Le démon (Hubert Selby Jr)

« Le démon » est le deuxième livre de Huber Selby Jr que je lis dans ma vie après le très dérangeant « Last exit to Brooklyn ».
L’histoire est celle de Harry White, Monsieur Tout le monde, jeune cadre américain prometteur dans une prestigieuse entreprise de gestion de Manhattan.
Harry appartient à la classe moyenne blanche, vit encore chez ses parents à Brooklyn, mais ses grandes capacités intellectuelles font de lui un homme promis à un brillant avenir au sein de la société.
Oui mais voilà Harry a un problème, un terrible trouble intérieur qui le pousse à multiplier les conquêtes féminines, et à les chasser frénétiquement pendant sa pause déjeuner .
Solitaire, Harry a une préférence pour les femmes mariées en raison de l’excitation que lui procure le fait d’être invité chez une inconnue avec la crainte que le mari ne les surprenne mais une fois l’acte consommé il prend généralement la fuite, afin d’ éviter les complications d’une relation et conserver la magie du shoot d’adrénaline initial.
Harry ne connaît pas l’origine de cette obsession mais elle devient si envahissante qu’elle finit par nuire à sa concentration et à le perturber dans son travail.
Malgré ses dons évidents, son patron  Monsieur Wentworth préfère nommer un de ses rivaux moins doué mais plus fiable au poste de directeur en second.
Ambitieux, Harry vit très mal ce qu’il considère comme un affront.
Wentworth ayant développé des liens d’affection quasi paternels pour lui, lui conseille de se marier, d’avoir des enfants afin de se stabiliser et d’accéder à des plus hautes responsabilités au sein de la société, même si il est tacitement et hypocritement admis d’inviter des prostituées avant et après la négociation de gros contrats.
Harry s’exécute et épouse Linda, une secrétaire de son entreprise.
Pendant quelques années, le mariage semble lui réussir.
Linda et Harry ont deux enfants, Harry est augmenté, déménage dans une belle maison en banlieue et passe de superbes vacances en Jamaïque.
Puis ce bonheur se fissure et Harry est rattrapé par son démon intérieur.
Il recommence à traquer les femmes et à découcher.
Linda se doute de quelque chose mais ferme les yeux sur la conduite étrange de son mari.
Harry est victime de malaises, de troubles comportementaux et dépressifs.
Sa culpabilité envers Linda est énorme mais le démon est plus fort que lui.
Désespéré, il consulte un psychiatre qui ne parvient pas à totalement résoudre la nature de son mal.
La suite prend alors une tournure inquiétante alors que le mal qui le ronge prend une nouvelle ampleur.
L’excitation de la chasse des femmes mariées ne suffit plus, Harry commence à coucher avec des épaves humaines, à roder la nuit dans les bureaux désertés, il vole des objets pour la simple excitation que lui procure l’idée d’être pris sur le fait.
Harry passe ensuite aux cambriolages puis de puissants fantasmes de meurtres commence à germer en lui.
Il s’excite d’abord par l’idée de le passer à l’acte, jouissant de détails concernant les préparatifs de l’exécution programmée.
Deux meurtres se produisent alors avec une graduation dans l’horreur puisqu’il pousse un premier homme sur le quai d’un métro et en poignarde un autre dans Time Square afin de jouir du contact physique avec sa victime.
Devenu fou, Harry quitte sa femme, son travail et termine sa terrible trajectoire criminelle sur un acte d’une force inouïe, l’assassinant d’un évêque en plein prêche.
« Le démon » est un véritable chef d’œuvre de la littérature d’une puissance bouleversante.
Selby Jr commence son récit de manière calme, presque ennuyeuse puis les forces obscures rongeant ce pauvre homme lambda prennent progressivement le pas sur ses capacités de contrôle pour l’entraîner dans une folle spirale criminelle d’auto destruction.
Ce qui rend « Le démon » passionnant est la lutte de cet homme pour essayer de vivre une vie normale, rangée et de lutter contre d’incoercibles pulsions contre lesquelles il ne peut finalement rien.
Prodigieusement original, le style de Selby possède une puissance hors du commun qui prend toute sa dimension dans la dernière partie du livre culminant avec l’assassinat de l’ecclésiastique dans une atmosphère de crise paroxysmique.
« Le démon » est donc la démonstration magistrale que de puissantes forces souterraines d’origine inconnue (les médecins parleraient de troubles psychotiques ou schizophrènes ) peuvent finalement prendre le dessus sur n’importe qui sans que rien (raison, morale, médecine, religion ) ni personne ne puisse porter secours à l’individu atteint.
Le triomphe de l’irrationnel et de la folie en quelque sorte …
Pas étonnant que Selby Jr reste un écrivain maudit aux Etats-Unis, trop dérangeant sans doute pour la morale puritaine.

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