchainant les passes pour arrondir les fins de mois avant de partir sur un coup de tête en Asie pour tenter de le retrouver et finalement ne jamais revenir.

Sous la surveillance bienveillante de Puppy, une grosse et fausse infirmière alsacienne, Bourdin décrit son quotidien de méduse, avec les rendez vous silencieux pour attendre les ordres et les longues périodes d’attentes ou inévitablement l’ennui vous dévore.

Il ressasse sa rencontre avec Nathalie, la belle espionne auquel peu d’hommes peuvent résister et son rôle déterminant dans l’enclenchement de la mission ratée en Yougoslavie, mais c’est surtout son collègue allemand Peter qui est au centre de ses pensées.

La vie en effet de son seul ami dans le métier est passée au crible, avec une enfance difficile à Dresde, dans une Allemagne de l’Est d’après guerre soumise aux violences des Russes victorieux et l’ascendance problématique d’un père sculpteur membre du parti nazi avant le basculement vers le monde de l’espionnage via la Stasi puis le retournement classique pour travailler pour la France.

Buveur, homosexuel à tendance jeunes garçons, Peter se mue en parfait compagnon de route pour Jean, avec des réflexions pseudo philosophiques souvent nihilistes.

Les deux méduses à la dérive se fréquentent pour évacuer leur solitude, les crimes qui les hantent la nuit et finissent par devenir amis.

Lorsqu’il apprend que son ami a déserté pour rejoindre l’Italie ou il fréquente un agent israélien nommé Laura chargée d‘infiltrer les réseaux islamistes italiens, Jean comprend la réaction de son ami qui en avait assez de servir.

Avec la complicité de Puppy, elle-même proche de Peter, Jean s’évade de son hôpital, retrouve une Nathalie finalement elle aussi déserteuse et prend la décision de gagner l’Italie par bateau pour retrouver son ami.

Le long trajet avec cette belle et jeune mante religieuse est particulièrement pénible, même si Jean finit par succomber aux charmes d’une jeune femme vivant mal ce qu’elle définit comme sa condition de prostituée d’Etat.

Après un périple dans le Sud de l’Europe, le duo finit par retrouver Peter vivant mais atteint d’un cancer et sa compagne Laura à Trieste.

Sentant que son ami vit les derniers mois voir semaines de sa vie, Jean parle longuement avec lui, comprenant finalement son secret intime d’ex enfant juif de Tchécoslovaquie, déporté avec les siens par train avant d’être miraculeusement sauvé du génocide par la bienveillance inattendue d’un soldat allemand et d’une femme de nazi, qui deviendra sa mère d’adoption.

Apaisé par la révélation de son passé, Peter aidé par Laura, pousse Jean et Nathalie a venir avec eux en Israël afin de bénéficier de la protection du Mossad allouée aux agents occidentaux retournés.

Le duo accepte et tout le monde se retrouve en Israël.

Bien entendu Nathalie et Jean sont soumis à une étroite surveillance, et Jean se voit proposé un marché visant à lui assurer une vie tranquille en Israël en échange d’un ultime contrat, l’assassinat d’un terroriste islamiste à Marseille.

Jean n’a pas d’autre choix que d’accepter ce marché et se rend dans les bas fonds de la ville, les tristement quartiers nord pour localiser à moto sa cible et trouver le moment propice pour passer à l’acte.

Ce moment a finalement lieu et l’islamiste meurt finalement dans les toilettes d’une station service.

De retour en Israël, Jean apprend la mort de Peter emporté l’âme en paix par son cancer, comprend que Nathalie devenue la maitresse d’un colonel, l’a abandonné à tout jamais et se résigne à se faire oublier dans une vie solitaire, discrète et modeste sous le soleil du Moyen-Orient.

Reste un livre écrit par Peter racontant sa vie tumultueuse, devenu un best seller en Israël.

En conclusion, sous des dehors de roman d‘espionnage, « La vie mélancolique des méduses » est une œuvre étonnante, très sombre et mélancolique ou François Léotard se livre de manière très intime.

Les réflexions écrites dans une langue superbe, sonnent souvent de manière juste profonde et soutiennent en permanence le déroulement d’un récit-alibi sinueux autour du passé d’un vieil espion de l’Est, hanté par un passé en lambeaux.

On se demande souvent quelles sont les motivations de ces hommes qui se retrouvent sans identité, sans amis, ni attaches et doivent accomplir en sous marin le sal boulot de pays dits démocratiques.

Le livre ne répond pas à cette question, évite toute glorification à la James Bond du métier d’agent secret, préférant se focaliser sur une froide et méthodique efficacité du tueur sans oublier les longues périodes d’attente ou les nerfs sont mis à rude épreuve.

Lent, froid et gracieux comme l’animal dont il s’inspire, « La vie mélancolique des méduses » est un roman qui séduira les amateurs de sombres introspections.

Je vous livre quelques phrases fortes notamment à propos de sa Mère « Les hommes qui venaient la voir, les gros, les maigres, les plombiers ou les banquiers, j’avais compris très vite qu’ils n’étaient reliés à la vie que par ce morceau de cher entre les cuisses, qui les rendait fous, larmoyants, imposteurs, criminels. Leurs mots ou leur silence, leurs vie ou leur mort, avaient ce même tremblement inutile. Le sexe c’était juste une façon de croire qu’ils vivaient vraiment. Vous apprenez d’une pute ce que personne ne vous a jamais dit ».

Vous avez dit définitif ?

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